Il y a une faille logique grosse comme le Stade olympique dans l’explication du candidat Denis Coderre pour justifier son refus de se livrer à un exercice de transparence financière, à la demande de Radio-Canada.

Avant d’expliquer cette faille logique, une mise en contexte s’impose.

Depuis une décennie au Québec, des candidats à des élections se font demander leurs déclarations de revenus de l’année précédente. Les demandes proviennent de médias. Les candidats ne sont pas obligés d’y répondre.

Mais plusieurs le font, tant au provincial qu’au municipal.

L’exercice permet à l’électorat d’en savoir plus sur ceux qui sollicitent leurs votes : impôts payés, dons aux œuvres de charité, revenus totaux, sources de revenus.

Ainsi, en 2012, Pauline Marois et François Legault ont répondu à l’appel de La Presse pour cet exercice de transparence financière. Jean Charest a refusé. En 2013, pour l’élection à la mairie de Montréal, les quatre candidats principaux ont accepté. En 2017, Valérie Plante et Denis Coderre ont accepté de rendre publiques leurs déclarations de revenus.

Aux États-Unis, je le souligne, l’exercice est commun depuis 50 ans. Tous les candidats à la présidence des deux partis ont publié leur déclaration de revenus depuis l’ère Nixon. Tous, sauf un… Donald Trump.

Voilà pour ces exercices de transparence financière volontaire auxquels ceux qui nous gouvernent participent… ou pas.

Je n’ai par ailleurs rien contre le fait que Denis Coderre ait réussi à monnayer ses talents et ses énergies dans le privé, après une vie passée comme élu. Tant mieux pour lui.

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Il y a quelques semaines, le reporter Romain Schué a donc demandé aux candidats de l’élection municipale montréalaise de produire leurs déclarations d’impôts de l’année 2020. Valérie Plante a accepté. Balarama Holness a refusé. Et Denis Coderre a aussi refusé.

C’est surprenant, parce que Denis Coderre avait accepté en 2013 et en 2017 de le faire, quand il était candidat pour le même poste de maire de Montréal.

Radio-Canada a aussi demandé à l’ex-maire qui veut le redevenir la liste de ses clients et employeurs dans le secteur privé, depuis quatre ans. Denis Coderre a encore refusé.

Je conçois que ça puisse ressembler à une fouille à nu financière pour les candidats, ces exercices de transparence. Bienvenue dans la vie publique. Ces exercices relèvent des normes, pas des obligations. C’est un peu comme la participation aux débats organisés par des médias et des chambres de commerce : rien n’oblige les candidats à y participer.

Idem pour ces demandes de transparence financière. Les médias font des demandes et les candidats sont libres d’accepter… ou pas. Une fois élus, les maires et conseillers municipaux du Québec ont l’obligation de produire une déclaration annuelle révélant des intérêts financiers actuellement détenus. Mais ce sont deux choses différentes.

Denis Coderre a donc refusé la demande de Radio-Canada. Et il a d’abord refusé de se justifier, point. Le reportage a été publié samedi. La pression sur le candidat Coderre a alors monté, monté, monté…

Il a fait une sortie dans la journée de dimanche pour expliquer son refus de jouer dans cet exercice de transparence. C’était plus simple quand il était député (en 2013) et maire (en 2017), a-t-il dit, alors que dans le privé, c’est plus complexe.

Je cite Denis Coderre : « Quand je vais être élu, inquiétez-vous pas, tout le monde va savoir où est-ce que j’ai travaillé. […] Quand on signe des contrats, il y a des ententes de confidentialité. »

C’est ici qu’on trouve la faille logique grosse comme le Stade olympique dans les justifications de Denis Coderre.

Si Denis Coderre a signé des clauses de confidentialité contractuelles qui l’empêchent de dire pour qui il a travaillé depuis 2017… Pourquoi pourrait-il contourner ces clauses de confidentialité une fois élu maire ?

Et s’il peut faire lever ces clauses de confidentialité une fois installé à la mairie… Pourquoi ne l’a-t-il pas fait dès qu’il s’est lancé ?

La faille logique est là : je ne peux vous donner ces infos comme candidat… Mais je pourrai le faire quand je serai maire.

Illogique.

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Denis Coderre a eu beaucoup de temps pour entrevoir cette demande médiatique de transparence financière. Il a lancé sa campagne en avril, après des mois à entretenir le suspense.

Et il s’était plié à l’exercice par deux fois, dans le passé, en 2013 et en 2017. Je cite l’équipe de Denis Coderre en 2017 : « Le maire Coderre n’a rien à cacher et a toujours fait preuve de transparence. »

Si on se base sur le raisonnement de Denis Coderre, version 2017 : pourquoi Denis Coderre, version 2021, refuse-t-il de faire preuve de transparence ?

Ce n’est pas une question anodine. C’est une question importante. Je sais qu’elle est déplaisante, mais comme je le disais plus haut : bienvenue dans la vie publique…

S’il est élu maire, Denis Coderre sera à la tête d’une organisation dotée d’un budget de sept milliards. La Ville de Montréal est sur l’écran radar de personnes, d’organismes et d’entreprises qui espèrent quelque chose d’elle : appui, assouplissements réglementaires, changement de zonage, subventions, contrats de toutes sortes…

Parmi ces entités, y a-t-il des clients et employeurs de Denis Coderre, qui fut un citoyen privé de 2017 à 2021 ?

Prenez le Groupe Baseball Montréal, qui s’active pour faire atterrir ici un club du baseball majeur. Et qui veut faire construire un stade au bassin Peel. Ce groupe aura besoin d’appuis à l’hôtel de ville.

Denis Coderre a-t-il travaillé pour eux, entre 2017 et 2021 ?

On ne le sait pas. Parce que M. Coderre nous dit qu’il va nous dire quelle était sa liste de clients et d’employeurs après l’élection.

C’est pourtant le genre d’information qui doit faire partie de la conversation avant une élection.

Pas après.