(Québec) La traditionnelle cabane à sucre, où les Québécois aiment aller manger au printemps depuis des décennies, est frappée par le manque de relève, la hausse du prix des aliments et le manque de personnel.

Des données obtenues auprès du gouvernement montrent que le nombre de cabanes qui offrent des repas dans le temps des sucres a fondu de 34 % en 10 ans. Après un petit regain post-pandémie, elles ont repris leur glissade en 2023 et personne ne sait vraiment quand ce déclin arrêtera.

Il faut distinguer ces cabanes des quelque 8000 qui produisent du sirop, mais n’offrent pas de service de restauration. Celles-ci vont plutôt bien et leur nombre est en croissance.

« On vieillit et on a de la misère à trouver du personnel, on n’a pas de relève. Notre temps est fait ! », observe au bout du fil Denis Bédard, qui soufflera ses 80 bougies dans deux semaines.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Le nombre de cabanes qui offrent des repas dans le temps des sucres a fondu de 34 % en 10 ans.

L’acériculteur a choisi cette année de fermer définitivement au public la cabane à sucre ouverte par son père en 1952 à Saint-Stanislas-de-Champlain, en Mauricie. Les Bédard y servaient des repas depuis 1962. M. Bédard explique que ses fils ne souhaitaient pas reprendre la business des repas. Il a donc mis la clé sous la porte, à regret, mais va tout de même continuer à faire bouillir son sirop tant qu’il en aura la force.

On va s’amuser, moi et mon ami, à faire du sirop. Mais il y a encore des gens qui m’appellent pour venir manger. Ils s’essayent : “Est-ce qu’on pourrait avoir un repas ou deux ?” Mais si on commence ça, on n’a pas fini !

Denis Bédard

À quelques centaines de kilomètres de là, en Beauce, Bertrand Giguère a vécu une situation similaire. L’homme de 86 ans a exploité avec sa femme Géraldine une petite cabane prisée pour ses « crêpes soufflées » et ses « oreilles de crisse » faites à la main.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Géraldine Gagné et Bertrand Giguère ont cessé en 2023 de servir des repas dans leur cabane à sucre.

Ils ont fermé la salle à manger durant la pandémie, puis ont rouvert en 2022. Finalement, en 2023, ils ont décidé que c’était assez. Ils ont rejoint la liste des quelque 90 cabanes à sucre qui ont cessé de servir des repas depuis 10 ans. Ils citent aussi le manque de relève.

« Il y a encore beaucoup de demande des clients. Des cabanes à Saint-Joseph-de-Beauce, où on se trouve, voilà quelques années, il y en avait quatre. Là, il n’y en a plus. Pas une ! »

Les clients au rendez-vous

Fait à noter, aucun propriétaire de cabane à qui La Presse a parlé ne cite la faiblesse de la demande. C’est même l’inverse. Les clients sont au rendez-vous, plus que jamais.

Hugo Lévesque en sait quelque chose. L’homme a récemment racheté une érablière dotée d’une salle à manger, la dernière « vraie cabane à sucre » offrant des repas dans toute l’Abitibi-Témiscamingue, à sa connaissance.

PHOTO FOURNIE PAR HUGO LÉVESQUE

Hugo Lévesque a repris l’une des dernières, sinon la dernière cabane à sucre servant des repas en Abitibi-Témiscamingue.

A priori, il voulait uniquement produire du sirop. Il n’était pas question de servir des repas.

« Je suis rentré dans le resto, il n’y avait plus rien, plus de meubles, de déco. J’étais seul dans cette grande salle là et quelque chose s’est passé », raconte-t-il.

J’ai racheté l’érablière à mon voisin et c’est comme si sa femme, qui est morte mais qui s’est occupée de la salle à manger pendant des années, était encore là. Je ne suis pas spirituel, zéro. Mais j’ai eu un drôle de feeling. Il fallait faire quelque chose avec ça.

Hugo Lévesque

L’acériculteur a donc décidé de repartir la cabane, située à Laniel, au Témiscamingue. Résultat ? Son carnet de réservations déborde. « Ça fait quatre fins de semaine qu’on est ouverts et on a 600 personnes par fin de semaine », indique Hugo Lévesque, propriétaire de Tem-Sucre.

Il raconte qu’il a des clients qui viennent d’Amos ou encore de La Sarre… à trois heures d’auto. « Il y a des gens qui font six heures de route aller-retour, et ils repartent avec le sourire. Donc l’engouement, il est là ! »

Selon lui, les cabanes à sucre doivent faire face aux mêmes enjeux que les restaurants, frappés de plein fouet par la pandémie, puis par l’inflation. Restaurants Canada estime qu’un restaurateur sur cinq au pays devra fermer un établissement dans les prochains mois.

Des données du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), d’abord dévoilées par Le Devoir, montrent que le nombre de restaurants est au plus bas au Québec depuis 10 ans.

Mais à la différence des restaurants, les cabanes avaient commencé leur déclin avant la pandémie, laquelle est venue l’accélérer. Personne ne peut prédire si le nombre de cabanes va se stabiliser.

« J’en parlais à mon gars, qui disait : “ça va tomber”, cette industrie-là, relate Denis Bédard. Mais ça ne tombera pas tout de suite. Le monde revenait chez nous pendant des années. Et là, il continue à nous appeler. »

Hugo Lévesque, lui, pense que l’attachement des Québécois à la tradition de la cabane est trop viscéral pour mourir. « Je pense qu’en 2024, dans l’après-pandémie, les gens veulent revenir à leurs racines, à leurs traditions. Je pense que le monde se raccroche à ça. Et les cabanes, veut, veut pas, ça nous ramène à nos racines. »