(Ottawa) Des ministres du gouvernement Trudeau ont exprimé leurs inquiétudes après avoir appris qu’une des entreprises ayant obtenu des contrats pour la conception de l’application ArriveCAN a ouvert des comptes bancaires dans des juridictions reconnues comme des paradis fiscaux.

La Presse a révélé mardi que Dalian Entreprises Inc., qui a obtenu des contrats pour ArriveCAN et également pour d’autres projets fédéraux, a ouvert depuis 2011 deux sociétés dans des paradis fiscaux qui sont reconnus par les experts pour favoriser le camouflage des transferts de fonds et l’évasion fiscale.

La Gendarmerie royale du Canada (GRC) a déjà confirmé avoir lancé une enquête criminelle à la suite d’allégations d’une firme montréalaise spécialisée en intelligence artificielle, qui dénonçait des irrégularités dans un contrat informatique accordé à Dalian, puis sous-traité à d’autres acteurs. Elle l’a récemment confirmé à nouveau dans une lettre adressée au chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre.

Le Globe and Mail a calculé récemment que cette entreprise a reçu 95,5 millions de dollars d’Ottawa, seulement pour la période allant de 2016 à 2023.

« C’est préoccupant, a réagi le ministre de l’Industrie, François-Philippe Champagne. C’est pour ça qu’il faut aller au fond des choses. »

Les gens doivent être aussi imputables de leurs actes, les gens sont responsables. Écoutez l’enquête va le déterminer, mais si les gens étaient au courant, s’ils étaient en connaissance de cause, les actes répréhensibles, il faut qu’il y ait des conséquences.

le ministre de l’Industrie, François-Philippe Champagne

Le ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, Jean-Yves Duclos, a référé la question à sa collègue au Revenu national, Marie-Claude Bibeau. « C’est une question qui est importante dans le sens que ça doit faire partie des conversations et des actions du gouvernement canadien », a-t-il répondu.

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, Jean-Yves Duclos

« À chaque fois qu’on entend qu’une entreprise essaie de se défaire de ses obligations en matière de fiscalité, c’est sûr que c’est choquant et je peux vous assurer qu’on a des équipes qui travaillent très fort pour les identifier et pour faire ce qu’il faut pour ramener l’argent à la maison », a affirmé la ministre Bibeau, en prenant soin de préciser qu’elle ne peut pas commenter un cas particulier.

Les renseignements obtenus par l’Agence du revenu du Canada (ARC) dans le cadre d’une enquête sont confidentiels. Ils deviennent publics seulement lorsque l’ARC doit aller en cour ou lorsqu’en cas de pénalité, toutes les mesures d’appel ont été épuisées. L’information se retrouve alors sur le site web de l’ARC.

« On dirait qu’ils n’ont même pas vérifié qu’ils donnaient de l’argent public à une compagnie qui va la mettre de côté par la suite et qui va punir les contribuables québécois et canadiens en ne payant pas leur part d’impôt ici, a déploré le chef adjoint du Nouveau Parti démocratique, Alexandre Boulerice. Je trouve ça très irresponsable de la part du gouvernement, mais ça montre tout leur laxisme sur la question des paradis fiscaux depuis des années. »

« La disposition de comptes dans des paradis fiscaux n’est pas en soi illégale, a rappelé le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet. Mais il serait très, très approprié que le gouvernement de façon systématique refuse tout contrat public avec toute entreprise qui aurait de l’argent dans des paradis fiscaux. »

Les conservateurs ont déposé une motion en chambre afin d’obtenir un rapport détaillé des coûts liés à ArriveCAN, incluant les montants versés aux sous-traitants et de recouvrer les sommes versées à des entrepreneurs qui n’ont pas travaillé au développement de cette application.

La liste des entreprises autochtones revue

La ministre des Services aux Autochtones, Patty Hajdu, n’avait pas été informée des comptes de Dalian Entreprises Inc. dans des paradis fiscaux lorsque La Presse l’a questionnée avant la réunion du Cabinet jeudi avant-midi.

« Je pense que [les personnes à l’origine de] la fraude contractuelle doit être tenue responsable si c’est ce dont il s’agit », a-t-elle dit.

La Presse a révélé samedi que son ministère a récemment lancé un audit sur Dalian Enterprises inc. à la demande du ministère des Services publics et de l’Approvisionnement (SPAC). L’entreprise de deux employés a décroché de nombreux contrats du gouvernement fédéral au cours des dernières années, notamment pour ArriveCAN, grâce à son statut reconnu d’entreprise autochtone.

La ministre Hajdu a indiqué que son ministère était en train de revoir la liste des entreprises qui ont obtenu ce statut et qu’elle pourrait être transférée à des partenaires autochtones. « En fait, c’est vraiment compliqué, car il est parfois difficile de déterminer qui est autochtone », a-t-elle expliqué.

« Il y a parfois des personnes sur la liste que d’autres personnes autochtones peuvent contester, a-t-elle ajouté. Nous essayons donc de déterminer comment procéder pour atteindre l’objectif d’aider les ministères à atteindre l’objectif d’approvisionnement. »

Le président et fondateur de Dalian Enterprises inc., David Yeo, est membre de la Première nation d’Alderville, en Ontario et répond donc à l’un des critères émis par Services aux Autochtones Canada.

En 2021, le gouvernement Trudeau s’est fixé comme objectif d’accorder annuellement au moins 5 % de la valeur totale de tous les marchés publics du fédéral à des entreprises autochtones, soit l’équivalent de la proportion de la population autochtone au pays. Cela représente environ 1 milliard par année.

Cette cible « minimale obligatoire de 5 % en matière d’approvisionnement » est mise en œuvre en trois phases. Toutes les organisations doivent atteindre ou dépasser cette cible au plus tard le 31 mars 2025.

Avec la collaboration de Vincent Larouche, La Presse