Peu avant 10 h, au son des klaxons et des grondements de moteurs, une bonne centaine de tracteurs ont pris la route à partir de Saint-Clet, dans l’ouest de la Montérégie. Sur une route de campagne où les champs boueux attendent soit d’être labourés pour y faire pousser des légumes, soit d’être excavés pour faire pousser de nouveaux immeubles de logements, ils ont paradé bruyamment sur une vingtaine de kilomètres vers Saint-Lazare, puis Vaudreuil-Dorion, pour finalement se poser dans le stationnement d’un centre commercial où les attendaient d’autres manifestants armés de pancartes.

Ce qu’il faut savoir

En décembre dernier, les producteurs agricoles ont demandé un soutien financier accru de Québec.

Depuis le début de mars, de nombreuses manifestations se sont tenues dans plusieurs régions agricoles. D’autres sont prévues jeudi et vendredi.

Fin mars, le premier ministre François Legault a déclaré qu’il y a « une crise en agriculture présentement », tout en admettant que les normes imposées aux producteurs québécois sont plus strictes qu’ailleurs.

Sur la scène, une succession de porte-parole des sections locales de l’Union des producteurs agricoles (UPA) se sont adressés à la foule. « Il y a 20 ans, ces terres étaient des champs. Maintenant, c’est de l’asphalte », a notamment dit Philippe Lauzon, jeune producteur agricole de la relève. « Prenez cinq secondes pour imaginer vos terres devenir un stationnement. »

« C’est-tu ça qu’on veut ? », a hurlé l’animateur en s’adressant aux quelque 200 producteurs agricoles devant lui. « Noooon ! », a répondu la foule.

C’était la seconde manifestation des producteurs agricoles de la Montérégie à se tenir depuis le début du mois. D’autres sont déjà annoncées jeudi, à Laval, et vendredi, à Saint-Hyacinthe.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Le président de l’UPA, Martin Caron

« Je n’ai jamais vu un niveau de grogne aussi élevé dans le monde agricole », a dit le président de l’UPA, Martin Caron, présent sur place.

À la racine de cette colère, les producteurs ciblent deux sources principales de frustration.

D’abord, la « lourdeur bureaucratique » qui leur est imposée, la « paperasse » qui les oblige, disent-ils, à passer trop de temps à remplir des formulaires, que ce soit pour se conformer à un programme de financement, une nouvelle certification ou une demande de visas pour des travailleurs étrangers.

Ensuite, les difficultés économiques importantes auxquelles ils sont confrontés : taux d’intérêt élevés, aide financière insuffisante pour compenser les pertes de récolte, hausse des coûts des intrants, de la machinerie, de la main-d’œuvre… qui grugent leurs revenus, au point de mettre certaines exploitations en péril.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Manifestation des producteurs agricoles de la Montérégie

Écofrais dans la ligne de mire

L’exemple des « écofrais » – appliqués sur le carburant et sur le matériel agricole – est souvent cité comme un irritant majeur. « Juste les écofrais pour le diésel et le propane, ça a coûté 80 millions aux producteurs agricoles l’an dernier », dit Martin Caron, de la Fédération de l’UPA de la Montérégie. Pour les plastiques agricoles, dit M. Caron, c’est 5,5 millions de dollars que les producteurs ont dû verser. « On nous demande d’être compétitifs avec les producteurs des autres provinces ou des États-Unis, mais eux, ils n’ont pas ces coûts-là à assumer. C’est une concurrence déloyale. »

Depuis 2015, ajoute M. Caron, les producteurs agricoles ont versé 415 millions de dollars en écofrais, sans que cet argent ne leur revienne pour aider à verdir leurs pratiques. « On demande soit une abolition des écofrais, ou encore, que l’argent soit réinjecté dans le monde agricole pour faire face aux changements climatiques et à la transition écologique. On veut récupérer cet argent, on veut aider les producteurs à faire face à ces enjeux-là. »

« Avec la pandémie, il y avait un intérêt incroyable pour le biologique, l’alimentation locale. Et là, on dirait que les Québécois sont retournés à leur train-train quotidien », se désole Frédéric Thériault, de la ferme coopérative Tourne-Sol, aux Cèdres. Le nombre de clients pour ses paniers bio et ses semences est en baisse.

Nous, on était là quand c’était la pandémie, et que tout le monde avait peur de manquer de nourriture. Je pense que ce serait le temps pour la population d’être là pour les producteurs agricoles.

Frédéric Thériault, de la ferme coopérative Tourne-Sol, aux Cèdres

« D’année en année, dans notre région, on voit plus de tornades, de grosses tempêtes, de la grêle, des déluges… Les changements climatiques, on les voit de face », résume Hélène Sabourin, de la ferme Les Petites Écores, à Pointe-Fortune. « Les assurances sont mal adaptées pour les petits producteurs comme nous. En fait, on n’a pas d’assurances. »

Des politiciens, mais pas d’élus

Contrairement à la manifestation qui s’est tenue une semaine plus tôt à Saint-Jean-sur-Richelieu, aucun représentant du gouvernement ni aucun député n’étaient sur place pour s’adresser aux producteurs. Ce qui n’a pas empêché d’autres politiciens de venir apporter leur soutien aux manifestants.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Le candidat pressenti à la direction du Parti libéral du Québec Denis Coderre était présent sur les lieux.

Moins de 1 % du dernier budget provincial a été consacré à l’agriculture, ont dénoncé en chœur les producteurs. « Ça n’a pas de bon sens », a acquiescé le candidat pressenti à la direction du PLQ Denis Coderre, présent sur les lieux. Alors, combien faudrait-il consacrer au secteur ? « Faut que ce soit suffisant. On parle de souveraineté alimentaire et on nous répond avec un référendum sur l’immigration… »

De son côté, le chef du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime, également sur les lieux, ne s’est pas avancé à vouloir accorder une plus grande proportion du budget provincial à l’agriculture. « Avant de commencer à aider l’agriculture, il faudrait arrêter de lui nuire », dit-il. « On ne peut pas égorger les agriculteurs pour bien paraître sur le plan environnemental. Il faut qu’ils compétitionnent à armes égales avec la concurrence qui vient d’ailleurs. »