Est-ce que Montréal est une ville dangereuse ?

Presque chaque semaine amène sa nouvelle tragédie. Jeudi, c’était Hani Ouahdi, 20 ans, tué par balle à Anjou. Deux semaines plus tôt : Thomas Trudel, 16 ans, s’est fait tirer dessus en pleine rue, sans raison apparente. Fin octobre : Jannai Dopwell-Bailey, 16 ans, s’est fait poignarder à mort dans Côte-des-Neiges. Plus toutes les fusillades. Les balles perdues. Les armes en circulation.

« Je ne reconnais plus Montréal », a dit le premier ministre du Québec.

Il traduisait le sentiment collectif d’insécurité. Et la nécessité d’intervenir, en particulier en ce qui concerne la violence par arme à feu.

Mais justement, c’est un sentiment.

En réalité, Montréal est – de loin – une des grandes villes les plus sécuritaires en Amérique du Nord et au Canada et qui a rarement été aussi sécuritaire depuis un demi-siècle.

Je n’essaie en rien de diluer la peine et les drames dans l’eau des statistiques. Chaque agression est incommensurable, incalculable.

Je n’essaie pas non plus de dire qu’il n’y a pas de problème de circulation des armes à feu. Ou que la violence des gangs armés n’est pas grave. Ces problèmes sont très réels et appellent une série de réponses policières, sociales et politiques urgentes.

J’en ai cependant contre le discours politique un peu glauque, parfois opportuniste, qui vient se greffer sur la triste réalité du crime. Et qui veut dépeindre Montréal comme un far west.

Oui, il y a des crimes graves dans cette ville, et il faut les combattre. Il y a aussi beaucoup plus d’armes en circulation, et il y a de quoi s’en inquiéter.

Non, contrairement à ce qu’on entend et ce qu’on lit ces jours-ci, Montréal n’est pas une ville « américaine » – les grandes villes américaines ont des taux d’homicides de 5 à 15 fois plus élevés.

On déplore 32 homicides jusqu’à maintenant à Montréal, en 2021. Pour les 10 années précédentes, le nombre de meurtres était de 23 à 35.

Il y a eu pour tout le Québec 87 homicides en 2020. C’est deux à trois fois moins que ce qu’on observait dans les années 1970-1980-1990.

Dans la seule île de Montréal, il y avait plus d’assassinats que pour tout le Québec maintenant.

Montréal était donc une ville beaucoup plus « dangereuse » il y a 20, 30 ou 50 ans.

Hélas, des meurtres absurdes d’adolescents survenaient, et plus souvent qu’aujourd’hui. Les journaux en étaient remplis.

Un exemple parmi cent. En cherchant au hasard, je trouve un texte de La Presse de 1989 faisant état du meurtre d’un jeune homme de 16 ans « sans histoire » tué dans le métro à coups de couteau. C’était en juillet 1989. C’était déjà, au milieu de l’année, le 53e meurtre en ville. Le troisième dans les transports en commun de Montréal.

J’insiste : je n’essaie pas de minimiser chacun de ces crimes. Ils sont tous d’une infinie tristesse.

Je nous mets simplement en garde contre le discours médiatique et politique qui vient nous dire « c’était mieux avant ».

C’était bien pire avant.

« Le niveau de criminalité est au plus bas depuis le sommet du début des années 1990 », dit le criminologue Rémi Boivin, de l’Université de Montréal, ancien analyste à la police de Montréal, qui étudie ces questions… et l’impact de la diffusion des vidéos sur la perception de la sécurité.

Il y a eu plusieurs évènements impliquant des armes à feu rapportés cette année, et certes de quoi appeler des stratégies de lutte contre le crime ; mais rien pour déceler une tendance. « Celui qui affirmerait qu’on assiste à une tendance à la hausse serait un fumiste », dit-il.

Par contre, chaque évènement a un grand impact, d’autant qu’ils sont plus souvent filmés.

On me dira que, même s’il est statistiquement non fondé, le sentiment d’insécurité est bien réel et doit être « géré ».

J’en conviens.

Mais encore faut-il s’y attaquer avec des données probantes.

Et ne pas confondre lutte contre le crime et dénigrement général de la ville – et, bien entendu, chez certains commentateurs, des théories foireuses ou des allusions aux résidants des quartiers « chauds », comme par hasard des minorités, ou des immigrants.

Oui, il y a de la violence armée à combattre énergiquement. Mais non, Montréal n’est pas une ville plus dangereuse – bien au contraire.

Et oui, il faut faire en sorte qu’elle soit encore plus sécuritaire demain.