Même le Canadien, que dis-je : même les Coyotes de l’Arizona perdent moins souvent que les opposants aux mesures sanitaires devant les tribunaux.

La semaine dernière, la juge Nancy Bonsaint a débouté un notaire amateur de karaoké et un avocat beauceron qui contestaient la validité du passeport vaccinal. Ils demandaient d’en suspendre l’application pour cause d’atteinte à leurs droits fondamentaux et à leur liberté.

Lundi, le juge Michel Yergeau a refusé la demande de 137 travailleurs de la santé qui contestent le décret les obligeant à se faire vacciner pour conserver leur emploi.

Québec avait déjà reculé sur la vaccination obligatoire des travailleurs de la santé, donc la date butoir du 15 novembre a été effacée, et le jugement ne change rien.

Le juge Yergeau a tout de même fait œuvre utile.

Premièrement, son jugement me fournit une liste de 13 médecins anti-vaccin que je n’irai pas consulter.

Merci pour ça.

Deuxièmement, il démonte en passant le mythe du supposé droit fondamental de ne pas se faire vacciner.

« Il n’existe pas de droit pur et simple de ne pas être vacciné », rappelle-t-il. La Loi sur la santé publique permet même, dans certaines circonstances, de forcer la vaccination, pour contrer la présence d’un « agent biologique » et contrôler une épidémie.

La loi autorise donc, en cas d’épidémie, d’emmener un individu récalcitrant devant un juge pour le forcer à se faire vacciner. Comme il est permis d’interner une personne de force dans une institution psychiatrique avec la permission d’un juge.

Mais justement, quoi qu’en disent les anti-vaccins, ce n’est pas du tout de cela qu’il s’agit : la vaccination des travailleurs de la santé est « obligatoire », et non pas « forcée ».

Ce n’est pas une nuance, c’est une différence fondamentale.

Le juge Yergeau n’avait pas à se prononcer sur le fond de l’affaire – le gouvernement a-t-il le droit d’obliger la vaccination des travailleurs de la santé ?

Il devait seulement, à ce stade, décider si l’on pouvait suspendre d’urgence ce décret.

Bien entendu, le fait que cette obligation n’entraîne aucune injection de force change la donne. Au pire, les gens non vaccinés pourraient récupérer leur salaire et leur poste si, par impossible, le décret est jugé invalide dans trois ou six mois. Il n’y a rien de « physiquement irréversible » pour le moment.

Le juge a beau ne pas se prononcer sur le fond de la question, n’allez pas parier sur les chances de succès de ce genre de contestation.

Il est faux de dire qu’il y a un arbitrage juridique terriblement difficile à faire entre « l’inviolabilité du corps humain » d’un côté, et la santé publique de l’autre. Au contraire, l’arbitrage est très facile à faire, et la plupart des démocraties constitutionnelles l’ont fait : ceux qui refusent le vaccin seront exclus de certaines sphères de la société pour protéger le plus grand nombre.

Le boulot des juges n’est pas de remettre en question chaque mesure prise pour protéger la santé publique depuis le décret de l’urgence sanitaire le 13 mars 2020, mais de vérifier si elles sont légales.

Les contestataires plaident essentiellement ceci : suspendre les employés non vaccinés entraînera un chaos dans les hôpitaux.

Ils ne s’expliquent guère sur leurs motifs personnels de non-vaccination ; ils disent que les gens vaccinés peuvent eux aussi transmettre le virus (oui, mais beaucoup moins) ; ils disent qu’on les utilise pour convaincre la population en général de se faire vacciner (euh, mettons que c’est le cas… et puis ?) ; ils prétendent qu’en tant que « professionnels de la santé », ils sont mieux placés que quiconque pour mesurer les risques qu’ils encourent, et ceux qu’ils posent au public…

Sauf qu’au bout du compte, on est ici dans une discussion sur l’opportunité de rendre la vaccination obligatoire dans le secteur de la santé – ce qui relève des décideurs politiques. Les tribunaux ne sont pas là pour récrire les décrets de santé publique – à moins de menace d’abus irréparable, qui est carrément inexistante ici.

On peut bien entendu débattre des meilleurs choix imaginables en cas d’urgence sanitaire. Peut-être aurait-on pu ouvrir ceci plus tôt ou plus tard, permettre cela et pas ceci…

La question n’est pas là : les juges n’ont pas à être « d’accord » ou pas avec les décisions politiques.

Simplement, jugement après jugement, les tribunaux nous répètent qu’ils ne sont pas là pour jouer aux « gérants d’estrade » du docteur Arruda ou de Christian Dubé.

Ils martèlent aussi, décision après décision, faute de preuve, que le discours bidon sur la supposée « terrible » et « injustifiable » violation des droits fondamentaux ne tient pas la route pendant la pire pandémie du dernier siècle.

Ni scientifiquement. Ni juridiquement.

C’est pourquoi, un an et demi plus tard, la contestation judiciaire donne à peu près un résultat de 157 défaites et zéro victoire devant la cour aux antivax et autres anti-mesures sanitaires – j’exclus le cas du couvre-feu pour les sans-abri, qui est à part.