On peut comprendre le Bloc québécois d’avoir choisi Ensaf Haidar pour porter ses couleurs dans Sherbrooke. Pour le parti politique, la femme du blogueur saoudien Raïf Badawi est une belle prise : une preuve que le Bloc n’est pas seulement composé de Québécois « pure laine ».

Surtout, Ensaf Haidar est une figure connue bien au-delà de sa ville d’adoption. Son inébranlable détermination pour faire libérer son mari, qui croupit dans une geôle d’Arabie saoudite depuis près de dix ans, force l’admiration.

On peut comprendre la direction nationale du Bloc, donc, d’avoir imposé sa décision aux militants de Sherbrooke : là-bas, c’est Ensaf Haidar qui tentera de ravir la circonscription à la députée libérale Élisabeth Brière.

Le Bloc a choisi Ensaf, d’accord, mais pourquoi Ensaf a-t-elle choisi le Bloc ? Est-ce pour plaider la cause de son mari aux Communes ? Pour militer en faveur de la laïcité ? Pour la souveraineté du Québec ?

Qu’est-ce qui fait donc courir cette femme ?

« Le Québec, c’est ma famille. Il m’a beaucoup aidée. Je trouve que c’est mon pays, ici », m’explique-t-elle dans un café de la rue Wellington, à Sherbrooke. L’entrevue se déroule entièrement en français — parfois un peu hésitant.

« Quand je sors du Québec, je trouve que je sors du pays. Ce n’est pas la même langue, ce n’est pas la même culture. Je suis québécoise. Et c’est assez rouge, au Canada. J’aimerais avoir plus de pouvoirs pour le Québec [à Ottawa]. »

Et l’indépendance ? « Je trouve que c’est secondaire. » Pour le moment, elle espère surtout contribuer à amplifier la voix du Québec aux Communes.

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En 2018, Ensaf Haidar avait appuyé Maxime Bernier. Au Toronto Sun, elle avait justifié cet appui par le fait que le chef du Parti populaire du Canada dénonçait les islamistes qui, « sous la burqa de la diversité, font des porte-drapeaux des femmes canadiennes musulmanes et marquent leur territoire ».

Depuis, elle a adouci son discours.

« J’ai appuyé Maxime Bernier. Pas son parti, mais la personne. Je suis avec tous ceux qui vont m’aider à aider Raïf. C’est ça, mon combat. Chacun a ses opinions et c’est correct. L’important, c’est aider Raïf » à recouvrer la liberté.

C’est une « ligne » qui reviendra souvent au cours de notre entretien. Pour aider son mari, Ensaf Haidar accepte le soutien de tous, peu importent leurs positions idéologiques.

Ça vaut pour Maxime Bernier comme pour ses autres fréquentations, présentes ou passées, au Québec ou ailleurs.

Ces dernières années, elle a multiplié les dénonciations virulentes de l’islamisme sur les réseaux sociaux. Elle ne s’est pas gênée pour y tenir des propos polémiques — au point que Twitter a suspendu son compte français, en 2019.

« Non, il n’a pas été suspendu, me corrige-t-elle. C’est juste que moi, j’avais deux pages, en français et en anglais, et c’était trop pour moi… Non, non, non, il n’a pas été suspendu. »

Et pourtant…

« Croyez-le ou non, @Twitter a suspendu mon compte français !!!! », s’était-elle insurgée sur son compte anglais, le 15 août 2019. Elle s’était adressée au fondateur de Twitter, Jack Dorsey : « Si vous aimez ou craignez les islamistes, honte à vous. Ce n’est pas mon cas. »

Elle avait joint une capture d’écran à l’appui…

CAPTURE D’IMAGE TIRÉE DE TWITTER

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C’est commode, pour la candidate bloquiste, d’affirmer que si elle s’est associée avec toutes sortes de gens plus ou moins fréquentables par le passé, c’était juste pour aider Raïf Badawi.

Le seul problème avec cette « ligne », c’est qu’on se demande inévitablement si Ensaf Haidar s’associe désormais au Bloc… juste pour aider Raïf Badawi.

Elle me dit que non, pas seulement. Elle se porte candidate pour redonner aux gens de Sherbrooke, qui l’ont tant soutenue au cours des dernières années.

Elle le fait aussi pour Raïf. Elle juge que le gouvernement Trudeau n’en fait pas assez pour son mari, qui devrait sortir de prison dans six mois, mais qui sera toujours coincé en Arabie saoudite, avec interdiction de quitter le pays pendant encore dix ans.

Elle implore Ottawa de lui accorder la citoyenneté, ce qui lui permettrait — peut-être — d’obtenir un sauf-conduit pour le Canada. Si elle est élue, elle n’hésitera pas à plaider sa cause.

Mais si Ensaf Haidar se porte candidate, c’est surtout… parce qu’elle peut le faire.

« Quand j’étais en Arabie saoudite, je n’avais pas le droit de voter, je n’avais pas le droit de me présenter. Ici, j’ai le droit. Pourquoi n’utiliserais-je pas ma liberté ? »