(Vancouver) Les universités canadiennes misent gros sur les étudiants étrangers, mais doivent composer avec les tendances géopolitiques et économiques mondiales dans leur quête d’un marché lucratif.

Les données de Statistique Canada montrent que les permis d’études pour les étudiants chinois ont chuté d’environ 40 % depuis 2018, lorsqu’une dispute a éclaté entre la Chine et le Canada au sujet de l’arrestation de la dirigeante chinoise du secteur technologique, Meng Wanzhou, à Vancouver.

Cela pourrait expliquer en partie le faible taux d’inscription au Vantage College de l’Université de la Colombie-Britannique, un programme de 60 000 $ par an conçu pour les étudiants étrangers qui ont besoin d’aide pour apprendre l’anglais.

Le nombre d’inscriptions devait s’élever à 1000 d’ici 2016, mais elles ne représentent actuellement qu’un sixième de ce chiffre, soit 172.

Le porte-parole de l’université, Matthew Ramsey, a déclaré que l’école était en train d’évaluer le modèle Vantage, mais qu’il restait un besoin pour des programmes similaires.

Il a expliqué que le déficit d’inscriptions « survient alors que les étudiants [étrangers] entrent de plus en plus directement dans les facultés et utilisent des programmes spécifiques à la faculté pour améliorer leurs compétences en anglais ».

Le nombre d’étudiants indiens a entre-temps doublé depuis 2018, mais l’avenir de ce marché est désormais assombri par les tensions diplomatiques entre Ottawa et New Delhi, à la suite du meurtre d’un militant sikh en Colombie-Britannique.

Les statistiques fédérales montrent que les étudiants étrangers ont contribué pour plus de 22 milliards à l’économie canadienne l’année dernière, soit plus que la contribution des exportations de pièces automobiles ou de bois d’œuvre.

Les statistiques du Conseil pour l’éducation internationale de la Colombie-Britannique montrent que le secteur a généré 330 millions de revenus gouvernementaux en 2019, créant plus de 53 000 emplois.

« C’est un secteur important », rappelle Randall Martin, directeur général du conseil, soulignant que ce domaine couvre tout, de l’enseignement primaire au secondaire, en passant par les collèges de transfert de deux ans, les écoles de langues et les diplômes des grandes universités.

M. Martin avance que les étudiants étrangers ont joué un rôle essentiel en « gardant la lumière allumée » pour les universités canadiennes dans les régions rurales et éloignées, permettant aux écoles d’offrir des cours obligatoires qu’elles auraient autrement du mal à offrir.

À bien des égards, le secteur est une véritable réussite. Plus de 7 milliards sont injectés dans l’économie provinciale grâce à l’éducation internationale, et cela comprend les frais de scolarité, le logement, l’hébergement, les repas. Et, oui, je pense qu’il est juste de dire que le nombre d’étudiants étrangers suivra les tendances géopolitiques.

Randall Martin, directeur général du Conseil pour l’éducation internationale de la Colombie-Britannique

Ce secteur au Canada, comme dans la plupart des destinations d’éducation internationales les plus populaires, repose en grande partie sur le nombre élevé d’étudiants provenant de deux pays : la Chine et l’Inde.

Les données de Statistique Canada montrent que les étudiants des deux pays les plus peuplés du monde représentaient plus de la moitié des près de 550 000 permis d’études délivrés par le Canada en 2022.

En ce qui concerne la baisse d’étudiants chinois à la suite de l’arrestation de Meng Wanzhou, M. Martin pense « que les médias chinois ont présenté le Canada comme un endroit peu sûr pour les étudiants chinois, et nos chiffres ont un peu diminué ».

Karin Fischer, qui rédige un bulletin hebdomadaire sur l’éducation internationale nommé Latitudes, dit que même si les restrictions de voyage liées à la pandémie ont engendré la plus grande baisse du nombre d’étudiants étrangers, le nombre d’étudiants chinois en Occident n’a pas rebondi comme l’ont fait les chiffres des étudiants indiens ou d’ailleurs.

Mme Fischer explique que les frais de voyage plus élevés et la réticence des familles chinoises à vivre de longues séparations avec leurs enfants après la pandémie sont des facteurs contributifs. Toutefois, la détérioration des conditions économiques en Chine, réduisant la capacité des étudiants à payer et à trouver du travail après l’obtention de leur diplôme, pourrait être l’une des principales raisons pour lesquelles leur nombre ne s’est pas rétabli.

« Aller étudier dans un autre pays est un investissement énorme, même pour une famille chinoise ou indienne de classe moyenne, dit Mme Fischer. Qu’attendent-ils de l’obtention de ce diplôme ? Quel est leur retour sur investissement ? »

« Je me demande si certaines familles [chinoises] se demandent : “Mon Dieu, devrions-nous dépenser tout cet argent d’avance si nous nous inquiétons de savoir si notre enfant obtiendra son diplôme et n’aura pas d’emploi à son retour ?” »

Alors que les frais de scolarité au Vantage College s’élèvent à environ 60 000 $, les autres étudiants étrangers de l’Université de la Colombie-Britannique paient entre 42 000 $ et 58 000 $. Les étudiants canadiens paient pour leur part entre 6000 $ et 9000 $ par an.

Même si le nombre d’étudiants chinois a diminué partout au Canada, le nombre global d’étudiants étrangers est en hausse, en grande partie grâce aux étudiants indiens.

Statistique Canada a montré que le nombre de permis d’études délivrés à des étudiants indiens est passé de 107 000 en 2018 à près de 226 000 l’année dernière. En Colombie-Britannique, leur nombre est passé de 12 040, en 2015, à près de 75 000 en 2022.

M. Martin dit qu’une grande partie de cette croissance provenait des changements de politique d’immigration, qui ont permis aux étudiants cherchant à obtenir un diplôme de deux ans de rester au Canada et d’y travailler pendant trois ans, ouvrant ainsi la porte à la résidence permanente.

Toutefois, après que le premier ministre Justin Trudeau a dévoilé le mois dernier que le gouvernement indien pourrait être impliqué dans le meurtre du militant sikh Hardeep Singh Nijjar, l’Inde a publié un avis aux voyageurs mettant en garde contre la violence contre les ressortissants indiens et les étudiants au Canada.

Mme Fischer précise qu’il existe un précédent : le différend entre le Canada et l’Arabie saoudite concernant l’arrestation de militants des droits de la personne par le pays du Moyen-Orient, en 2018. Les permis délivrés aux étudiants saoudiens étaient alors passés de 5080, en 2017, à 1185, en 2019.

Elle ajoute que l’Arabie saoudite avait financé les étudiants souhaitant partir à l’étranger, et avait retiré leurs bourses pendant la dispute.

« Dans un pays comme l’Inde, ce sont presque entièrement les étudiants qui paient leurs propres frais, indique Mme Fischer. Il est donc difficile de connaître [l’impact de l’Inde], car ce sont des étudiants qui font toutes sortes de choix individuels. »

Les universités canadiennes cherchent à diversifier leur population étudiante internationale au-delà de l’Inde et de la Chine.

Graham Barber, directeur adjoint des relations internationales d’Universités Canada, un organisme national de défense des universités, souligne que les efforts de diffusions récents se sont concentrés sur des pays comme le Mexique, le Nigeria, le Vietnam, le Brésil et les Philippines – des endroits où la population de classe moyenne est en croissance et où les jeunes sont disposés, et capables de voyager pour étudier.

« Nous avons des institutions de classe mondiale qui sont vraiment très bonnes dans ce domaine, dit M. Barber, à propos de la recherche de nouveaux marchés. L’un des avantages d’être au Canada est qu’il y a une population très diversifiée ici. Ils ont vraiment ces liens interpersonnels qui leur permettent de s’adapter rapidement à différents domaines, et de travailler avec de nouveaux partenariats. »