(Ottawa) David Yeo s’est retiré comme administrateur de Dalian Enterprises inc. deux jours après avoir été suspendu de son poste de fonctionnaire par le ministère de la Défense nationale. La Presse a obtenu une copie du formulaire que la firme a fait parvenir au gouvernement fédéral pour l’aviser de ce changement en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions.

Dans une déclaration transmise aux médias la semaine dernière, Dalian indiquait que M. Yeo avait pris les dispositions nécessaires pour éviter les conflits d’intérêts lorsque son rôle au sein de la Défense nationale est passé de consultant à employé en septembre 2023. Il n’aurait donc pas reçu de double rémunération du gouvernement comme employé et comme contractuel.

« M. Yeo a honoré cet accord, n’a eu aucune implication dans la gestion ou les opérations de Dalian et n’a eu accès à aucune information confidentielle de Dalian », avait écrit un porte-parole de l’entreprise qui avait refusé de se nommer.

« M. Yeo a également déposé le dossier de conflit d’intérêts approprié auprès du ministère de la Défense nationale, a démissionné de son poste d’administrateur et de dirigeant de Dalian et a placé ses actions de Dalian dans une fiducie sans droit de regard », avait-il ajouté.

Une demande de clarification envoyée à l’entreprise mardi est demeurée sans réponse.

La nouvelle de la suspension d’un troisième fonctionnaire lié au fiasco financier d’ArriveCAN avait eu l’effet d’une bombe sur la colline du Parlement à la fin du mois dernier. La Presse avait également révélé quelques jours plus tôt que M. Yeo avait ouvert deux sociétés dans des paradis fiscaux depuis 2011, qui sont reconnus par les experts pour favoriser le camouflage des transferts de fonds et l’évasion fiscale.

Son entreprise est l’une de celles qui ont reçu le plus d’argent public pour le développement de cette application controversée, soit 8 millions, selon la vérificatrice générale. Karen Hogan a publié un rapport dévastateur le mois dernier sur les dépassements de coûts entourant le développement de cette application imposée à la frontière durant la pandémie de COVID-19.

Dalian, qui compte seulement deux employés à temps plein, a également obtenu 149,5 millions de contrats depuis 2008, dont plus de 3 millions pour ceux accordés par la Défense nationale, selon les données tirées des comptes publics.

Une 11e enquête

Par ailleurs, le scandale d’ArriveCAN fera l’objet d’une nouvelle enquête, cette fois de la commissaire à l’intégrité du secteur public. Harriet Solloway se penchera sur les allégations d’actes répréhensibles commis en lien avec le développement de l’application et celles de représailles à l’endroit des deux autres fonctionnaires suspendus sans salaire dans la foulée de cette affaire.

Il s’agit de la 11e enquête après celles de la vérificatrice générale, de l’ombudsman de l’approvisionnement, de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), du comité parlementaire des opérations gouvernementales, des comptes publics et de celles lancées par plusieurs ministères.

La Gendarmerie royale du Canada enquête également sur des allégations de malversations émises par la firme montréalaise Botler AI dans le cadre d’un autre projet de technologie de l’information antérieur à ArriveCAN. Elle évalue toutefois le rapport de la vérificatrice générale publié le mois dernier sur le fiasco financier entourant l’application.

« L’une des pires tenues de registres financiers »

Dans ce rapport, Karen Hogan avait estimé son coût à près de 60 millions sans pouvoir le déterminer avec exactitude. « C’est probablement l’une des pires tenues de registres financiers que j’ai jamais vues », avait-elle affirmé. Elle avait révélé des irrégularités dans l’attribution de ces contrats à GC Strategies, une firme de deux employés sans expertise en technologies de l’information qui a par la suite sous-traité le travail.

La commissaire à l’intégrité a confirmé l’ouverture de son enquête « sur plusieurs allégations d’actes répréhensibles tels que définis dans la loi en lien avec le développement et la gestion d’ArriveCAN » dans une lettre adressée récemment à la députée conservatrice Kelly Block dont La Presse a obtenu copie. Elle écrit être bien au fait de la motion adoptée le mois dernier par le comité des opérations gouvernementales pour réclamer la tenue de cette nouvelle enquête.

Mme Solloway prévient également que son bureau traite déjà des plaintes de représailles soumises par les deux fonctionnaires suspendus en lien avec ArriveCAN, Cameron MacDonald et Antonio Utano. Ils travaillaient à l’époque pour l’ASFC qui avait octroyé les contrats pour l’application, dont ceux à GC Strategies et Dalian. Ces deux firmes de dotation ont récemment perdu leur cote de sécurité qui leur permettait d’obtenir des contrats du gouvernement fédéral.

Lorsqu’ils avaient témoigné en comité en février, MM. MacDonald et Utano avaient accusé la haute direction de l’ASFC de mentir dans l’affaire ArriveCAN pour camoufler sa propre incompétence.

Le Commissariat à l’intégrité du secteur public est une agence indépendante du Parlement créée en 2007 pour protéger les lanceurs d’alerte.

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