Deux combattants volontaires québécois partis servir aux côtés des Ukrainiens, dont le commandant d’une unité qui a recruté des dizaines d’Occidentaux depuis le début de la guerre, sont morts en Ukraine au cours des derniers jours. Les deux décès ont rapidement été récupérés par la propagande russe.

Jean-François Ratelle, connu sous le nom de guerre de Hrulf, était le fondateur de la Brigade normande, une organisation qui a été parmi les premières à enrôler des soldats étrangers en Ukraine.

Le Québécois de 38 ans serait mort à la suite d’une opération militaire qui a mal tourné dans la région de Belgorod, ont confirmé plusieurs sources différentes. M. Ratelle aurait succombé, après une dizaine d’heures, à une blessure à la tête infligée par un tir russe, selon une avocate qui représente les combattants étrangers en Ukraine, mais qui demande de taire son nom pour des raisons de sécurité. D’autres combattants étrangers qui ont participé à cette opération seraient portés disparus.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE LA BRIGADE NORMANDE

Des membres de la Brigade normande, en Ukraine. Jean-François Ratelle apparaît au centre, sans couvre-chef.

Sa mort a été mentionnée sur un compte Telegram prorusse qui, sous prétexte de « traquer des nazis » en Ukraine, publie des photos de combattants étrangers en révélant leur nom complet et certains détails permettant de les retracer.

Un ancien fantassin du Royal 22e Régiment meurt

L’autre victime québécoise est Alain Derasp, un ancien fantassin du Royal 22e Régiment qui a notamment participé à plusieurs missions de l’ONU et de l’OTAN en Bosnie-Herzégovine, ainsi qu’à des missions au sein du Corps de logistique des Forces armées canadiennes en Afghanistan.

L’ambassade de Russie en Afrique du Sud, en campagne active sur les réseaux sociaux pour décourager de potentiels combattants étrangers de prêter main-forte à l’Ukraine, a publié lundi un billet sur X soutenant que M. Derasp, 49 ans, avait été « éliminé » alors qu’il agissait comme « mercenaire ».

Une photo du soldat prise il y a quelques années en compagnie de l’ex-premier ministre Stephen Harper accompagne la publication de l’ambassade de Russie, ce qui a été perçu comme un geste intrusif par un proche de M. Derasp. Cette personne se demande comment les autorités russes ont eu accès à cette image qui ne semble pas provenir du domaine public.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE X DE L'AMBASSADE DE RUSSIE EN AFRIQUE DU SUD

Alain Derasp en compagnie de l'ancien premier ministre Stephen Harper. Cette photo a été publiée sur la page X de l'ambassade de Russie en Afrique du Sud.

Alain Derasp serait mort d’un infarctus, le 27 février, découlant d’une pneumonie contractée en Ukraine, selon un militaire canadien qui a une connaissance des faits. Il avait été mis en congé depuis quelques jours et n’était pas près du front au moment de sa mort. Son ancienne conjointe affirme qu’il ne participait pas activement aux combats, mais agissait comme instructeur en premiers soins.

Le Royal 22e Régiment mettra ses drapeaux en berne le week-end prochain en l’honneur de cet ancien adjudant, père de quatre enfants. « Les gens sont fiers de lui, ce qu’il a fait l’honore », affirme son ancienne conjointe, qui ne souhaite pas que son nom soit rendu public.

Au moins une dizaine de combattants canadiens, dont trois Québécois, ont perdu la vie en Ukraine depuis le début de la guerre, selon une compilation faite par Defend Ukraine Foundation. Cette organisation de Vancouver recueille des dons pour acheminer de l’équipement militaire aux combattants volontaires.

Aucune loi canadienne n’interdit à des citoyens d’aller se battre pour un pays étranger, pourvu que celui-ci ne figure pas sur la liste des entités terroristes.

Quelques jours après le début de la tentative d’invasion russe en Ukraine, le président Volodymyr Zelensky avait lancé un appel invitant les soldats étrangers de partout dans le monde à se joindre à sa Légion internationale de défense territoriale.

Cette unité n’a cependant jamais été fonctionnelle.

« L’honneur du champ de bataille »

Les premiers combattants étrangers qui sont entrés en Ukraine après l’appel de M. Zelensky ont rejoint différents groupes, dont la Brigade normande que dirigeait Jean-François Ratelle.

PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Un soldat ukrainien se réfugie dans une tranchée près de Bakhmout, en septembre 2023.

M. Ratelle avait toutefois admis, lors d’une entrevue avec La Presse, qu’il avait de la difficulté à convaincre les autorités ukrainiennes de laisser sa formation participer à des opérations au front. L’accès à de l’armement et à de l’équipement de protection est aussi vite devenu un problème criant, ce qui a poussé une soixantaine de combattants volontaires à déserter son unité. Beaucoup d’entre eux n’avaient aucune véritable expérience sous les feux.

« Il était pris dans des problèmes bureaucratiques assez typiques de ce qu’on voit dans la chaîne de commandement ukrainienne », affirme le combattant volontaire Wali, qui s’est brièvement joint à la Brigade normande en 2022, sous les ordres de M. Ratelle. Un conflit entre les deux soldats a vite éclaté.

Avant de fonder la Brigade normande, Jean-François Ratelle a d’abord été membre réserviste des Forces armées canadiennes, puis s’est joint à la Légion étrangère française pendant un certain nombre d’années.

Il a précédemment eu une courte carrière de combattant d’arts martiaux mixtes. Son ancien entraîneur, Dominic Morin, se souvient d’un jeune homme téméraire « qui se cherchait une voie » lorsqu’il l’a pris sous son aile, autour de 2010. « Il n’était pas très structuré », mais quand il s’est mis à s’entraîner plus sérieusement pour faire des combats, « c’est devenu une affaire d’honneur », raconte M. Morin.

« Je l’ai revu environ un an après qu’il s’est enrôlé dans la Légion étrangère. Le prestige du soldat, l’honneur du champ de bataille, c’était devenu extrêmement important pour lui », dit-il.

Avec Pierre-André Normandin, La Presse