Vous avez détesté la pub antiraciste du gouvernement du Québec ? Ça vous a dérangés qu’on vous dise que des jeunes Noirs rassemblés dans un parc à la tombée de la nuit, on appelle ça des amis québécois ?

Autant prendre votre mal en patience : la campagne va durer trois ans. Et le ministre responsable de la Lutte contre le racisme, Benoit Charette, espère bien que les prochaines pubs vous dérangeront, elles aussi.

On a tout dit à propos de ces pubs. On les a trouvées insultantes pour les Anglos, trop nationalistes, perpétuant des préjugés, caricaturales, infantilisantes…

« On m’a dit : “Franchement, on n’est pas comme ça au Québec ! Ce n’est pas parce qu’on voit un groupe de jeunes Noirs dans un parc qu’on les associe à des gangs de rue” », raconte Benoit Charette en entrevue.

Mais voilà, ce n’était pas l’impression des Noirs interrogés dans les focus groups. Ni celle des directeurs de police qui ont confié au ministre recevoir « beaucoup, beaucoup, beaucoup d’appels au 911 ».

Des appels du genre : « Euh… il y a des jeunes Noirs dans le parc. Pourriez-vous envoyer une patrouille ? »

C’est bien la preuve, dit le ministre, que ces pubs traduisent des préjugés qui existent dans la société québécoise. Non seulement ils existent, mais ils la pourrissent.

Benoit Charette n’est pas maso ; il n’espère pas que les futures publicités soulèvent toujours autant la controverse. Mais il ne veut pas non plus d’une campagne « aseptisée au point que personne ne la remarque ».

« Il faut parler de racisme. Il faut que ça heurte les sensibilités de certaines personnes, insiste-t-il. On ne pourra jamais enrayer le racisme si on ne s’attaque pas à des préjugés qui peuvent être inconscients. »

La campagne sociétale répond à l’une des 25 recommandations du rapport du Groupe de travail contre le racisme déposé en décembre 2020 par les ministres Nadine Girault et Lionel Carmant.

Un an plus tard, le ministre Charette affirme être « en mouvement » sur chacune des recommandations. Il n’a pas choisi les plus faciles à réaliser. Sécurité, santé, éducation, travail : il travaille sur tous les fronts.

Celui du profilage racial, d’abord. Un gros morceau. Le projet de loi 18 déposé mercredi par la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, vient mettre un terme aux interpellations policières aléatoires basées sur des motifs discriminatoires.

Autrement dit, les policiers de la province devront désormais avoir une bonne raison pour interpeller les gens. La couleur de la peau n’en fait absolument pas partie.

La mesure était très attendue, c’est le moins qu’on puisse dire. « Dans toutes les rencontres qu’on a eues, c’est cette réalité-là qui générait le plus de peine et de frustration », dit Benoit Charette. L’impact psychologique, pour les victimes de profilage, est souvent dévastateur.

Benoit Charette craint-il un désengagement policier ? La peur d’être filmé, de retrouver son nom étalé dans les journaux ou de voir sa carrière brisée risque-t-elle de pousser des policiers à refuser d’intervenir auprès de minorités visibles ?

« C’est un phénomène qu’il faut éviter à tout prix, répond le ministre. En même temps, il y a dans les interpellations une surreprésentation de certains groupes qui composent la société québécoise. C’est un fait établi. On ne peut pas le nier. »

Parlant de faits établis…

En tant que ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette dispose de très peu de faits ou d’études sérieuses pour justifier le troisième lien. Pour tout dire, il n’en a pas.

En tant que ministre responsable de la Lutte contre le racisme, il fait partie d’un gouvernement fortement critiqué pour son refus de reconnaître le racisme systémique…

Devrait-on le renommer ministre des Tâches ingrates ?

Benoit Charette, en tout cas, semble déterminé à prouver qu’il n’a pas l’intention de servir de plante verte.

Vingt-cinq millions pour créer des patrouilles mixtes policiers-intervenants sociaux ; 20 millions à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse pour réduire les délais de traitement des plaintes en discrimination ; 130 millions sur deux ans pour mieux reconnaître les compétences des immigrants… les annonces se succèdent.

Et, pour une fois, les budgets semblent suivre.

La reconnaissance des compétences et des diplômes acquis à l’étranger est un dossier qui traîne depuis des décennies. « Souvent, ce sont des talents qu’on gaspille », souligne Benoit Charette.

Ça suffit, les chauffeurs de taxi bardés de diplômes dans leur pays d’origine.

Le ministre a rencontré les représentants des ordres professionnels pour les sommer de débloquer les choses. « Ils invoquent toujours la fameuse protection du public ; c’est leur mandat. Il faut se défaire de la mentalité que cette protection du public est assurée uniquement par une formation québécoise. »

Cette mentalité, ajoute-t-il, « n’est pas une manifestation directe de racisme, mais, en même temps, quand une personne arrive au Québec et ne parvient pas à exploiter son plein potentiel, une mécanique peut très rapidement se développer. Certains cycles peuvent la rapprocher de la pauvreté et d’autres enjeux sociaux. La meilleure façon d’éviter toute forme de discrimination, c’est de reconnaître le potentiel des gens qui ne demandent que ça, contribuer au développement de la société québécoise ».

J’écoute le ministre, et soudain, ça me frappe. N’est-il pas en train de décrire un phénomène qui dépasse l’aspect individuel du racisme ? Une dynamique qui désavantage certains groupes et qui engendre des inégalités ?

N’est-il pas en train de parler de… racisme systémique ?

Il me semble bien que oui.

Il me semble que le gouvernement s’attaque au racisme systémique en demandant aux ordres professionnels de réviser leurs pratiques, en interdisant les interpellations policières aléatoires, en s’efforçant de rendre la fonction publique moins blanche, en imposant des formations de sécurisation culturelle aux travailleurs du réseau de la santé…

Il me semble que c’est bien ce que fait ce gouvernement, le tout premier à avoir nommé un ministre responsable de la lutte contre le racisme. Mais bon, ce n’est pas Benoit Charette qui me le confirmera…

Je lui demande tout de même s’il ne se sent pas un peu coincé dans ce débat, entre ceux qui se méfieront tant qu’il refusera de reconnaître le racisme systémique et ceux qui ne lui pardonneraient jamais de le reconnaître.

Pas vraiment, me répond-il. Sur les dizaines de personnes impliquées dans la lutte contre le racisme qu’il a rencontrées au cours des derniers mois, à peine deux ou trois ont cru bon d’aborder la question de front avec lui.

Pour les autres, le message était clair : ils voulaient de l’action. Et surtout, des moyens pour agir. « À la limite, si on fait juste s’arrêter à une expression et qu’on ne met rien en branle pour corriger la situation, on n’aura pas davantage contribué à changer les mentalités. »