Montréal n’accueillera donc pas de matchs de la Coupe du monde 2026, ce tournoi de soccer qui se déroulera au Mexique, aux États-Unis et au Canada. L’Hôtel de Ville l’a confirmé, mardi. Montréal n’accueillera pas la Coupe du monde pour la même raison que je n’achèterai pas de Ferrari : c’est trop cher.

Montréal était en lice pour accueillir trois matchs de la phase préliminaire du gigantissime tournoi de foot planétaire de 2026. Coût estimé, selon mon collègue Alexandre Pratt (1) : 300 millions de dollars.

Oui, vos calculs sont bons : on parlait de 100 millions par match !

Il y a quelques mois, le gouvernement du Québec avait signalé son intention de ne pas « investir » un sou dans le tournoi de la FIFA, le richissime organisme qui régit le soccer international. Le désistement de Montréal était carrément écrit dans le ciel…

Montréal n’est pas la seule ville à s’être fait tirer l’oreille sur le continent, pour 2026. Le 14 mars 2018, le média britanno-colombien The Breaker News (2) a publié les demandes de la FIFA aux autorités locales pour le privilège d’accueillir le Mondial 2026…

Congé de taxes d’une durée de 10 ans (!), prise en charge de toutes les dépenses, y compris celles de la sécurité et de la mise à niveau des stades, black-out sur d’autres « grands évènements » avant, pendant et même après la tenue des matchs : la FIFA est l’incarnation même d’un certain néo-libéralisme qui normalise la privatisation des profits et la socialisation des coûts. De tous les coûts…

Quatre jours après les révélations du Breaker News, le gouvernement de la province a signalé qu’il n’allait pas donner un « chèque en blanc » à la FIFA pour que Vancouver obtienne des parties. Le même jour, Minneapolis et Chicago faisaient la même chose.

Trois ans et demi après Minneapolis, Chicago et Vancouver, Montréal se joint donc à ce club des villes qui ont décidé de ne pas payer pour le privilège d’engraisser le compte de banque de la FIFA.

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Le désistement de Montréal, de même que les désistements d’autres villes qui étaient ouvertes à la possibilité d’accueillir des parties du Mondial 2026, est un signe des temps.

Il fut une époque où les villes du monde se battaient pour le privilège d’accueillir de grands évènements comme la Coupe du monde de soccer ou les Jeux olympiques. C’est de moins en moins le cas (3). Dans les démocraties, les gens se mobilisent et se demandent si ça vaut vraiment la peine d’accueillir ces évènements qui coûtent des milliards à organiser…

Comment, que dites-vous, les retombées économiques ?

Le plus souvent, les promesses de retombées économiques liées au sport-spectacle sont vides… si on s’éloigne des cercles des consultants payés par les groupes qui veulent prouver aux États qu’il faut « investir » dans un tournoi, dans un stade, dans un club.

Chez les économistes indépendants qui étudient le sport-spectacle, il n’y a pas de débat : c’est un mauvais « investissement ». Ce n’est pas « payant », ou alors si peu. L’économiste américain Andrew Zimbalist, spécialisé dans le sport-business, a maintes fois déboulonné ce mythe. L’expertise de l’auteur de Circus Maximus (sur la folie d’accueillir les JO et le Mondial) est bien résumée dans ce texte du Harvard Magazine de 2015 (4).

Je cite le professeur Zimbalist, sur la candidature (ratée) de Boston pour les JO de 2024 : « Les villes comme Boston sont déjà célèbres, littéralement et métaphoriquement. Pour des villes moins connues comme Calgary, les données montrent que les gains en notoriété sont éphémères. Les gens qui, de par le monde, ont l’argent pour visiter Boston connaissent déjà la ville ; regarder une compétition dans un stade, un gymnase ou un centre aquatique ne va pas créer de nouvel intérêt. »

J’extrapole, à propos de Montréal qui n’aura pas le privilège d’accueillir trois matchs du Mondial 2026 pour la modique somme de 300 millions : le touriste moyen ne se serait de toute façon pas précipité sur Expedia pour réserver ses vacances d’été 2027 à Montréal simplement parce qu’il a vu le Stade olympique à la télé.

Pas de Coupe du monde en 2026 ? Ç’aurait été sympathique, à bon coût. Montréal va s’en remettre.

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Il n’y a pas si longtemps, on aurait dit au diable la dépense, sortez les milliards, lancez les bulldozers, cachez les pauvres. Fallait dire qu’on existe, fallait impressionner la visite…

Mais le monde a rétréci : le tourisme n’est plus réservé au jet-set, à une poignée de chanceux. On n’a plus besoin des JO pour découvrir une ville, un pays.

Et les temps ont changé : onze villes voulaient les JO de 2004 (Athènes)… deux voulaient ceux de 2024 (Paris). (5)

Je peux me tromper, mais le citoyen moyen, en démocratie, n’a désormais que très peu d’intérêt à dépenser des milliards pour impressionner des visiteurs qui vont passer en coup de vent pendant deux, trois, quatre semaines.

Peut-être que le citoyen moyen, de nos jours, veut que sa ville l’impressionne, lui.

Des parcs, des pistes cyclables, des places publiques, grandes et petites, des rues piétonnes, des transports en commun, des offres de divertissement diversifiées, des saillies de trottoir, des arbres et encore des arbres et encore des parcs, un accès à la mer, à la rivière, au fleuve…

Bref, vivre dans des villes pleines de vie. Vivables.

Et tant mieux si, après, ça attire des touristes.

Lisez (1) la chronique d’Alexandre Pratt Lisez (2) les demandes de la FIFA 2026 (en anglais) Lisez (3) l’article de CBC sur le sujet (en anglais) Lisez (4) le Harvard Magazine sur le sujet (en anglais) Lisez (5) l’article de la BBC sur le sujet (en anglais)