Bruits de machines à sous, tactiques pour provoquer des achats impulsifs, publicité indésirable : les développeurs d’applications de jeux gratuits engrangent des profits mirobolants en infiltrant la tête des joueurs, constate Vannara Ty, qui compte 28 ans d’expérience dans le domaine des jeux vidéo à Montréal. Avec une transparence peu commune, le directeur créatif prépare un roman graphique pour révéler les stratégies d’une industrie qui reste loin des projecteurs. Car « personne de l’intérieur n’a encore publié de livre pour décortiquer comment on fait de l’argent avec un jeu gratuit », dit l’illustrateur, qui a autorisé La Presse à en publier quelques extraits.

La Presse a publié la semaine dernière les résultats d’une enquête montrant que des dizaines de jeux gratuits initient les enfants aux jeux de hasard et d’argent, très addictifs. Comment en est-on arrivé là ?

Tout a commencé sur Facebook en 2009, avec le jeu FarmVille, qui faisait entendre des sons de machine à sous. De petits malins ont compris que ça donnait envie aux joueurs de continuer, parce que c’était très valorisant.

  • Vannara Ty compte 28 ans d’expérience dans le domaine des jeux vidéo à Montréal.

    IMAGE TIRÉE DU ROMAN GRAPHIQUE DE VANNARA TY

    Vannara Ty compte 28 ans d’expérience dans le domaine des jeux vidéo à Montréal.

  • Vannara Ty compte 28 ans d’expérience dans le domaine des jeux vidéo à Montréal.

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  • Vannara Ty compte 28 ans d’expérience dans le domaine des jeux vidéo à Montréal.

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  • Vannara Ty compte 28 ans d’expérience dans le domaine des jeux vidéo à Montréal.

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  • Vannara Ty compte 28 ans d’expérience dans le domaine des jeux vidéo à Montréal.

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    Vannara Ty compte 28 ans d’expérience dans le domaine des jeux vidéo à Montréal.

  • Vannara Ty compte 28 ans d’expérience dans le domaine des jeux vidéo à Montréal.

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    Vannara Ty compte 28 ans d’expérience dans le domaine des jeux vidéo à Montréal.

  • Vannara Ty compte 28 ans d’expérience dans le domaine des jeux vidéo à Montréal.

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    Vannara Ty compte 28 ans d’expérience dans le domaine des jeux vidéo à Montréal.

  • Vannara Ty compte 28 ans d’expérience dans le domaine des jeux vidéo à Montréal.

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Les compétiteurs ont transposé ça sur appareils mobiles, avec des feux d’artifice, etc. Mais la symbolique des casinos est beaucoup plus exploitée aux États-Unis et en Chine qu’au Québec, où les concepteurs de jeux sont plus consciencieux.

À quel point le marché des jeux gratuits est-il lucratif ?

Les milliers de jeux qui ne percent pas le marché rapportent très peu ou rien, mais les gros jeux gratuits rapportent facilement plus de 100 millions de dollars par an. Pendant la pandémie, l’argent se ramassait à la pelle. Quand j’ai vu nos revenus après trois mois, j’ai pensé qu’il y avait une erreur ! Ils ont chuté de façon draconienne lorsque les gens se sont remis à sortir et à dépenser ailleurs. Mais ça reste un énorme marché et tout le monde essaie d’obtenir sa part du gâteau.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE LINKEDIN DE VANNARA TY

Vannara Ty

Qu’est-ce qui rapporte le plus ?

Les achats en cours de jeu sont très payants, même si seulement 1 % à 3 % des joueurs en font. Les joueurs engagés dépensent quotidiennement entre 10 et 20 $ par jour. Certains joueurs – qu’on appelle des « baleines » – dépensent sans compter. Ce sont en général des gens qui veulent se classer premiers, quoi qu’il arrive. J’ai déjà cru qu’un gars s’était fait pirater sa carte de crédit, parce qu’il avait versé 10 000 $ en un week-end pour acheter tous nos dragons !

Qu’est-ce qui fait basculer les joueurs vers la dépense ?

On peut savoir ce qu’un joueur fait à la minute près, s’il a regardé une promo, s’il a acheté quelque chose. Après plusieurs refus, on lui présente une offre spéciale en lui donnant une heure pour se décider. Ça arrivera à des instants clés, quand il se sent euphorique parce qu’il vient de gagner ou qu’il lui manque seulement quelques points.

Une fois qu’il a goûté aux avantages que ça procure, retomber dans un jeu très lent sera très désagréable et il n’hésitera plus à payer 5 $ pour retrouver son confort. L’espace entre deux achats se réduira ensuite tout le temps.

Comment suivez-vous les joueurs ?

On insère des marqueurs dans nos lignes de code informatique. Ça nous permet de suivre tous les joueurs d’un coup, ou par pays ou tranche d’âge, etc., pour analyser leur comportement. Si une personne est connectée à Facebook, on pourrait même voir son adresse courriel, son numéro de téléphone, ses amis et tout ce qu’elle partage (à moins qu’elle ait coché tout ce qu’il faut dans son profil). Mais ça ne nous serait pas utile de le savoir, car on s’intéresse aux groupes.

Puisque les achats rapportent autant, pourquoi la majorité des jeux affichent-ils, en prime, autant de publicité ?

Les fournisseurs de pub paient de quelques sous à quelques dollars par millier de vues et ça permet d’aller chercher des millions de dollars additionnels par an. De petits studios inondent le marché avec des jeux « fast food », développés en quelques semaines et vite abandonnés par les joueurs. Ils se font bombarder de pub pour rapporter le plus d’argent possible en peu de temps.

À l’inverse, les grandes entreprises peuvent mettre 80 personnes sur un jeu pendant deux ans. Après, elles font tout pour retenir les joueurs et limitent la pub pour qu’ils ne désinstallent pas le jeu avant de faire des achats et d’amener des amis.

Les jeux de la Chine et du Japon contiennent plus de pub et nous arrivent tels quels.

Comment justifier que des jeux pour petits affichent des publicités de casinos ou de jeux pour adultes ?

Les concepteurs de jeux ne contrôlent pas et ne voient pas la pub que leur envoient les fournisseurs. Ils nous donnent un bout de code, qu’on va intégrer au jeu.

Certains lots de ressources sont très onéreux, mettez-vous des limites ?

Dès qu’on a vu apparaître des lots à 150 $ US, 200 $ US ou 250 $ US, tous les compétiteurs se sont dépêchés d’en offrir. C’est Apple qui a mis fin à l’escalade, en imposant une limite de 100 $ US par achat. On a déjà vendu un mammouth virtuel à 100 $ en pensant que personne ne l’achèterait. Mais de nombreux joueurs l’ont fait !

Est-ce que les lois changent quelque chose ?

Pas tellement… La loi européenne permet aux joueurs d’obtenir les données recueillies à leur sujet, de les faire effacer et de ne plus être suivis. Deux développeurs ont travaillé trois ou quatre mois à temps plein pour ajuster nos codes. Mais finalement, rien ! On a reçu zéro demande de l’Europe ou d’ailleurs !

On s’est aussi conformés à la loi américaine sur les [lots aléatoires]. Si le joueur appuie sur un bouton avant de miser, il peut maintenant découvrir ses chances de tomber sur tel ou tel lot. Mais même quand elles ne dépassent pas 0,0004 %, ça n’a pas fait baisser nos ventes.

Que peuvent faire les parents pour protéger leurs enfants ?

  • Il est possible de bloquer le « tracking » au moment d’installer un jeu.

    CAPTURE D’ÉCRAN LA PRESSE

    Il est possible de bloquer le « tracking » au moment d’installer un jeu.

  • Il est possible de bloquer le « tracking » au moment d’installer un jeu.

    CAPTURE D’ÉCRAN LA PRESSE

    Il est possible de bloquer le « tracking » au moment d’installer un jeu.

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Quand des parents disent que leurs enfants sont trop sur les écrans, mais leur en donnent au resto pour qu’ils restent tranquilles, c’est incohérent, à mon avis. Ils ne doivent pas attendre que leur enfant joue huit heures par jour avant de réagir. Et doivent au minimum bloquer les achats sur leur téléphone ainsi que les notifications et le « tracking » dès l’installation d’un jeu.

Consultez notre dossier « Des casinos pour enfants »