La saisie des actifs de Christian Bordeleau ordonnée par la Cour supérieure du Québec a fait l’objet d’une fuite d’information par une policière, qui aurait permis à M. Bordeleau d’en cacher une partie. L’incident a déclenché une enquête criminelle interne du Service de sécurité publique de la MRC des Collines-de-l’Outaouais, a appris La Presse.

La policière visée par cette enquête criminelle qui a duré « plusieurs semaines », Cristel Lanthier, a depuis été innocentée, mais elle a fait l’objet de mesures disciplinaires, montrent des documents judiciaires auxquels La Presse a eu accès. Le directeur du service de police de la MRC des Collines-de-l’Outaouais, Martial Malette, n’a pas jugé nécessaire de divulguer les conclusions de cette enquête au ministère de la Sécurité publique du Québec, selon un document de cour.

La MRC des Collines-de-l’Outaouais a refusé de commenter puisque le dossier est judiciarisé.

Cette policière et le Service de sécurité publique de la MRC font l’objet d’une poursuite de 1 million de dollars intentée par deux ex-partenaires d’affaires de Christian Bordeleau. Ils allèguent que la policière a commis une « faute lourde » en révélant à Christian Bordeleau par texto qu’il ferait l’objet d’une saisie le lendemain matin.

Cette fuite lui aurait permis d’« effacer tous ses historiques d’appel ou de messages textes de son téléphone préalablement à la perquisition du 20 mars 2023 ainsi que de camoufler certains éléments de preuve », allèguent les poursuivants.

Ses ex-partenaires, Nikolaï Ray et Joël Lavoie, ont obtenu en mars 2023 une série d’ordonnances du tribunal permettant la saisie de tous les comptes bancaires, appareils informatiques et actifs immobiliers de M. Bordeleau, qu’ils soupçonnent d’une fraude de 1,7 million à leurs dépens.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Huit hommes d’affaires se disent victimes à différents degrés de « manœuvres frauduleuses » de Christian Bordeleau. En bas, Joël Lavoie et Nikolaï Ray, de MREX, ainsi que Michel Labrie. En haut, Renaud Gouin-Labrosse, Alexandre Numainville, Denis Leclerc, Claude Hamel et Mathieu Leclerc.

M. Bordeleau conteste vigoureusement la validité de la saisie, qui a été ordonnée selon lui « sur la base d’affidavits [déclarations sous serment] mensongers ». « Je ne connais pas la policière, elle est innocente dans cette situation », dit-il.

La veille de l’exécution de la saisie, les huissiers ont rencontré la lieutenante Cristel Lanthier au poste de police de la MRC des Collines-de-l’Outaouais pour coordonner l’opération, indiquent les documents de cour.

Selon la déclaration sous serment faite par l’huissier coordonnateur Yvan Martimbault, c’est le technicien informatique qui a trouvé « dans les textos de [Christian Bordeleau] un message envoyé par la policière » la veille de l’opération, lui annonçant qu’il allait faire l’objet d’une saisie. L’huissier affirme qu’il n’a pourtant jamais donné à la policière le numéro de téléphone de M. Bordeleau. « Les demandeurs se questionnent réellement s’il s’agit d’une négligence grossière de Lanthier ou qu’elle a consciemment et volontairement fait faire échouer la “perquisition” », écrivent-ils dans leur poursuite.

Dans un document judiciaire consulté par La Presse, la policière Lanthier jure n’avoir aucun lien avec Christian Bordeleau et assure que la fuite n’était pas délibérée.

Le dossier devrait être entendu par la cour au mois de juin, mais déjà, la juge Judith Harvie a déclaré qu’« il y a lieu de conclure à la possibilité réelle d’une destruction de preuve », dans un jugement renouvelant les ordonnances de saisie visant Christian Bordeleau.

« Les demandeurs aiment à dire que j’ai détruit des documents, mais nous n’avons, en plus d’un an [de procédures judiciaires], jamais vu de preuve de cela », affirme M. Bordeleau.

Allégations d’usurpation d’identité et d’adresses

Dans un autre document de cour, les ex-partenaires de Christian Bordeleau allèguent que ce dernier a usurpé l’identité d’un autre Christian Bordeleau qui habite en Ontario lorsqu’il a immatriculé une de ses sociétés.

La déclaration d’immatriculation de cette entreprise, obtenue par La Presse auprès du Registraire des entreprises du Québec, montre que M. Bordeleau a effectivement déclaré être domicilié à une adresse de Stittsville, en Ontario, en septembre 2022.

Lorsque l’huissier s’y est rendu, en avril 2023, l’homme qui leur a répondu s’appelait bien Christian Bordeleau, mais cet homonyme ne ressemblait en rien au Christian Bordeleau visé par les saisies. Il disait n’avoir aucune entreprise et n’avait pas la même date de naissance que lui, indiquent les documents de cour.

M. Bordeleau attribue cette confusion à « une simple erreur du bureau du notaire » qui avait un autre client s’appelant Christian Bordeleau dans sa clientèle.

Dans le cadre de la saisie, les huissiers ont également frappé à la porte d’un comptable de Gatineau, Richard Beaulieu, dont le bureau était utilisé – contre son gré – par Christian Bordeleau comme adresse de correspondance commerciale.

Ce comptable dit avoir envoyé des courriels à Christian Bordeleau pour « exiger fermement » qu’il cesse d’utiliser son adresse. « J’ai fini par perdre patience. J’ai fait les changements moi-même [au Registraire des entreprises] », dit M. Beaulieu en entrevue à La Presse.

« Je ne suis pas une cachette ! Sa façon de faire n’a pas passé le test. »

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