Ma chronique de vendredi sur l’obsession de la transmission du coronavirus par surface m’a valu un abondant courrier. Comme je l’écrivais (1) : les risques de contracter le virus en manipulant une poignée de porte ou une boîte de thon sont microscopiques, pour ne pas dire inexistants.

Ma chronique faisait suite à un reportage du Devoir sur les privations imposées aux patients en santé mentale, à cause de la pandémie. Certaines de ces privations sont sans doute aussi crève-cœur qu’inévitables. Mais interdire livres et magazines dans une aile psychiatrique au nom du danger viral est aussi cruel que pseudoscientifique.

Au début de la pandémie, nous avons nagé dans une confusion tout à fait compréhensible face à ce virus inconnu. Nous lavions les surfaces comme si la chanson Lavez, lavez de Martine St-Clair (2) était devenue le nouvel hymne national. On sait désormais, études scientifiques à l’appui, que le réel danger réside dans les aérosols et dans les gouttelettes dans l’air.

Pas grave : on lave méticuleusement les paniers d’épicerie — on me signale même des magasins qui désinfectent le chariot roulant des caisses enregistreuses entre chaque client —, on interdit les cartes Pokémon à l’école et même le partage de ballons, je sais qu’on disait jusqu’à récemment à des citoyennes de laisser leurs sacs à main dans leur voiture quand elles allaient se faire vacciner dans les Laurentides, soi-disant pour contrer le virus…

Je me suis fait dire dans un café que les toilettes étaient fermées sur ordre de la Santé publique, comme s’il y avait un risque plus élevé à aller pisser qu’à acheter un sandwich dans ledit établissement…

Et, lundi, nouvelle alerte : la Santé publique a averti (3) les écoles que chaque élève qui signe l’album de finissants doit avoir son propre crayon. Pas de partage, vade retro fomite !

Je répète : le risque de contracter le virus par fomite — par surface interposée — est d’à peu près zéro. Vu les efforts de désinfection consacrés à nettoyer des surfaces, on tombe dans ce que The Atlantic a étiqueté dès janvier comme une forme de « théâtre sanitaire » (4). On n’est pas dans le principe de précaution quand les risques de contracter le virus par fomite sont plus faibles que ceux d’être frappé par la foudre.

Cette folie touche toutes sortes d’institutions, privées et publiques. Désinfecter en vain est une perte de temps, sème la confusion dans l’esprit du public quant aux mesures qui sont fondées et quant à celles qui ne le sont pas. Sans oublier les coûts : la revue scientifique Nature (5) a rappelé que la régie des transports publics de New York aura consacré, entre février 2021 et 2023, plus de 380 millions US en désinfection des surfaces… Immensément plus que pour contrôler la ventilation.

Si j’étais parano, je dirais que l’obsession de la transmission par les cartes de Pokémon dans les écoles et par les magazines dans les hôpitaux a l’immense avantage de faire diversion, pendant que les systèmes de ventilation d’un autre siècle ne dissipent pas les aérosols infectés. Mais je ne suis pas parano, donc je vais juste mettre l’obsession des fomites sur le compte d’une mauvaise communication de la Santé publique.

Mais il y a quand même quelque chose de puissamment contradictoire, scientifiquement parlant, à ce que l’obsession des fomites soit présente dans les centres de vaccination. Dans ces centres, on injecte des vaccins qui constituent des miracles de la connaissance. Il n’y a pas de précédent pour des vaccins créés si rapidement, face à une si grande menace…

Et pendant qu’on injecte ce miracle de la science dans le haut du bras des Québécois, on désinfecte les chaises de plastique avec des lingettes chlorées, ce qui est aussi efficace contre le virus que de faire une prière.

Parlant de bêtise

Dimanche, le ministre Christian Dubé a posé comme des milliers de Québécois en recevant son vaccin. Dans son cas, il s’agissait de sa deuxième dose d’AstraZeneca.

M. Dubé relaie à profusion les images de personnes qui se font vacciner avec une formule qu’il a répétée des dizaines de fois, sur Twitter : « Une autre Québécoise heureuse d’être vaccinée ! »

Dimanche, on m’a aussi signalé que le CISSS des Laurentides interdit les photos de gens qui se font immuniser dans ses centres de vaccination. On m’a cité le centre de vaccination situé sur le boulevard Labelle, à Blainville.

Vérification faite avec le CISSS lundi matin : « Tous nos sites de vaccination appliquent l’orientation ministérielle qui nous demande de ne plus autoriser ce type de photographie lors de l’acte de vaccination… »

Moi : « Euh, c’est parce que le ministre l’a fait, hier… »

CISSS : « Nous validons et nous vous revenons. »

Revérification refaite par le CISSS, il n’y a pas d’orientation ministérielle qui interdit les selfies, juste la peur d’avoir peur de déranger quelqu’un quelque part, parce-que-la-vie-privée, parce-que-des-caves-font-des-lives-Facebook-antivax.

Le chroniqueur (6) Santé du Globe and Mail André Picard soulignait il y a quelques semaines que ces selfies de vaccination normalisent l’acte de se faire injecter le vaccin. De la belle publicité positive et civique qui supplante tout possible désagrément.

Parlant de bêtise, bis

Vendredi dernier dans ce journal, j’ai frotté les oreilles d’un employé du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal qui avait déclaré au Devoir que les livres et magazines étaient interdits à l’Institut Douglas, pour ne pas prendre de risque avec le virus…

Je me suis moqué de ce monsieur qui perpétue bien sûr une sottise, mais je trouvais un peu plate qu’il paie pour être le relais d’une paranoïa qu’il n’a quand même pas créée… Rien qui ne m’aurait valu une tape sur les doigts du Conseil de presse, mais quand même : j’ai fait effacer son nom de la chronique originale.

Quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, quand j’écorche quelqu’un dans cette chronique, je ne le regrette pas. J’y ai pensé, j’ai pesé mes mots, j’écris la critique, pis… C’est ça qui est ça. Dans son cas, en me relisant, ben… Je me suis trouvé cheap. Mea culpa, Monsieur.

1. Lisez « Pour en finir avec les fomites » 2. Écoutez la chanson Lavez, lavez de Martine St-Clair 3. Lisez l’article du Journal de Montréal 4. Lisez l’article de The Atlantic (en anglais) 5. Lisez l’article de Nature (en anglais) 6. Lisez l’article du Globe and Mail (en anglais)