Il y a deux ans, un brave consommateur a déclenché une action collective contre Canada Dry au nom de tous les buveurs de ginger ale. L’étiquette du ginger ale prétend en effet que la boisson « contient du vrai gingembre ». Or, il n’y en a pas, prétendait-il.

L’embouteilleur a démontré que son ginger ale contenait des « dérivés » du gingembre. Un règlement a vite été conclu. Les consommateurs québécois ayant acheté au moins cinq bouteilles dans les années précédentes ont eu droit à un pétillant 7,50 $ de remboursement – jusqu’à un maximum de 650 000 $, duquel il fallait déduire les honoraires des avocats, environ le tiers du total.

Canada Dry n’a admis aucune responsabilité et n’a pas changé son étiquetage. « Un règlement juste et raisonnable », a dit un des avocats.

Ah bon ? Je ne sais pas vraiment ce qui a été accompli de grandiose ici, à part financer des avocats, vu que rien n’a changé.

La même prétention à défendre les droits du consommateur est à l’œuvre dans l’action collective qui vient d’être autorisée contre toutes les écoles privées du Québec.

Car voyez-vous, ces établissements ont été fermés pendant de nombreux jours l’an dernier et n’ont pas fourni aux élèves-consommateurs la prestation de services pour laquelle leurs parents ont payé.

Ce qui soulève dans mon esprit deux questions.

L’école est-elle une sorte de 7 Up ?

Et : qui va bénéficier vraiment de cette affaire si jamais elle réussit ?

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Commençons par le 7 Up. Au Québec, comme vous savez, l’école privée ne l’est qu’en partie. L’État assume plus de la moitié des coûts de l’enseignement. Le parent paie environ 5000 $ de base, plus les activités parascolaires.

En mars 2020, je m’excuse de le rappeler, le monde entier a fermé boutique. Y compris, pour un temps, les écoles. Certains élèves sont retournés à l’école primaire brièvement en mai. Les autres niveaux sont demeurés en mode virtuel jusqu’à la rentrée de septembre.

Évidemment, les parents ont payé pour des services que leurs enfants n’ont pas reçus. D’abord quand l’école était fermée ; ensuite quand elle fonctionnait tant bien que mal par Zoom.

La logique de la poursuite : quand mon gym est fermé, je ne paie pas mon abonnement.

Le hic, c’est que l’école n’est pas une activité discrétionnaire. Elle est obligatoire jusqu’à 16 ans. Et toutes les écoles ont été fermées un temps, et ont enseigné à distance ensuite. Par ordre du gouvernement. Et pour cause de force majeure.

Si ces parents avaient envoyé leurs enfants à l’école publique, ils n’auraient pas obtenu plus de « services ». Ils ont choisi d’obtenir cette éducation obligatoire en payant ; ça ne la rendait pas plus faisable pour ces écoles. Les coûts étaient essentiellement les mêmes : personnel, immeubles, entretien. On peut même arguer qu’ils étaient supérieurs, vu les adaptations technologiques et logistiques.

Les parents qui envoient leurs enfants au public pourraient tout aussi bien poursuivre le gouvernement : de toute évidence, ils n’ont pas reçu le niveau d’instruction prévu aux programmes, même si elle était gratis.

Mais un peu comme quand j’achète un 7 Up j’exige d’avoir ce qu’il y a d’écrit sur la bouteille, si je paie pour l’éducation partiellement privée de mes enfants en pandémie… j’aurais droit à un rabais, même en cas de force majeure, même quand la planète entière arrête de tourner. Cet établissement privé (que le parent ne manquera pas de vanter dans les conversations de salon) devra essuyer les pertes, c’est son problème.

J’ai le droit !

On est en vérité devant un cas classique de « j’ai l’doua ». Il a meilleure allure que l’antimasquisme et l’antivaxisme, il est montrable à la télé, mais il procède du même individualisme crasse.

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Supposons un instant que cette vision consumériste de l’éducation soit juste. On serait bien naïf de croire qu’une action collective serait d’une quelconque utilité pour réparer cette « injustice ».

D’abord, quelle faute, ou quel agissement antisocial des écoles privées tente-t-on de corriger ici ? Tout ce que cherche cette action, c’est de transférer sur les écoles le coût inévitable de la pandémie.

Plus important, au bout du compte, si un juge dit : parent, vous avez droit à un remboursement de 250 $ ou 500 $ ou, pourquoi pas, 1000 $ ; ou si, comme c’est souvent le cas, il y a un règlement général pour éviter un procès encore plus coûteux, où ira l’argent ?

Si on se fie aux précédents, les avocats toucheront le tiers de la somme pour leur défense du droit inaliénable du consommateur.

On aura mobilisé les ressources judiciaires, confisqué le temps précieux de la cour, fait dépenser des centaines de milliers de dollars en foutus honoraires d’avocats.

Et à la fin, les parents toucheront de quoi s’acheter quelques bouteilles de cette exquise boisson aux dérivés de gingembre dont on dit qu’elle est le champagne des ginger ales.