(Ottawa) La vérificatrice générale est incapable de déterminer le coût exact d’ArriveCan en raison de la mauvaise tenue des livres comptables de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), constate-t-elle dans un rapport dévastateur dévoilé lundi. Karen Hogan estime tout de même que l’application, dont la facture s’élevait au départ à 80 000 $, a coûté environ 59,5 millions aux contribuables.

Ce qu’il faut savoir

  • Des pratiques douteuses entourent le développement de l’application ArriveCan.
  • Elle a été lancée par le gouvernement en pleine pandémie de COVID-19 pour gérer l’arrivée des voyageurs au Canada.
  • La version initiale de l’application a coûté 80 000 $, mais son coût a grimpé en flèche pour atteindre 59,5 millions, selon la vérificatrice générale.

« C’est probablement l’une des pires tenues de registres financiers que j’ai jamais vues », a affirmé Karen Hogan en conférence de presse, en prenant soin de préciser qu’elle réalise ce genre d’audit depuis quelques décennies. Et la pandémie ne peut être utilisée comme excuse, a-t-elle souligné.

Elle s’étonne du « manque d’informations de base » pour justifier les factures des consultants et du fait qu’il n’y avait « aucun endroit où les attribuer » dans les registres financiers de l’ASFC afin d’assurer un suivi adéquat du projet. Ses questions, celles des parlementaires et de la population demeurent donc sans réponse.

Mme Hogan a dit ne pas être en mesure de savoir si de la documentation avait été supprimée ou si elle n’a tout simplement jamais existé. L’ASFC a lancé une enquête en 2022 sur la conduite de certains de ses employés dans ce dossier, et deux d’entre eux n’y travaillent plus. Elle a également transmis certaines informations à la Gendarmerie royale du Canada.

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

Karen Hogan, vérificatrice générale du Canada

L’application ArriveCan, développée dans l’urgence de la pandémie de COVID-19, a coûté au départ 80 000 $. Or, elle a nécessité 177 mises à jour entre son lancement à la fin du mois d’avril 2020 et la levée des mesures sanitaires, en octobre 2022.

Les voyageurs devaient y indiquer leur statut vaccinal et leurs coordonnées à leur arrivée au Canada avant d’effectuer une quarantaine. Son usage n’est plus obligatoire depuis le 1er octobre 2022, mais elle peut encore être utilisée pour faire les déclarations de douane et d’immigration dans les grands aéroports du pays.

« Non-respect flagrant des pratiques »

Le rapport d’une trentaine de pages « démontre un non-respect flagrant des pratiques de gestion élémentaires ». La vérificatrice générale fait état de nombreuses lacunes et faiblesses à toutes les étapes du projet, soit dès la conception, la surveillance et, enfin, la reddition de comptes.

Elle remarque que 18 % des factures vérifiées dans son échantillon ne contenaient pas suffisamment de renseignements pour qu’elle puisse déterminer s’il s’agissait de dépenses liées à ArriveCan ou à un autre projet.

Nous avons constaté que dans bien des cas, aucune information détaillée sur les travaux exécutés ne figurait sur les factures et les feuilles de présence connexes soumises par les entrepreneurs que l’Agence avait approuvées.

Extrait du rapport de la vérificatrice générale

La plus grosse part des 59,5 millions est allée à la firme de consultants GC Strategies. Le gouvernement a versé 19,1 millions à l’entreprise de deux employés, selon les estimations de la vérificatrice générale. L’attribution du premier contrat à GC Strategies est toutefois nébuleuse, puisqu’elle a participé à l’élaboration des critères pour l’appel d’offres.

La firme a d’ailleurs invité les hauts fonctionnaires responsables du dossier à une dégustation de whisky. En vertu de leur code de conduite, ceux-ci auraient dû aviser leur supérieur, qu’ils y aient participé ou non, pour éviter les conflits d’intérêts ou les apparences de conflits d’intérêts.

Drapeaux rouges dès février 2022

Le leader parlementaire du Bloc québécois, Alain Therrien, a rappelé que son parti avait soulevé des problèmes dès février 2022. « Le gouvernement fédéral, clairement, a laissé aller les choses comme si, pour lui, une gestion saine des finances publiques n’était pas à l’agenda », a-t-il déploré.

Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, est allé encore plus loin. « Je crois que c’est de la corruption », a-t-il avancé en point de presse. L’application, qu’il a surnommée « ArriveScam », a coûté « 750 fois plus cher » et il n’y a aucune preuve que « 75 % des entrepreneurs » ont bel et bien effectué le travail pour lequel ils ont été payés, a-t-il justifié.

Le chef néo-démocrate, Jagmeet Singh, n’est pas allé jusqu’à crier à la corruption, mais a tenté de lier cette affaire à la hausse du coût de la vie, à l’instar des conservateurs. « C’est un exemple de comment les libéraux sont déconnectés et que leur gaspillage fait mal aux gens », a-t-il dit.

Les règles n’ont pas été suivies

« On a toujours une responsabilité ministérielle de s’assurer que l’argent des contribuables est bien dépensé, a reconnu le ministre de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc. C’est une responsabilité qu’on prend au sérieux. »

Il a noté que les règles n’avaient pas été suivies dans le cas d’ArriveCan. « Et moi, j’ai pleine confiance dans la présidente de l’ASFC de prendre toutes les mesures qui s’imposent », a-t-il ajouté.

La vérificatrice générale recommande entre autres à l’Agence de faire preuve de plus de rigueur pour sa tenue de dossier et dans l’attribution de contrats.