Les lieux de retour qu’on projetait pour la fin de 2023 se font toujours attendre

Le déploiement de la phase finale du nouveau système québécois de consigne sur les contenants de boissons accuse des retards et a des problèmes de financement, révèle une enquête de La Presse. L’organisme créé par les embouteilleurs pour le gérer n’a encore ouvert aucun des lieux de retour nouveau genre qui étaient attendus à partir de la fin de 2023.

Le Québec devrait compter 200 de ces lieux consacrés uniquement au retour des contenants consignés le 1er mars 2025, quand la consigne sera élargie à tous les contenants de boissons de 100 mL à 2 L qui ne sont pas encore consignés, comme les bouteilles de vin en verre ou les contenants de carton multicouches pour le lait et les jus, et 400 d’ici 2026.

Mais à moins d’un an de la date butoir, l’Association québécoise de récupération des contenants de boissons (AQRCB), organisation privée qui a été désignée en octobre 2022 gestionnaire du nouveau système de consigne, en vertu du principe de « responsabilité élargie des producteurs », peine à atteindre sa vitesse de croisière.

L’AQRCB a obtenu le 19 février son premier permis de transformation, pour l’aménagement d’un lieu de retour à Granby, au terme de démarches durant lesquelles elle a été rappelée à l’ordre par l’administration municipale. C’est ce que montrent les échanges entre l’organisation et la Ville, obtenus par La Presse en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Une affiche sur la porte du futur lieu de retour, à Granby

« Il semble manquer plusieurs informations sur la nature des travaux » dans la demande de permis, datée du 30 janvier 2024, écrit une fonctionnaire municipale dans un courriel au responsable de l’AQRCB, le 2 février, énumérant les documents à fournir, dont une description des travaux, un plan de construction « signé scellé par l’architecte » et des plans de plomberie, d’électricité et de ventilation.

L’AQRCB a fourni des plans la semaine suivante, mais ils n’étaient ni signés ni scellés, « donc non complets », note ensuite la fonctionnaire dans le dossier, qui mentionne que l’organisation a aussi demandé si elle pouvait amorcer la démolition des locaux existants avant d’avoir obtenu le permis, ce qui lui a logiquement été refusé.

L’AQRCB a aussi obtenu à la mi-février deux « certificats d’occupation » de l’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie, à Montréal, pour l’établissement de lieux de retour à deux endroits distincts dans la rue Beaubien – un tel certificat est requis pour « exercer une activité commerciale ou industrielle », mais ne constitue pas un permis pour effectuer des travaux.

Des démarches sont aussi en cours avec l’arrondissement de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce, mais aucun permis n’a encore été délivré, a indiqué l’administration municipale.

L’AQRCB, qui a refusé d’accorder une entrevue à La Presse pour parler de l’avancement du déploiement du nouveau système, se dit incapable de préciser combien de lieux de retour sous sa responsabilité seront ouverts le 1er mars 2025.

Peu de baux signés

Si l’aménagement des futurs lieux de retour tarde, c’est aussi parce que les démarches de location sont encore peu avancées : l’AQRCB n’a pour l’instant signé que sept baux, a révélé à La Presse Emmanuelle Géhin, présidente-directrice générale (PDG) de la Société québécoise de récupération et de recyclage (Recyc-Québec), de qui relève l’AQRCB.

Ainsi, 136 sites pouvant accueillir des lieux de retour ont en outre été identifiés par l’AQRCB, indique Mme Géhin, qui ajoute que des « démarches ont été entamées pour 80 % » d’entre eux.

L’AQRCB ambitionne d’avoir 200 lieux affectés au retour ouverts le 1er mars 2025, mais elle s’est fixé un objectif « plancher » de 150 à 175 sites, précise Mme Géhin.

« Ça va permettre d’avoir assez de points de retour [pour] ne pas saturer les détaillants », qui constituent les lieux de retour existants, explique-t-elle, ajoutant que tous les lieux de retour seront aménagés dans des bâtiments déjà construits, ce qui devrait accélérer les démarches.

L’AQRCB devra tout de même ouvrir plus d’un lieu de retour par jour ouvrable pour le reste de l’année si elle veut atteindre son objectif de 200 pour le 1er mars, constate la PDG de Recyc-Québec, qui dit ignorer si l’organisation y parviendra.

« J’ai les mêmes questions que vous », a-t-elle déclaré, disant tout de même faire confiance à l’AQRCB pour réussir la phase deux de l’élargissement de la consigne, comme elle a réussi la phase un, l’automne dernier, malgré certains cafouillages1.

L’AQRCB soutient maintenant que les premières ouvertures de lieux affectés au retour auront lieu au printemps : « Nous ne souhaitons pas vous en dire plus pour le moment », a déclaré par courriel la représentante d’une firme externe de relations publiques refusant d’être nommée, soutenant que des annonces seraient faites « sous peu ».

Problèmes de financement

L’AQRCB peine aussi à trouver les fonds nécessaires pour compléter le déploiement de la consigne élargie, si bien qu’elle a dû demander au gouvernement de l’endosser, dans une « demande urgente » de garantie de financement soumise le 27 février au ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP).

Elle y indique faire face à « des difficultés significatives pour sécuriser le financement nécessaire [à sa mission] auprès d’institutions financières », qui s’inquiéteraient de sa capacité à rembourser les prêts contractés.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

La consigne sera élargie à tous les contenants de boissons de 100 mL à 2 L qui ne sont pas encore consignés le 1er mars prochain.

Cette inquiétude serait attribuable à la durée du mandat de l’AQRCB comme gestionnaire du système de consigne, qui est de cinq ans, comme le prévoit la réforme adoptée par le gouvernement Legault.

L’AQRCB évalue « l’ampleur des investissements initiaux nécessaires pour le déploiement du système de consigne » à 125 à 150 millions de dollars, que la dizaine de millions de dollars qui lui a été versée par Recyc-Québec lors de sa désignation ne couvre donc pas.

Les travaux pour l’aménagement du lieu de retour de Granby sont par exemple évalués à 165 000 $, selon les informations figurant sur la demande de permis.

Pourquoi l’AQRCB a-t-elle mis plus de 15 mois à sonner l’alarme sur cet enjeu de financement et à amorcer l’aménagement de ses lieux de retour ?

« C’est une bonne question », répond la PDG de Recyc-Québec, qui se la pose aussi.

1. Lisez l’article « Retour élargi des contenants : une consigne confuse »
En savoir plus
  • 5 milliards
    Quantité anticipée de contenants consignés qui seront retournés lorsque l’élargissement sera complété en 2025, soit le double d’avant la réforme
    source : Association québécoise de récupération des contenants de boissons
    90 %
    Taux de récupération des contenants consignés que l’élargissement de la consigne devrait permettre d’atteindre, contre 73 % avant la réforme
    source : Association québécoise de récupération des contenants de boissons