(Québec) La vérificatrice générale lève un drapeau rouge sur la qualité des services éducatifs en CPE et en garderies. Le tiers des installations échoue en moyenne à leur évaluation. Par ailleurs, le déclin du ratio d’éducateurs qualifiés se poursuit et n’est pas atteint dans plus de 8 garderies non subventionnées sur 10, en 2023.

C’est un dur bilan que dresse la vérificatrice générale qui a évalué la qualité des services de garde éducatifs à l’enfance. Guylaine Leclerc a publié jeudi le dernier volet du Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2023-2024.

Le tiers des services de garde éducatifs, en CPE et en garderies, ont échoué à l’évaluation depuis sa mise en place en 2018 par le ministère de la Famille. Il s’agit d’un taux cumulatif pour l’ensemble des installations, excluant les services de garde en milieu familial. Pour les garderies subventionnées et non subventionnées en 2022-2023, le taux d’échec est encore plus important et atteint 60 %.

La performance est loin des cibles du gouvernement Legault. Dans son plan stratégique de 2019-2023, le ministère avait comme objectif que le taux d’échec annuel passe à 18 % au cours de cette période. « Il a plutôt crû de manière importante et a dépassé l’estimation du ministère, particulièrement dans les garderies », souligne le rapport de la vérificatrice générale. En 2022-2023, le taux d’échec est de 41 %.

En deçà de ces seuils, la qualité éducative est jugée faible et doit faire l’objet d’un suivi attentif, indique Mme Leclerc dans le document.

Taux d’échec de la mesure d’évaluation et d’amélioration de la qualité éducative

2022-2023

  • CPE : 21 %
  • Garderies subventionnées : 57 %
  • Garderies non subventionnées : 59 %
  • Taux d’échec pour 2022-2023 : 41 %
  • Cumulatif depuis 2018 : 30 %

Par ailleurs, le ministère « n’a pas commencé à réaliser l’évaluation de la qualité éducative des services de garde en milieu familial reconnus ni planifié quand elle débutera », déplore Mme Leclerc.

Ces constats ont rapidement rebondi au Salon bleu où la ministre Suzanne Roy a affronté un tir de questions des libéraux, solidaires et péquistes.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

La ministre de la Famille, Suzanne Roy

« On va faire l’analyse du rapport de la Vérificatrice dans les détails, mais je peux vous dire que le travail, il se fait. Il y a du suivi », a plaidé la ministre à la période des questions.

On a mis en place des mesures pour soutenir les services de garde éducatifs à l’enfance partout au Québec pour pouvoir justement offrir des milieux sécuritaires à tous les enfants du Québec. Et c’est le cas. Les milieux sont sécuritaires.

Suzanne Roy, ministre de la Famille

En mêlée de presse, la ministre a assuré que si « des éléments supplémentaires » sont à corriger à la lumière du rapport de la vérificatrice générale, elle « va le faire ». Elle rappelle les défis liés à la pandémie et à la pénurie de main-d’œuvre.

Peu de suivi du ministère

L’évaluation de la qualité éducative d’une installation prévoit que lorsqu’un service de garde échoue, il doit produire et mettre en œuvre un plan d’action. Or, la vérificatrice générale conclut après examen que le Ministère n’a pas reçu le tiers des plans d’action qui devaient lui être transmis.

Au surplus, « une grande part de ceux qu’il a reçus était de qualité insuffisante », écrit-elle.

En raison de la pandémie, Québec a suspendu l’exigence générale de fournir un plan d’action. Cependant, à partir de novembre 2020, la firme responsable des évaluations a transmis des alertes au ministère lorsqu’elle jugeait que « la qualité éducative d’un service de garde préoccupante ». À ce moment, Québec s’était engagé à intervenir auprès de l’installation malgré la suspension.

Sur les 34 services examinés par la VG et ayant fait l’objet d’une alerte, 13 seulement ont eu un suivi du ministère. « De plus, le ministère n’a pas reçu de plan d’action pour 31 de ces situations, et ce, malgré la gravité des situations signalées », note-t-elle.

Par ailleurs, l’intervention du ministère était plutôt limitée et pouvait se résumer à un coup de téléphone, souligne la vérificatrice générale.

Au total, quelque 1643 installations ont été évaluées entre 2019 et 2022, ce qui représente la moitié des services de garde éducatifs en installation. Les groupes d’enfants de 3 à 5 ans ont été ciblés.

Déclin des ratios

La vérificatrice générale montre d’ailleurs du doigt la diminution du ratio de personnel éducateur qualifié pour expliquer ce qui pourrait avoir contribué à la baisse de la qualité éducative. « En effet, les services de garde éducatifs dont le ratio de personnel éducateur qualifié est plus faible échouent davantage à l’évaluation que ceux dont le ratio est plus élevé », souligne-t-elle.

Par ailleurs, la proportion des services de garde en installation qui n’atteignaient pas le ratio de deux éducateurs qualifiés sur trois a continué d’augmenter entre 2018 et 2023, passant de 32 à 46 %. Ce taux explose dans les garderies non subventionnées alors qu’il atteint 86 % en 2023.

Après les avoir réduit les ratios pendant la pandémie, Québec s’est donné comme objectif un retour graduel à un ratio réglementaire de deux éducateurs qualifiés sur trois d’ici avril 2027.

Ce que nous avons constaté, c’est que ce ratio-là de deux sur trois en avril 2027 est pratiquement impossible à atteindre.

Guylaine Leclerc, vérificatrice générale du Québec

Ces conclusions sont « des plus inquiétantes » selon l’Observatoire des tout-petits, alors que « l’on sait que plusieurs études démontrent que la fréquentation d’un service de garde éducatif à l’enfance peut constituer un facteur de protection pendant la petite enfance, en particulier chez les enfants issus de milieux défavorisés, à condition qu’il soit de qualité. »

Encore du plomb dans l’eau

Le portrait n’est guère mieux au chapitre des plaintes. La vérificatrice générale déplore « le ministère n’a établi aucun critère formel pour déterminer si une plainte est prioritaire ou urgente ». De plus, la moitié des plaintes relatives à des pratiques ou à des attitudes inappropriées « ne font l’objet que d’un rappel des bonnes pratiques auprès des services de garde éducatifs, sans vérification des allégations ».

« Certains manquements relatifs à la santé et à la sécurité des enfants sont observés dans une proportion pouvant atteindre 75 % des inspections dans les installations de services de garde éducatifs », écrit-elle. Dans 20 % des inspections, le ministère n’a pu vérifier l’absence d’empêchement, ce qui pourrait vouloir dire la vérification des antécédents judiciaires.

« On n’est pas capables de savoir actuellement avec les données dans le système, est-ce que c’était un problème grave ou c’était, somme toute, mineur », a précisé la vérificatrice générale adjointe, Caroline Rivard.

Par ailleurs, plus de 15 % des installations n’ont pas encore fait l’objet d’un test pour mesurer la concentration du plomb dans l’eau. Québec doit présenter un règlement pour que les installations respectent les obligations liées à la présence de plomb dans l’eau.

Le ministère de la Famille traite 1100 plaintes par année.

La période couverte par les travaux d’audit s’étend d’avril 2018 à septembre 2023.

Ce qu’ils ont dit

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Jennifer Maccarone, députée du Parti libéral du Québec

Qu’est-ce que le gouvernement attend pour parler de la qualité des services de garde ici au Québec ? C’est ça qui est supposé de rayonner. On est supposés d’être le paradis pour nos enfants, pour nos familles ici, mais ça reste que les familles vont être inquiètes quand ils vont lire ce rapport.

Jennifer Maccarone, députée du Parti libéral du Québec

Le rapport le démontre, étendre le réseau des CPE et valoriser la profession d’éducatrice sont la clé de la solution. Or, la CAQ ralentit la création de places en CPE et fait des offres insuffisantes aux éducatrices.

Guillaume Cliche-Rivard, député de Québec solidaire

Notre conclusion, c’est que le gouvernement, qui a promis la création de places, veut le faire à toute vitesse, en privilégiant le modèle des garderies privées, sans se soucier de la qualité des services offerts.

Joël Arseneau, député du Parti québécois

C’est un signal d’alarme sérieux qui est envoyé par une instance neutre et cela vient mettre en lumière le défi de la qualité. Bien qu’il ait aussi des enjeux à relever, le modèle CPE, à but non lucratif administré par des parents, est le modèle qui génère le plus de qualité et qui est le plus susceptible d’assurer la sécurité des enfants. Choisissons-le.

Marie-Claude Lemieux, co-directrice générale de l’Association québécoise des CPE

La diminution du ratio de personnel éducateur qualifié contribue sans aucun doute à la baisse de la qualité éducative. […] La situation ne va donc pas aller en s’améliorant si rien n’est fait. On remarque que contrairement aux garderies privées à but lucratif, subventionnées ou pas, les CPE tirent beaucoup mieux leurs épingles du jeu au niveau de la qualité des services. C’est vers ce modèle que devrait aller le gouvernement.

Stéphanie Vachon, représentante du secteur CPE à la FSSS-CSN

Les CPE et le réseau public performent globalement mieux. Maintenant, nous pensons qu’il y a un coup de barre à donner pour attirer et retenir des intervenantes en petite enfance pour assurer l’accessibilité et la qualité des services.

Éric Gingras, président de la CSQ