Finalement, les gens s’en foutent un peu, de leur ville. Montréal administre un budget de 7 milliards, mais à peine plus du tiers (38,29 %) des gens se déplacent pour choisir leur mairesse.

Ce n’est pas mieux à Longueuil : 33,1 %.

Laval : 28,8 %.

Trois-Rivières, Saguenay, Gatineau : tous autour de 35 %.

Québec, où faisait rage une lutte à trois, est tombé sous les 50 % (45,2 %).

On a l’habitude de se demander pourquoi des gens ne votent pas ; à voir des taux de participation aussi misérables, il faudra se demander : qui sont ces gens qui votent encore ?

Ça ne demande pourtant pas un effort incommensurable. Ça se passe le dimanche. Près de la maison. Ça prend 10 minutes. On peut le faire pendant deux jours la semaine d’avant. Ou même par la poste.

On a coutume de répéter que la ville est le « gouvernement de proximité ». Mais c’est le palier pour lequel les gens votent le moins.

Qu’y a-t-il de plus concret, de plus « proche du monde » qu’un compte de taxes annuel, un trottoir mal déglacé, un horaire d’autobus ou de ramassage du compost, un changement de zonage pour construire une tour ou des services de police ?

Bof ! répond l’électeur.

Je pourrais évoquer l’antique tradition de corruption, qui a fleuri pendant des décennies à Laval et ailleurs devant la plus sublime indifférence électorale. C’est finalement la police qui a congédié le maire Gilles Vaillancourt et quelques autres crapules.

Mais n’allons pas si loin. Pensons aux choix que doit faire constamment un conseil municipal qui touchent directement nos vies, influencent notre compte de banque, ont des répercussions environnementales, économiques, sociales…

Ça ne vaut pas une petite marche tous les quatre ans ?

Bof ! siffle l’électrice.

Partout pareil

Le phénomène n’est pas québécois. Les grandes villes canadiennes se situent dans les mêmes eaux que Montréal. Après les années turbulentes de Rob et Doug Ford, Toronto a connu un taux de participation de 41 % en 2018. À Vancouver, la même année, seulement 39,4 % des gens ont voté.

Au deuxième tour de l’élection municipale à Paris l’an dernier, le taux de participation a atteint seulement 36,7 %. C’était en pleine pandémie, me direz-vous, et à l’élection précédente, près de 60 % des Parisiens avaient voté.

Mais une semaine avant Montréal, New York a choisi son maire avec à peine 20 % de participation.

Pourquoi ?

Le dur métier d’électeur

Les politologues et les médias américains publient énormément sur la participation aux élections, qui est traditionnellement pathétique à tous les niveaux aux États-Unis.

On souligne en particulier la difficulté qu’il y a à voter pour l’Américain moyen. Il faut en effet s’inscrire soi-même sur la liste électorale. Le parti au pouvoir contrôle le découpage partisan des circonscriptions (gerrymandering) et, dans plusieurs États, cela donne des dessins absurdes destinés à rendre le vote des opposants le moins nuisible possible, donc relativement inutile. On a aussi fait grand cas des lois votées depuis un an dans de nombreux États pour rendre le vote plus compliqué, et « supprimer » le droit de vote en pratique pour les plus pauvres et les minorités.

Mais encore faut-il s’intéresser à la chose publique. Rien de tout ça ne s’applique ici. L’État vous inscrit sur la liste. Vous envoie un carton avec les instructions et vous prend presque par la main pour vous envoyer voter. Des campagnes de pub inondent les médias.

Malgré tout… les gens votent moins.

« C’est plate »

On ne peut pas dire qu’il manquait d’enjeux ni de clivages idéologiques. Peut-être à Laval, mais certainement pas à Montréal et à Québec. Et quand ce n’étaient pas des visions de l’urbanisme (tramway, troisième lien) qui s’affrontaient, c’étaient des personnalités tout de même très médiatisées.

Pas grave : plus de la moitié, quand ce n’est pas deux électeurs sur trois des plus grandes villes du Québec, n’en avaient rien à cirer.

Il y aura des lamentations quand les villes voudront boucler leur budget en faisant semblant d’éviter une hausse d’impôt foncier – bonne chance à tous.

Mais ça ne secouera pas l’électeur.

Que faut-il faire ? Imposer des amendes aux non-votants, comme dans certains pays européens, pour infliger un peu de civisme politique au citoyen ? Un truc pour se faire battre aux élections ! Les pays qui ont de telles mesures, par définition, sont ceux où le taux de participation est déjà enviable.

Tenir les élections municipales en même temps que les provinciales, où les gens votent beaucoup plus ? Peut-être. Les Américains ont des bulletins à multiples votes, longs comme une troisième période du Canadien en novembre. Leur taux de participation n’est pas bon.

Ça prend souvent un scandale. Quand le non-votant réalise que sa ville est dirigée par des hurluberlus ou des bandits, ou que l’hôtel de ville s’en va à la dérive, ça excite ses émotions municipales un temps. Après… bof. Le cerveau municipal redevient une banlieue-dortoir politique.

La vérité, c’est que ça n’est pas spontanément super intéressant, se pencher sur les enjeux de la taxe d’eau ni la plupart des débats au conseil. Et puis, on a nos vies à gérer, pas vrai ? C’est en effet un droit fondamental de trouver ça plate et de ne rien vouloir savoir.

Et c’est ce qui rend possibles des confiscations démocratiques d’hôtels de ville, comme nous l’a rappelé la commission Charbonneau. Ou ce qui fait qu’une ville est gérée tout croche. Ou contre les intérêts de la majorité.

C’est vrai : une ville où les gens ne votent pas peut aussi être très bien administrée ; ce qu’on prend pour de l’indifférence est peut-être un indice paresseux de la satisfaction citoyenne. À l’inverse, des incompétents peuvent être élus même avec un fort taux de participation. Mais peut-être pas deux fois. Et au moins, l’électeur se sentira responsable du résultat.

C’est cette responsabilité même qu’on refuse en votant si peu : c’est pas de « mes affaires », et de toute manière, mon vote ne changera rien.

Ce sera peut-être un autre sujet à mettre dans le cours d’éducation civique…