Le projet de réforme de l’immigration du gouvernement Legault désavantage les étudiants des universités anglophones

Dans son projet de réforme de l’immigration, débattu cet automne, le gouvernement Legault donne aux étudiants des universités francophones des avantages auxquels les étudiants des universités anglophones n’auront pas droit.

Ces nouvelles mesures, qui cherchent à favoriser une immigration francophone à travers la filière des études, suscitent plusieurs réactions négatives.

« Est-ce qu’on peut se passer de ces talents en mettant des bâtons dans les roues à leur projet de vie au Québec ? », demande Fabrice Labeau, premier vice-principal adjoint aux études et à la vie étudiante de l’Université McGill. « On travaille fort à aider nos étudiants qui ne connaissent pas le français à l’apprendre. »

Annoncée en juin, cette réforme consiste notamment à revoir les conditions de sélection pour le volet Diplômés du Québec du Programme de l’expérience québécoise (PEQ). Les étrangers diplômés ici pourront avoir un accès rapide et presque assuré à la résidence permanente, et il n’y aura pas de limites quant au nombre de candidats admissibles par année.

Ces nouveaux résidents ne seront pas non plus inclus dans les seuils d’immigration annuels du Québec.

Mais il y a un hic. Ce PEQ modifié ne vise que les étudiants qui ont fait leurs études au Québec en français ou qui ont étudié en français pendant au moins trois ans à temps plein, soit, dans la plupart des cas, des Français qui étudient en anglais.

Les autres, c’est-à-dire les étudiants des universités anglophones qui n’ont pas étudié trois ans en français, n’auront pas accès à ce PEQ, même s’ils parlent et maîtrisent le français. Pour avoir la résidence permanente, ils devront s’inscrire au Programme de sélection des travailleurs qualifiés (PSTQ), un cheminement où les contraintes sont plus nombreuses. Ou encore, faire une demande dans une autre province.

Soutenir l’essor du français

Avec ce nouveau PEQ, le gouvernement Legault cherche à augmenter la rétention des étudiants étrangers diplômés au Québec, en privilégiant les francophones, pour faire en sorte que l’augmentation de l’immigration soutienne l’essor du français.

La progression de l’anglais au Québec, entre le recensement de 2016 et celui de 2021, s’explique en effet en bonne partie par l’augmentation du nombre de résidents temporaires, dont la première langue officielle parlée est souvent l’anglais. Presque la moitié d’entre eux sont des étudiants étrangers.

En outre, les données du dernier recensement ont montré que le fait d’étudier en anglais au niveau postsecondaire est un facteur important menant à l’utilisation de cette langue dans les milieux de travail au Québec, notamment par les allophones.

Le commissaire à la langue française, Benoît Dubreuil, constate aussi, dans son premier rapport déposé en juin, que l’utilisation de l’anglais dans l’espace public et au travail est étroitement liée au fait d’avoir fait ses études postsecondaires dans cette langue.

« Pas vous »

Mais cette stratégie pourrait priver les universités anglophones d’un attrait pour les candidats étrangers. « Pour nos étudiants qui ont un projet de vie au Québec, ça devient plus compliqué tout d’un coup, explique M. Labeau, de l’Université McGill. Il y a une différence pour ces gens qui se voyaient au Québec et qui tout d’un coup se font dire : bien non, pas vous. »

Selon M. Labeau, autour de 20 % des étudiants étrangers de McGill décident de rester au Québec à la fin de leurs études.

« Le taux de rétention des étudiants français ne semble pas plus élevé que la moyenne des étudiants internationaux, dit-il. Donc, pas mal de gens vont se retrouver avec un projet qui se voit rallonger. »

Ils se font envoyer un message qui n’est pas très rassurant par rapport à leur projet de vie. On doit se poser la question en tant que société : est-ce que c’est le message qu’on veut envoyer à ces gens-là ?

Fabrice Labeau, premier vice-principal adjoint aux études et à la vie étudiante de l’Université McGill

L’Université Concordia conteste aussi les nouvelles règles du PEQ. « Les modifications concernant un minimum de trois années d’études secondaires ou postsecondaires en français sont restrictives, et nous craignons que l’on se prive d’immigrants – et d’une main-d’œuvre qualifiée – qui ont étudié ici, connaissent bien le Québec, sont souvent intégrés au point de vue personnel et professionnel, et sont déjà en démarche de francisation », indique la porte-parole Vannina Maestracci.

La Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) est du même avis. Dans son mémoire déposé en juillet, en vue des consultations, la « Chambre estime que bloquer l’accès au PEQ pour les étudiants des universités anglophones comme McGill et Concordia aurait un impact non seulement sur l’attractivité du Québec, mais aussi sur les inscriptions auprès de ces institutions ».

« Il est impératif que les meilleurs talents – du moment où ils souhaitent suivre leurs études au Québec, apprendre le français et s’y installer de manière permanente – puissent continuer de bénéficier des mêmes occasions que les étudiants des universités francophones », insiste l’organisme.

Selon la CCMM, tout candidat qui démontre une connaissance suffisante du français « devrait être automatiquement admissible s’il remplit les autres critères ».

« En excluant les étudiants des établissements d’enseignement anglophones, le Québec court le risque de se priver de talents stratégiques au bénéfice des autres provinces dans de nombreux secteurs économiques de pointe, tels que l’intelligence artificielle, les sciences de la vie et technologies de la santé, ou la filière batterie », note la Chambre de commerce.

Lisez notre dossier « Étudiants étrangers : les francophones gagnent du terrain »