(Ottawa) Le ministère des Services publics et de l’Approvisionnement a transféré à son tour des informations sur GC Strategies à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) après avoir mené sa propre enquête sur les allégations entourant cette entreprise au cœur du fiasco financier d’ArriveCAN. La firme vient de perdre sa cote de sécurité du gouvernement et est donc exclue de tous les contrats fédéraux.

« Comme tous les Canadiens, nous trouvons que cette situation est inacceptable, a réagi le premier ministre Justin Trudeau jeudi. On a des questions sur comment l’approvisionnement a fonctionné à l’intérieur de la fonction publique et on s’attend à ce qu’il y ait des enquêtes et des conséquences pour quiconque aurait brisé la loi. »

D’autant plus, si des gens en ont profité pour s’enrichir avec les mesures mises en place par le gouvernement durant la pandémie « pour aider les Canadiens », a-t-il spécifié.

Le fait que GC Strategies a élaboré les critères d’un appel d’offres pour ensuite l’obtenir sans aucune concurrence a soulevé un drapeau rouge au sein du ministère des Services publics et de l’Approvisionnement (SPAC).

Cette information avait été dévoilée il y a quelques semaines dans un rapport dévastateur de la vérificatrice générale sur l’explosion des coûts de l’application ArriveCAN durant la pandémie. La première version avait coûté 80 000 $, mais le projet a fini par atteindre près de 60 millions.

« On a trouvé suffisamment d’éléments de preuves pour établir que l’un des dirigeants principaux de GC Strategies n’était plus en conformité avec le programme de sécurité des contrats », a indiqué jeudi la sous-ministre adjointe de la Direction générale de la surveillance de SPAC, Catherine Poulin.

Les hauts fonctionnaires du ministère témoignaient au comité des comptes publics de la Chambre des communes qui tente de faire la lumière sur les dépassements de coûts d’ArriveCAN.

« La situation actuelle à laquelle nous sommes confrontés en matière d’approvisionnement est bouleversante », a affirmé la sous-ministre de SPAC, Ariane Reza. Elle a souligné qu’elle survenait après les difficiles années pandémiques où les fonctionnaires responsables de l’approvisionnement ont dû travailler d’arrache-pied. La valeur des contrats avait doublé en 2020 et le nombre d’employés pour les traiter est demeuré le même.

GC Strategies, qui compte seulement deux associés, est la firme qui a obtenu la plus grande part des contrats accordés par l’Agence des services frontaliers (ASFC) pour ArriveCAN, soit 19,1 millions selon les estimations de la vérificatrice générale.

La GRC a déjà ouvert une enquête après que l’ASFC lui eut transmis des informations à la suite de sa propre enquête interne. Deux fonctionnaires, Cameron MacDonald et Antonio Utano, ont été suspendus. Ils estiment avoir été victimes de représailles.

La décision de retirer la cote de sécurité d’une entreprise « n’est pas prise à la légère et s’appuie sur des preuves », a affirmé le sous-ministre adjoint de la Direction générale des programmes de l’approvisionnement de SPAC, Dominic Laporte. Dans le cas de GC Strategies, c’est « la somme des allégations en non-conformité » et le résultat de l’enquête interne qui ont poussé le Ministère à la prendre. Il n’a toutefois pas décelé de curriculum vitae falsifié lors de sa vérification, contrairement à certaines allégations.

Conflit d’intérêts

Dalian Enterprises inc., qui a reçu 8 millions pour ArriveCAN, soit la deuxième plus grosse somme, a également perdu sa cote de sécurité après que le gouvernement eut découvert la semaine dernière que son président et fondateur, David Yeo, travaillait à la fois comme fonctionnaire à temps plein et comme consultant.

PHOTO MYLÈNE CRÊTE, LA PRESSE

Une partie des bureaux autrefois occupés par Dalian Enterprises au centre-ville d’Ottawa sont à vendre.

« C’est une situation très inhabituelle », a reconnu la sous-ministre Reza. Elle a ajouté avoir téléphoné au commissaire de la GRC après l’avoir appris et avoir sévi rapidement. Au cours de la dernière année, seulement cinq fonctionnaires ont été congédiés pour avoir contrevenu au Code de valeurs et d’éthique du secteur public.

M. Yeo a également été suspendu de son poste à la Défense nationale, le temps que ce ministère mène une enquête sur cette situation. Mme Reza a indiqué qu’il revient aux fonctionnaires et aux consultants de dévoiler tout conflit d’intérêts.

La Presse avait révélé la semaine dernière qu’il détenait depuis 2011 des comptes dans des paradis fiscaux. Son entreprise, Dalian, fait l’objet d’un audit puisqu’elle est inscrite en coentreprise avec la firme Coradix Technology Consulting au Répertoire des entreprises autochtones du gouvernement fédéral. M. Yeo est membre de la Première Nation d’Alderville, en Ontario. Une partie des bureaux autrefois occupés par Dalian au centre-ville d’Ottawa sont à vendre.

Ottawa s’est donné pour objectif d’accorder annuellement au moins 5 % de la valeur totale de tous les contrats gouvernementaux à des entreprises autochtones, soit l’équivalent de la proportion de la population autochtone au pays. Cela représente environ 1 milliard par année. Ce programme fait également l’objet d’une révision du ministère des Services aux Autochtones dans la foulée du scandale ArriveCAN.

Les contrats de Coradix ont récemment été suspendus, mais elle conserve sa cote de sécurité pour l’instant. Cela signifie qu’elle ne pourra plus soumissionner aux appels d’offres supervisés par SPAC jusqu’à nouvel ordre, mais elle pourrait continuer d’obtenir des contrats de plus petite envergure, pour lesquels les ministères ou agences n’ont pas besoin de l’approbation de ce ministère.

Ces trois firmes de consultants agissaient comme intermédiaire. Elles sous-traitaient le travail octroyé par le gouvernement à des experts en informatique en prenant une commission qui peut varier entre 15 % et 30 % sur les contrats. Le gouvernement fait affaire en tout avec 635 firmes comme celles-ci qui lui fournissent des services informatiques.

« Combien de ces 635 intermédiaires ont deux employés ou moins », a demandé le député conservateur Garnett Genuis. La sous-ministre Reza a répondu que le Ministère est en train de vérifier ces informations.

« Nous devons faire attention à ne pas mettre tous les fournisseurs dans le même panier », a mis en garde le sous-ministre Laporte. Il a précisé que de nombreuses entreprises tout à fait légitimes donnent des services au gouvernement.

En savoir plus
  • 107,7 millions
    Valeur totale des contrats accordés depuis 2011 à GC Strategies et à Coredal Systems Consulting, une autre entreprise qui appartenait à Kristian Firth et Darren Anthony
    Contrôleur général du Canada