Quatre enfants sont debout devant un VUS, un Toyota Highlander, un véhicule comme il s’en vend des milliers au Québec.

Pourtant, pour la personne perchée dans le siège du conducteur, les quatre enfants sont invisibles. Le pompon de la tuque du plus grand dépasse à peine pour signaler la présence du groupe.

Il faut qu’un jeune enfant se place à près de 5 mètres devant le VUS pour être finalement aperçu à travers le pare-brise.

« Les conducteurs de VUS ont souvent l’impression d’avoir un meilleur point de vue sur la route, mais en réalité, ces véhicules ont d’immenses angles morts, explique Sandrine Cabana Degani, directrice générale de Piétons Québec. On ne voit pas les enfants. »

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Le pompon de la tuque du plus grand dépasse à peine pour signaler la présence du groupe.

En compagnie d’Équiterre, Piétons Québec organisait mardi une démonstration de l’importance des angles morts des VUS dans un contexte où 79 personnes se déplaçant à pied ont perdu la vie en 2022, une hausse de 22,7 % par rapport à la moyenne des dernières années, selon la SAAQ.

Les camions légers, dont font partie les véhicules utilitaires sports (VUS) représentaient en 2021 71 % du nombre de véhicules vendus dans la province. Cette « camionnisation » du parc automobile québécois met sur la route des véhicules dont le bilan en matière de sécurité ne tient pas compte de la sécurité des adultes et des enfants présents à l’extérieur du véhicule.

Chaque année, ce sont en moyenne 300 enfants qui sont happés par le conducteur d’un véhicule automobile au Québec – et les collisions véhicule-piéton sont plus nombreuses à l’automne, quand la noirceur arrive plus tôt. « C’est près d’un enfant par jour, note Mme Cabana Degani. Et quatre enfants perdent la vie à la suite d’une telle collision en moyenne chaque année. »

En plus de causer des angles morts importants, le nez surélevé de ces véhicules atteint les personnes au niveau des organes vitaux plutôt qu’au niveau des jambes, comme le ferait une voiture ordinaire. Cela fait augmenter les risques de blessures graves et de décès chez les non-occupants du véhicule.

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Il faut qu’un jeune enfant se place à près de 5 mètres devant le VUS pour être finalement aperçu à travers le pare-brise.

Les collisions provoquées par un VUS sont aussi 28 % plus mortelles pour les autres conducteurs et conductrices, et causent 55 % plus de blessures sévères aux cyclistes que les collisions avec des voitures, signale Mme Cabana Degani.

Plus lourds

Anne-Catherine Pilon, analyste mobilité durable chez Équiterre, note que les conséquences vont au-delà des choix individuels des consommateurs.

« Les VUS sont plus lourds qu’une voiture typique, et la hausse des camions légers sur nos routes, dont les VUS, a été responsable de 50 % de la hausse des émissions de GES au Québec entre 2015 et 2019. On sait aussi que ces véhicules détériorent plus rapidement la chaussée, et aggravent collectivement la congestion routière et le stationnement sur rue en occupant encore plus d’espace sur la voie publique. »

Pour renverser la tendance, Équiterre demande au gouvernement de mettre en place des incitatifs financiers dissuasifs à l’achat de camions légers, notamment au niveau de la hausse des frais d’immatriculation en fonction de la taille et du poids des véhicules, afin de refléter adéquatement leurs impacts plus importants.

« Le Québec pourrait s’inspirer de la France et Washington. La France a imposé une taxe sur l’achat de véhicules pesant plus de 1800 kg, ajoutant 10 euros pour chaque kilo excédentaire, en plus de la taxe sur les émissions de carbone pour les voitures neuves. Washington a proposé une redevance ciblée basée sur le poids du véhicule, avec des frais d’immatriculation significativement différents entre une petite voiture et un pick-up », dit Mme Pilon.

Piétons Québec aimerait que la sécurité des personnes à l’extérieur des véhicules soit intégrée aux tests de sécurité des véhicules. « L’Union européenne, la Chine, le Japon et l’Australie le font déjà. Mais en Amérique du Nord, on choisit de ne pas le faire. En fait, les véhicules des fabricants nord-américains vendus en Europe tiennent compte des piétons, mais pas ceux qui sont vendus ici, ce qui est absurde. »

Problème mondial

Autour de la planète, les pouvoirs publics cherchent de nouveaux moyens de commencer à refiler aux propriétaires de VUS une partie de la facture jusqu’ici assumée par l’ensemble des contribuables.

Mardi, la Ville de Paris a annoncé la tenue prochaine d’un vote dans lequel les Parisiens devront se prononcer sur l’application un tarif de stationnement plus cher pour les VUS lourds.

Ce tarif plus élevé, qui ne concernerait pas le stationnement résidentiel, est proposé par la Mairie de Paris pour « permettre un meilleur partage de l’espace public au bénéfice des mobilités douces, des rues aux écoles et des piétons », a indiqué la mairie dans un communiqué.

« Accidentogènes, lourds, encombrants et polluants, les véhicules VUS sont identifiés par de multiples acteurs institutionnels comme une cause de nombreux problèmes au sein de l’espace public », poursuit la mairie, voulant inciter les automobilistes à renoncer à « une course au gigantisme inadaptée à la qualité de vie en ville ».

La mairie de Paris n’a pas précisé le montant de la hausse de tarif envisagée, le qualifiant toutefois de « très significatif. »

Plus tôt cette année, l’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie, à Montréal, a mis en place une tarification des vignettes de stationnement basée sur le poids des véhicules et la taille du moteur.

En savoir plus
  • 79 %
    C’est le pourcentage des publicités de fabricants automobiles qui mettent en valeur des camions légers, principalement des VUS et des camionnettes, une réalité qui contribue à leur popularité et leur normalisation, et qui devrait faire l’objet d’un contrôle gouvernemental, selon Équiterre.
    Équiterre