Pour Justin Trudeau, cette victoire inutile est une défaite. Malgré les apparences, il ne revient pas au point de départ de ces élections. Il n’a pas été puni, comme on aurait pu le penser ; mais il en ressort affaibli.

Il devra s’expliquer longtemps pour justifier cette opération coûteuse qui n’aura servi à rien, pas même à faire trancher un enjeu clair.

Sans compter que pour la deuxième fois de suite, les libéraux ont obtenu moins de votes que les conservateurs.

Les libéraux de Justin Trudeau ne sont sans doute pas les premiers qui aient tenté de profiter d’une avance dans les sondages pour gagner plus de pouvoir. Mais dans le contexte d’une nouvelle tradition d’élections à date fixe, tous les quatre ans, dans le contexte d’une pandémie qui s’étire, il ne devrait pas être acceptable qu’un gouvernement dissolve le Parlement à des fins purement partisanes.

Justin Trudeau n’avait d’ailleurs pas l’excuse de la pandémie : toutes les mesures qu’il a proposées ont été acceptées par le Parlement. Rien ne l’empêche de faire adopter les règles sur la vaccination dans les avions, les trains, les emplois relevant du fédéral, etc.

Il voulait la majorité ; il voulait aussi une tentative de réélection avant les mois de gouvernance plus difficiles qui s’annoncent pour les deux prochaines années : crise budgétaire, lassitude générale, etc.

Le Parti libéral n’est même pas passé près d’une défaite devant la Chambre. Et toutes ses justifications n’ont convaincu personne.

Si les libéraux ont été réélus, c’est par dépit, par manque d’options crédibles… et parce que moins de deux ans plus tard, les gens n’ont pas tant changé d’idée.

Si le gouvernement Trudeau avait raté sa gestion pandémique, il aurait été éjecté ; en ce sens, cette pluralité des sièges est une approbation. Mais ça s’arrête là. On n’est plus dans la phase de la pandémie où les oppositions se taisaient et où l’appui était massif. L’esprit critique a repris ses droits, et comme les libéraux l’ont appris au mois d’août en Nouvelle-Écosse, une victoire électorale n’est plus automatique en pandémie.

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Ce qui nous mène aux conservateurs.

Évidemment, pour Erin O’Toole, c’est une défaite encore plus grave, peut-être plus cuisante que celle de son prédécesseur, Andrew Scheer. Malgré l’avantage d’une campagne déclenchée par opportunisme, malgré les efforts d’Erin O’Toole pour recentrer son parti, malgré la nette amélioration de son français, malgré sa réinvention d’image… le Parti conservateur reste au même point. Confiné aux Prairies, à l’Ontario rural et à la région de Québec, plus quelques gains en Atlantique.

Le Parti conservateur est-il encore capable de gagner le centre ? On dirait que sur toute une série d’enjeux, il est incapable de s’arrimer aux préoccupations du Canada contemporain, ou du moins du Canada urbain. Sur les changements climatiques, le PCC a encore de la difficulté à reconnaître l’évidence scientifique. Sur les armes à feu, encore une fois, ses politiques ne passent pas dans les grandes villes. Le chef a beau être « pro-choix », il a des dettes politiques envers la droite religieuse qui l’a aidé à se faire élire.

On dirait que ce « nouveau » Parti conservateur porte encore le poids de ses origines albertaines. Encore une fois, la députation québécoise, nostalgique des années Mulroney, s’y trouve en porte-à-faux.

Or, sans un minimum de succès dans les grands centres, le parti est condamné à l’opposition.

Ce résultat en fait pose la question de l’alternative politique.

Peut-être tout simplement que les gens n’ont pas eu le temps de changer d’allégeance politique en 23 mois… Mais le seul autre parti capable de prendre le pouvoir à la place des libéraux montre à nouveau son incompétence à générer une solution de rechange crédible.