(Ottawa) Le président et fondateur de Dalian Entreprise inc., David Yeo, n’a pas reçu de double rémunération du gouvernement comme employé et comme contractuel, selon l’une des firmes qui a obtenu les plus gros contrats pour ArriveCAN. Elle se porte à sa défense dans une déclaration transmise aux médias. M. Yeo a été suspendu de son poste de fonctionnaire la semaine dernière, le temps qu’une enquête interne soit menée.

« Fin septembre 2023, bien après l’achèvement de tous les travaux sur l’application ArriveCAN par Dalian, la relation professionnelle de M. Yeo avec le ministère de la Défense nationale est passée de celle de consultant en services professionnels en TI à celle d’employé », indique l’entreprise.

La déclaration envoyée par courriel n’est pas signée et le porte-parole de Dalian n’a pas voulu s’identifier lorsque La Presse lui a demandé à qui l’attribuer. L’entreprise a indiqué que M. Yeo n’accorderait aucune entrevue pour l’instant.

La nouvelle de la suspension d’un autre fonctionnaire lié au fiasco financier d’ArriveCAN avait eu l’effet d’une bombe sur la colline du Parlement la semaine dernière. La présidente du Conseil du Trésor, Anita Anand, avait affirmé qu’elle n’était « définitivement pas au courant » qu’un des contractants pour le développement de cette application était aussi fonctionnaire dans son ancien ministère. « À mon avis, ce n’est pas normal et ce n’est pas correct », avait-elle dit.

Le chef conservateur Pierre Poilievre a réclamé le congédiement immédiat de M. Yeo ainsi qu’une enquête plus large sur l’attribution des contrats du gouvernement.

Dalian souligne que M. Yeo a cessé de travailler pour Dalian en 2023, qu’il avait conclu « un accord de confidentialité, de non-divulgation et de non-accès » avec l’entreprise qu’il a fondée et qu’il a accepté de s’abstenir « de participer à toute proposition, projet, contrat, entreprise ou autre activité liée, directement ou indirectement, au ministère de la Défense nationale ou à toute organisation du gouvernement du Canada. »

« Depuis qu’il est devenu employé du ministère de la Défense nationale, M. Yeo a honoré cet accord, n’a eu aucune implication dans la gestion ou les opérations de Dalian et n’a eu accès à aucune information confidentielle de Dalian », ajoute l’entreprise.

Elle souligne qu’il avait également fait une déclaration de conflit d’intérêts au ministère de la Défense nationale, avait démissionné de son poste d’administrateur et de dirigeant de Dalian et qu’il a placé les actions de l’entreprise qu’il détenait dans une fiducie sans droit de regard.

Lors de son témoignage au comité des opérations gouvernementales en octobre 2023 sur sa participation au développement d’ArriveCAN, M. Yeo se présentait toujours comme président de Dalian. Il n’avait alors fait aucune mention de son nouveau poste de fonctionnaire à la Défense nationale ni des mesures mises en place pour éviter tout conflit d’intérêts.

« En tant que cadre qui siège au conseil d’administration chez Dalian, j’examine la gouvernance et la façon dont l’entreprise est gérée au quotidien, avait-il expliqué au député conservateur Garnett Genuis qui le talonnait pour savoir ce qu’il faisait dans la vie.

« Je l’ai mérité, en bâtissant cette entreprise durant 23 ans », avait-il ajouté.

Dalian a reçu 8 millions en contrats pour ArriveCAN, selon un rapport dévastateur de la vérificatrice générale sur les dépassements de coûts pour l’application. L’entreprise, qui compte seulement deux employés à temps plein, a également obtenu 149,5 millions de contrats depuis 2008, dont plus de 3 millions pour ceux accordés par la Défense nationale, selon les données tirées des comptes publics.

Le cote de sécurité de Dalian a été suspendue jusqu’à nouvel ordre la semaine dernière par le ministère des Services publics et de l’Approvisionnement après qu’il eut été mis au courant du double emploi de M. Yeo. Cela signifie que l’entreprise se retrouve ainsi complètement exclue du processus d’attribution des contrats. Cette suspension touche également la coentreprise qu’elle forme avec Coradix Technology Consulting pour obtenir des contrats réservés aux Autochtones. M. Yeo est membre de la Première Nation d’Alderville, en Ontario.

Dans sa déclaration, Dalian souligne qu’un récent audit lancé par le ministère des Services aux Autochtones a confirmé que l’entreprise répond aux critères de la Stratégie d’approvisionnement auprès des entreprises autochtones. Le ministère n’a pas été en mesure de confirmer ces informations vendredi.

Elle revient également sur la carrière de M. Yeo dans les Forces armées canadiennes durant 14 ans, de 1987 à 2001, et dans la Réserve durant dix ans, de 2001 à 2011. Ces dates ne concordent ni avec celles fournies par le ministère de la Défense nationale ni avec son témoignage en comité parlementaire. Le Ministère soutient qu’il a servi dans les Forces armées canadiennes durant 29 ans, de 1987 à 2016.

« Au cours de ma carrière de 36 ans dans les Forces armées canadiennes, qui a compté des déploiements en Afghanistan et au Moyen-Orient, j’ai été tenu de faire preuve des plus hauts degrés d’intégrité et, bien sûr, je continue de me comporter de cette manière aujourd’hui », avait affirmé M. Yeo devant les élus en octobre.

La déclaration de Dalian fait état de ses déploiements à Chypre et en Afghanistan et le décrit comme un spécialiste de la sécurité tactique. « D’août à novembre 2010, M. Yeo a été déployé en Afghanistan à titre d’entrepreneur pour le ministère de la Défense nationale afin de fournir une capacité de sécurité de haute assurance aux bases d’opérations avancées. Son équipe a reçu une mention élogieuse du commandant pour son travail », souligne-t-elle.

Elle note qu’il a fondé Dalian en 2002, une entreprise de matériel informatique, de logiciels et de cybersécurité, dont le gouvernement du Canada est le principal client.

La déclaration ne fait aucune mention des deux sociétés ouvertes par M. Yeo dans des paradis fiscaux. Le comité des comptes publics de la Chambre des communes a adopté une motion mardi pour qu’il témoigne de même que le ministre de la Défense nationale, Bill Blair, et trois hauts fonctionnaires du ministère.