Des bureaux de l’entreprise Dalian à vendre

(Ottawa) Des contrats de Dalian Enterprises inc., l’une des firmes de consultants au cœur du fiasco financier d’ArriveCAN, ont été suspendus par le ministère de la Défense nationale (MDN) mercredi, au moment où la firme est en train de se départir d’une partie de ses bureaux au centre-ville d’Ottawa.

La Presse a appris que le président et fondateur de Dalian, David Yeo, qui cumulait le titre de consultant et celui de fonctionnaire fédéral, a également été suspendu par le Ministère.

« En raison de la gravité des préoccupations soulevées, le MDN lance une enquête interne sur cette affaire, a indiqué la porte-parole du Ministère, Andrée-Anne Poulin. Cette personne a été suspendue pendant la durée de l’enquête, et nous procédons à la suspension des contrats avec Dalian. »

« Nous prenons ces préoccupations très au sérieux et nous sommes convaincus que l’enquête interne sera exhaustive et exécutée dans les meilleurs délais », a-t-elle ajouté.

Le ministère de la Défense nationale a confirmé que M. Yeo avait servi dans les Forces armées canadiennes de 1987 à 2016. Il n’a pas précisé à quel moment il avait accepté un poste au sein de la fonction publique.

Dalian, qui dépend des contrats qu’elle reçoit du gouvernement fédéral, semble contrainte de réduire ses activités. Une partie de ses bureaux situés au 7e étage d’un immeuble de la rue Somerset sont à vendre pour près de 1 million, selon une annonce sur le site immobilier realtor.ca affichée depuis plusieurs mois déjà. L’agent immobilier chargé du dossier n’a pas voulu nous dire si Dalian était propriétaire ou locataire.

Dalian partage un « bureau commercial de deux étages » avec Coradix Technology Consulting, qui forme avec elle une coentreprise, avait indiqué Colin Wood, le président de cette société, en comité parlementaire l’automne dernier. M. Wood avait alors révélé que 99 % des contrats de Dalian provenaient du gouvernement fédéral depuis 2007.

La Presse n’a pas été en mesure de confirmer si Dalian occupait toujours d’autres locaux au 5e étage, comme elle l’indique sur son site web. Nos appels à l’entreprise ont été vains.

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Une partie des bureaux autrefois occupés par Dalian Enterprises au centre-ville d’Ottawa sont à vendre.

Après GC Strategies qui en a reçu pour 19 millions, Dalian est la firme de consultants qui a obtenu les plus gros contrats pour ArriveCAN, soit près de 8 millions, selon un rapport dévastateur de la vérificatrice générale.

Guerre des mots aux Communes

« Dans le cas d’ArriveSCAM, une application qui était censée coûter 80 000 $ a coûté en réalité au moins 60 millions de dollars, car la vérificatrice générale a déclaré qu’elle n’avait pas la documentation nécessaire pour faire le calcul complet », a rappelé le chef conservateur Pierre Poilievre lors de la période des questions mercredi. Il a talonné Justin Trudeau, allant même jusqu’à faire un lien entre le fiasco d’ArriveCAN et le scandale de SNC-Lavalin qui avait plombé la fin du premier mandat du premier ministre.

« La situation entourant ArriveCAN est évidemment inacceptable », a rétorqué M. Trudeau.

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Justin Trudeau, premier ministre du Canada

Quiconque a profité de tout ce que nous avons fait pour essayer d’assurer la sécurité des gens pendant la COVID afin de devenir riche en subira les conséquences.

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

Une motion conservatrice pour demander au gouvernement de récupérer les sommes payées en trop pour ArriveCAN d’ici 100 jours a été adoptée mercredi grâce à l’appui du Bloc québécois et du Nouveau Parti démocratique. Les libéraux ont voté contre.

Le mystère s’épaissit

La Presse a révélé mardi que le président et fondateur de Dalian, David Yeo, avait ouvert deux sociétés dans des paradis fiscaux depuis 2011. Un geste qui n’a rien d’illégal en soi, mais qui devrait servir de « drapeau rouge », selon le chef de la direction de la firme d’enquêtes privée Vidocq, Jonathan Légaré.

Lisez « Un pied dans des paradis fiscaux »

Nous avons tenté de joindre M. Yeo à plusieurs reprises depuis la semaine dernière par téléphone et par courriel, sans succès. Une réceptionniste travaillant à la fois pour Mad Ads Interactive et pour Dalian nous a indiqué mercredi qu’elle avait bien reçu nos courriels et qu’ils avaient été transférés aux cadres, dont M. Yeo. Les deux entreprises, qui partageaient les bureaux désormais à vendre de la rue Somerset, sont toutes deux affiliées à Coradix.

Dalian et Coradix forment une coentreprise inscrite au Répertoire des entreprises autochtones du gouvernement fédéral, qui s’est donné pour objectif d’accorder annuellement au moins 5 % de la valeur totale de tous les contrats gouvernementaux à des entreprises autochtones, soit l’équivalent de la proportion de la population autochtone au pays. Cela représente environ 1 milliard par année. M. Yeo est membre de la Première Nation d’Alderville en Ontario.

Dalian n’effectue pas elle-même le travail pour le gouvernement.

« Les apparences sont qu’on dirait que c’est purement un paravent pour que des compagnies qui n’ont pas de liens avec les Autochtones puissent néanmoins recevoir des contrats [destinés aux Autochtones] », a observé en entrevue téléphonique la députée du Bloc québécois Julie Vignola.

La spécialité de Dalian est de soumissionner à des appels d’offres et d’obtenir le contrat, pour ensuite se réserver un pourcentage de sa valeur et sous-traiter le travail à des consultants experts en informatique qui traiteront plus tard directement avec le gouvernement, selon ce qui a été expliqué au Parlement.

La Gendarmerie royale du Canada a ouvert une enquête criminelle à la suite d’allégations d’une firme montréalaise spécialisée en intelligence artificielle qui dénonçait des irrégularités dans un contrat informatique accordé à Dalian, puis sous-traité à d’autres acteurs.

Dalian fait également l’objet d’audits de la part du ministère des Services aux Autochtones à la demande du ministère des Services publics et de l’Approvisionnement.

Les dirigeants de Botler AI avaient accusé Dalian d’avoir utilisé leur identité à leur insu et sans leur consentement dans une stratégie de « passation de contrat avec des entreprises fantômes » entre GC Strategies, Dalian et Coradix dans le cadre d’un projet non lié à ArriveCAN. En d’autres mots, Dalian et Coradix sous-traitaient le travail à GC Strategies qui, à son tour, le sous-traitait à Botler AI.

« À un moment donné, il nous faut combien de consultants pour réussir à avoir du monde qui travaille ? », a demandé Julie Vignola en entrevue.

21 jours pour se conformer

Par ailleurs, la Chambre des communes a donné son feu vert lundi à une motion pour forcer les deux associés de GC Strategies, Kristian Firth et Darren Anthony, à témoigner pour la troisième fois devant le comité des opérations gouvernementales. Ils ont jusqu’au 18 mars pour s’exécuter, sans quoi le sergent d’armes les mettra sous sa garde pour les forcer à comparaître devant les élus. Ils s’exposent à des sanctions, qui devront être déterminées par la Chambre, s’ils refusent d’obtempérer.

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Les locaux de GC Strategies sont situés dans cette résidence dans le secteur de Woodlawn, à moins d’une heure du centre-ville d’Ottawa.

La Presse s’est rendue au cours des derniers jours à l’adresse de GC Strategies dans la région de Woodlawn, à près d’une heure de route d’Ottawa. Ses bureaux sont situés dans une maison grise avec de larges fenêtres dans un quartier résidentiel en bordure de la rivière des Outaouais. Elle était vide au moment de notre passage.

À un kilomètre de là se trouve la résidence de Kristian Firth, l’un des deux associés de GC Strategies. Il ne s’est pas présenté à la porte lorsque La Presse a demandé à lui parler, mais sa conjointe nous a demandé de quitter les lieux. Elle a affirmé que la famille avait reçu des menaces à la suite de la couverture médiatique dont l’entreprise et son mari ont fait l’objet.

Avec la collaboration de Vincent Larouche, La Presse

Une haute fonctionnaire se défend d’avoir mal informé le ministre Duclos

« Ce n’est pas moi qui occupais ces fonctions à ce moment-là » est un refrain repris fréquemment par les hauts fonctionnaires des ministères et agences appelés à témoigner devant les comités qui tentent de faire la lumière sur les dépassements de coûts d’ArriveCAN. Cette réponse a de nouveau été fournie mercredi soir par la sous-ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, Arianne Reza, devant le comité des opérations gouvernementales. Les conservateurs tentaient de savoir pourquoi le dossier de l’application ArriveCAN n’avait pas été inclus dans le cahier de breffage de Jean-Yves Duclos après sa nomination au ministère des Services publics et de l’Approvisionnement en juillet, comme le rapportait La Presse mardi. Elle a soutenu que les fonctionnaires n’avaient pas délibérément caché des informations au ministre. « Il n’y avait pas d’intention de ne pas l’aborder, s’est-elle défendue. C’était à l’étude par la vérificatrice générale à ce moment-là. » Elle a ajouté que le ministre avait été informé à partir du mois de novembre.

Mylène Crête, La Presse