Cannettes acceptées, mais bouteilles refusées, exclusion de certaines marques, carte de membre exigée pour reprendre des contenants : la réforme de la consigne devait simplifier la vie au grand public, mais elle démarre dans la confusion.

« Celle-là, on ne la prend pas, parce que je ne la vends pas en magasin », a dit la caissière d’un dépanneur Couche-Tard de Longueuil en pointant l’une des deux caisses de bières vides que le représentant de La Presse, incognito, voulait retourner.

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Le journaliste de La Presse dans un dépanneur Couche-Tard identifié comme lieu de retour des contenants consignés

Les exigences imposées aux lieux de retour sont pourtant limpides : « Tous les contenants consignés doivent y être acceptés », indique le règlement entré en vigueur le 1er novembre.

« L’autre fois, je me suis fait chicaner par mon gérant parce que j’ai repris des bouteilles qu’on ne vend pas », s’est défendue la caissière.

Dans un magasin Walmart situé non loin, seules les cannettes d’aluminium et les bouteilles de plastique sont acceptées, contrevenant ainsi au règlement.

« Ce Walmart ne prend pas les bouteilles », a déclaré, désolée, une préposée du service à la clientèle.

La Presse est aussi repartie bredouille d’une succursale montréalaise de la Société québécoise du cannabis (SQDC), pourtant dûment enregistrée comme un lieu de retour.

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Une succursale montréalaise de la Société québécoise du cannabis, enregistrée comme un lieu de retour, a refusé d’accepter des contenants consignés.

« J’suis pas un dépanneur, moi, je recycle [sic] mes bouteilles à moi », a affirmé le directeur du magasin, ignorant lui aussi ses obligations en vertu de la loi.

Réservé aux membres

Au magasin Costco de Longueuil, le remboursement de la consigne est réservé aux détenteurs d’une carte de membre, payante, bien que la réglementation indique que tous les services de retour « doivent être offerts gratuitement ».

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Au magasin Costco de Longueuil, le remboursement de la consigne est réservé aux détenteurs d’une carte de membre, payante, ce qui est contraire à la réglementation.

« Chez Costco, c’est comme un peu privé, c’est pas comme un dépanneur », a argumenté une superviseuse appelée par la préposée ne sachant pas comment rembourser le montant de la consigne à un non-membre.

Cette contravention au règlement, comme les autres constatées par La Presse, risque de miner le succès de la réforme de la consigne, craint Amélie Côté, analyste en réduction à la source chez Équiterre.

« Ce qui est choquant, c’est que le résultat est encore une fois de complexifier la tâche aux citoyens et citoyennes qui vont rapporter leurs contenants consignés et qui veulent contribuer au bon fonctionnement du système », dit-elle.

On a voulu faire un système simple d’utilisation, [mais] si les lieux de retour ne se conforment pas aux obligations, bien, on va manquer le bateau.

Amélie Côté, analyste en réduction à la source chez Équiterre

Un « ménage doit être fait » rapidement, renchérit le directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets, Karel Ménard.

« C’est un nouveau système qu’on implante, on ne peut pas se permettre de rater notre coup », dit-il, déplorant l’opposition qui perdure face à la réforme de la consigne chez ceux et celles qui sont chargés de la faire fonctionner.

« Si tu veux que le système ne fonctionne pas, tu fais exactement ce qu’ils font en ce moment, dit-il. Je me demande si, des fois, on ne fait pas un petit peu exprès pour que le système ne fonctionne pas. »

Karel Ménard estime que l’Association québécoise de récupération des contenants de boissons (AQRCB), l’organisme créé par les embouteilleurs pour gérer le système de consigne, doit consacrer toutes ses énergies à mettre sur pied les lieux de retour spécialisés qui verront le jour en prévision de la seconde phase de la réforme de la consigne, le 1er mars 2025, quand les bouteilles de vin ainsi que les cartons de lait et de jus seront à leur tour assujettis à la consigne.

Anciennes habitudes « bien ancrées »

Les contraventions au règlement sur la consigne constituent des « cas isolés », a affirmé dans un entretien avec La Presse Maryse Taupier, directrice principale de l’exploitation du réseau à l’AQRCB.

« La transition [entrée en vigueur le] 1er novembre, c’est un grand changement aussi pour les acteurs impliqués », a-t-elle justifié, ajoutant que les anciennes habitudes sont « bien ancrées » et qu’une période d’adaptation est nécessaire.

L’AQRCB dit avoir fait le nécessaire pour informer les gestionnaires de lieux de retour du fonctionnement de la consigne, mettant en place un comité de travail avec les grandes chaînes d’alimentation, envoyant des infolettres à tous les détaillants inscrits, mettant à leur disposition une « boîte à outils ».

Les consommateurs qui se butent à un problème sont invités à en informer l’AQRCB au numéro de téléphone 1-877-CANETTE ou par courriel à l’adresse info@consignaction.ca.

« Quand on reçoit des plaintes, on prend contact avec les détaillants, qui sont globalement toujours collaboratifs », assure Maryse Taupier.

La Société québécoise de récupération et de recyclage (Recyc-Québec), qui est chargée de veiller au respect du règlement sur la consigne et à qui l’AQRCB doit donc rendre des comptes, a refusé d’accorder une entrevue à La Presse.

« Le rôle de Recyc-Québec est d’accompagner l’AQRCB », a déclaré dans un courriel Moïse Alex Docteur, porte-parole de la société d’État.

Réussite chez Dollarama… avec persévérance

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De nombreux magasins Dollarama sont désormais des lieux de retour des contenants consignés.

De nombreux magasins Dollarama sont désormais des lieux de retour des contenants consignés, même si le personnel des succursales visitées par La Presse l’ignorait. « On prend pas ça, ici », a d’abord répondu la caissière d’un magasin de Longueuil, avant que la gérante l’informe du contraire en critiquant cette nouveauté. « Je n’ai pas la place pour mettre ça », a-t-elle affirmé, pestant aussi contre le fait que sa caisse enregistreuse prévoit pour la consigne un montant de 5 ¢, et non de 10 ¢, le montant en vigueur depuis le 1er novembre. Peu de gens semblent d’ailleurs retourner leurs contenants consignés chez Dollarama, d’après la réaction de la gérante d’une autre succursale, lors du passage de La Presse : « Ah, mon Dieu, vous êtes le premier ! »

L’a b c de la nouvelle consigne

Depuis le 1er novembre 2023, le montant de la consigne a été uniformisé à 10 ¢ pour tous les contenants consignés et la consignation a été élargie à tous les contenants d’aluminium de 100 millilitres (ml) à 2 litres (L), comme les cannettes de jus ou d’eau pétillante. L’élargissement de la consigne aux autres contenants de boissons de 100 ml à 2 L qui ne sont pas encore consignés, comme les bouteilles de vin et spiritueux en verre ou les contenants de carton multicouches pour le lait et les jus, aura lieu le 1er mars 2025 – le montant de la consigne sur les contenants de verre de plus de 500 ml sera de 25 ¢. Les commerces d’une superficie de plus de 375 m⁠⁠2 où ces produits sont vendus ont l’obligation de reprendre tous les contenants consignés – pas seulement ceux qu’ils vendent. Ceux dont la superficie est inférieure à 375 m⁠⁠2 peuvent le faire sur une base volontaire, mais s’ils le font, ils doivent eux aussi reprendre tous les contenants consignés. Le retour doit être offert gratuitement à tout le monde.

En savoir plus
  • 5 milliards
    Nombre anticipé de contenants consignés qui seront retournés chez les détaillants lorsque l’élargissement sera complet en 2025, soit le double du nombre actuel
    SOURCE : Association québécoise de récupération des contenants de boissons (AQRCB)
    90 %
    Taux de récupération des contenants consignés que l’élargissement de la consigne devrait permettre d’atteindre, contre 73 % actuellement
    SOURCE : Association québécoise de récupération des contenants de boissons (AQRCB)