Change-t-on vraiment, à l’âge adulte ?

Je suis de ceux qui pensent que non, pas tant que ça. On peut arrondir les angles. On peut s’améliorer.

Mais il y a un fond, une fondation, disons, qui est difficile à rénover : le soi n’est pas un sous-sol de maison.

C’était le socle de la campagne de Denis Coderre, version 2.0 : j’ai changé, je ne suis plus le Denis de ma fin de mandat à la mairie, en 2017, ma vie n’allait pas bien, je l’ai remise sur les rails…

Au printemps, il s’est présenté svelte à Tout le monde en parle pour présenter le livre qu’il avait écrit avec un comité de sommités. Nouveau soi, nouveau corps : symbole fort.

Puis, la campagne a commencé et il a gaffé. Une niaiserie : il a été photographié manipulant son téléphone au volant, alors qu’il était immobilisé à un feu rouge. Tout le monde a déjà fait ça au moins une fois. Lui, comme le Denis 1.0, il s’est entêté dans une explication ésotérique qui ne tenait pas la route, s’est gagné des jours de controverse et de railleries.

Il a joué au shérif : la ville est sale, la ville est dangereuse… Et puis, les jeunes dans les parcs, qui boivent et qui font le party, on va mettre un stop à ça ! Il a fini par reculer sur la question des parcs : c’était hallucinant de déconnexion avec le réel, les parcs sont le vrai cœur de Montréal, avec les ruelles. Pour les parcs comme pour les ruelles, c’est encore plus vrai depuis la pandémie.

Le reste de la campagne a montré un Denis sans énergie, sans enthousiasme, avec un sourire inversé, vers le bas. Un Denis 2.0 qui ressemblait au Denis 1.0 avec ses idées qui n’en sont pas vraiment, mal entouré, qui tenait sa victoire pour acquise : encore candidat, il a même convoqué les maires des autres grandes villes canadiennes à un sommet sur la sécurité urbaine…

Le fiasco des billets vendus et donnés de la Formule E avait scellé son sort en 2017, quand le Denis 1.0 avait refusé obstinément pendant des mois de donner le vrai score. Ça avait teinté sa fin de mandat, ça avait mis en relief ses réflexes d’opacité, sa folie des grandeurs aussi, corollaire d’une vision très « Jean Drapeau » de la mairie, comme si Montréal devait absolument se mettre sur la mappe en 2021, à la 1967.

Mais la game a changé, le monde veut désormais mettre de la vie dans la ville, la rendre vivable pour ceux qui l’habitent, bien avant de la rendre vivable pour ceux qui transitent par Montréal. Un Montréalais sur deux a voté pour cette vision-là. C’est immense. Un plébiscite.

Pour fins de comparaison, Québec, Gatineau et Laval ont choisi leurs maires avec 32 %, 42,8 % et 41 %. Valérie Plante a raflé 52 % des voix dans une course à trois. Denis Coderre, à 37,8 % des voix, n’a pas perdu cette élection, même s’il partait avec une longueur d’avance dans les sondages : Valérie Plante l’a gagnée.

Alors, change-t-on vraiment, à l’âge adulte ?

Je suis de ceux qui pensent que non, pas fondamentalement. On peut s’assagir, un peu. S’améliorer. Mais le fond demeure, quasi immuable. Se connaître aide à arrondir les angles, bien sûr.

Or, Denis Coderre n’avait pas changé. Il l’a prouvé pendant la campagne. La liste de ses employeurs et clients entre 2017 et 2021, qu’il a bêtement refusé de dévoiler pendant plusieurs jours — changeant au gré des heures les raisons pour lesquelles il refusait de le faire — fut sa Formule E, version 2.0 : une distraction et un révélateur.

Défait, j’étais cependant absolument certain qu’il allait montrer de la grandeur. Qu’il allait arriver sur scène soulagé que ce soit fini. Rassembleur, même. Quand t’aimes Montréal, tu espères que la personne qui va diriger Montréal va avoir du succès. Tu lui souhaites bonne chance, tu remercies ta gang…

Stephen Harper en 2015 est un exemple du genre1. Rassembleur, reconnaissant pour les électeurs qui font vivre une démocratie forte, digne face à celui qui l’a devancé au fil d’arrivée. C’est de la hauteur, ça.

Je m’attendais à ça de la part de Denis Coderre. Parce qu’il connaît la politique.

Sauf que j’ai avalé mes Corn Flakes de travers, en écoutant son discours2. D’abord, il l’a fait APRÈS celui de Valérie Plante, ce qui est contraire à la tradition : le perdant parle en premier.

Ensuite, le fond du discours : aigri et revanchard, zéro hauteur face à la mairesse qui a récolté 52 % des voix.

Denis Coderre a prononcé un discours de campagne, pas un discours de concession. Zéro rassembleur. Le candidat défait a parlé d’un choix « déchirant » pour les électeurs, ce que la vérité des chiffres contredit de façon éclatante. Il a évoqué une campagne « sale » à son endroit, tout en nous disant qu’il n’avait ni remords ni regrets face à cette campagne… désastreuse.

Bref, un discours à l’image de ce qu’il fut en campagne : négatif.

Non, on ne change pas, en tout cas pas tant que ça.

1. https://www.youtube.com/watch?v=5DJk7Vp_gAw

2. https://www.youtube.com/watch?v=WlhKiapkKPQ