Le Québec peut être fier de compter quelques-uns des conspirationnistes les plus influents du web francophone. Ces grands ambassadeurs, champions du monde de l’élucubration paranoïaque, contribuent à propager les théories du complot les plus folles dans toute la francophonie.

Oui, vraiment, il y a de quoi être fier…

En France, les policiers y voient surtout de quoi s’inquiéter. Sérieusement. Une note du Service central du renseignement territorial (SCRT), dévoilée en début de semaine par Le Journal du dimanche, recense les « figures montantes » d’une galaxie conspirationniste en pleine expansion.

Parmi ces brillantes étoiles : le Québécois Alexis Cossette-Trudel, considéré comme un vecteur important du délire QAnon en France. Et Jean-Jacques Crèvecœur, figure de proue de la croisade contre les mesures sanitaires au Québec – et, par la magie du web, de l’autre côté de l’Atlantique.

Jean-Jacques Crèvecœur est un gourou d’origine belge, établi dans les Laurentides depuis 2004. Le printemps dernier, il avait prévenu ses adeptes que tout était perdu ; ils devaient se détacher de leurs proches et de leurs biens matériels pour accéder à la « cinquième dimension ».

Lisez « Le gourou des Laurentides »

Un discours apocalyptique, glaçant, qui faisait écho à celui d’un autre citoyen belge autrefois établi dans les Laurentides : Luc Jouret, défunt gourou de l’Ordre du Temple solaire.

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En juillet, Facebook a supprimé le compte de Jean-Jacques Crèvecœur. En 2020, c’est YouTube qui l’avait banni de sa plateforme. Mais il continue de sévir.

Il a migré vers des réseaux parallèles, moins réglementés.

Chaque semaine, ses fidèles retrouvent notamment ses « conversations du lundi » sur Odysee, bastion de l’extrême droite américaine et plateforme préférée des complotistes de la planète.

« Odysee, c’est un réseau social sans censure », explique Jean-Philippe Décarie-Mathieu, chef de la cybersécurité aux Commissionnaires du Québec. « C’est un écosystème qui attire… un genre de personnes. » En général, dit-il, les policiers ne surveillent pas trop ce qui s’y passe.

Peut-être devraient-ils commencer à le faire.

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Dans sa dernière « conversation du lundi », longue divagation solitaire face à la caméra, Jean-Jacques Crèvecœur appelle ses adeptes à « terrasser » les « médecins de plateau », les journalistes et les dirigeants qui « mettent en danger l’existence même de l’humanité ».

Il qualifie tout ce beau monde de « fous dangereux », de « malades mentaux » et de « gens qui ne méritent même plus de vivre sur cette planète ».

Puis, il prend une longue pause en fixant intensément la caméra, l’air grave, avant de conclure : « Faites ce qu’il vous semble juste de faire. »

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Une fois de plus, le discours est glaçant. Constitue-t-il un appel à la violence ? Au meurtre, même ? Pas selon le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP).

« On a pris connaissance des propos émis et on a consulté le DPCP », dit Marc Tessier, porte-parole de la Sûreté du Québec dans les Laurentides. « Pour l’instant, il n’y aurait pas d’éléments criminels. Par contre, l’enquête se poursuit. »

Par courriel, Jean-Jacques Crèvecœur refuse de préciser le sens de ses paroles, tout en assurant qu’il ne faut rien y voir de sinistre. « Ce n’est en aucun cas un appel à la violence… J’ai toujours prêché la désobéissance civile non violente. Depuis le début. Je l’ai dit, je l’ai répété sur tous les tons. »

Sur tous les tons. Comme celui-ci, sur Facebook, juste avant que le réseau social ne supprime son compte : « S’il ne nous reste qu’un seul choix entre la lâcheté et la violence, peut-être qu’à un moment donné, nous devrons choisir la violence. »

Le compte avait 360 000 abonnés.

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Plus le groupe auquel on s’attaque est large, plus la menace est diffuse, plus il devient difficile, pour le DPCP, de porter des accusations. On le comprend.

Mais une menace diffuse reste… une menace.

En France, les policiers s’inquiètent de la dérive sectaire d’internautes radicalisés par les gourous du web. La note du SCRT parle de « déstabilisation mentale », de « rupture avec l’environnement d’origine » et de « diabolisation du monde extérieur »…

Il arrive que le délire virtuel se transporte dans le monde réel. Pensez à l’assaut du Capitole, le 6 janvier. Pensez au « pizzagate », cette théorie conspirationniste qui a beaucoup circulé sur le web, selon laquelle un réseau pédophile, dirigé par une élite cannibale, retenait ses victimes prisonnières dans le sous-sol d’une pizzéria de Washington.

C’était burlesque, cette histoire. Pourtant, il y en a eu pour y croire. Il y a même eu un homme pour faire le voyage de la Caroline du Nord jusqu’à Washington. « Le gars s’était présenté au resto avec un [fusil d’assaut] AR-15 », rappelle M. Décarie-Mathieu.

Des milliers d’abonnés suivent Jean-Jacques Crèvecœur sur le web. Il n’en faudrait qu’un seul, plus fou ou plus radicalisé que les autres, un seul qui prenne les paroles du gourou au pied de la lettre, pour que cette histoire finisse très, très mal.