Excédés d’être dénigrés sur les réseaux sociaux ou lors des assemblées publiques, des élus municipaux se tournent vers les tribunaux pour se défendre contre le manque de civisme de certains citoyens, qui pourraient être condamnés à payer des milliers de dollars s’ils sont reconnus coupables d’avoir tenu des propos diffamatoires.

Plusieurs municipalités viennent de recevoir l’aide financière de leur association provinciale pour mener ces combats, parce qu’on estime que ces comportements sont en recrudescence et parce qu’on veut envoyer un message clair.

« Sur les médias sociaux, il y a de plus en plus de manifestations de haine envers les élus, des agressions verbales de toutes sortes, qui peuvent aller jusqu’à la diffamation. Sur les comptes anonymes, beaucoup de choses s’écrivent », dénonce Martin Damphousse, président de l’Union des municipalités du Québec (UMQ) et maire de Varennes.

Fini l’anonymat

Mais les citoyens qui croient pouvoir rester cachés pour déverser leur fiel sur les médias sociaux devraient y penser à deux fois : la municipalité de Mercier, sur la Rive-Sud de Montréal, s’est adressée au tribunal pour obtenir l’identité des personnes qui avaient créé des comptes anonymes ou sous un faux nom. Ces citoyens ont ensuite été poursuivis en dommages et intérêts pour leurs propos jugés diffamatoires par les élus municipaux.

Ce sont des opposants politiques qui avaient créé une page « Spotted : Mercier » et un faux compte Facebook au nom de ma sœur décédée, où il y avait des attaques à ma réputation et à celle d’employés municipaux.

Lise Michaud, mairesse de Mercier

La municipalité a donc obtenu de la cour, en 2020, des ordonnances de type Norwich à l’encontre de Facebook, Vidéotron et Telus pour savoir qui se cachait derrière ces comptes.

Aux prises avec une poursuite, Hughes Ménard et Céline Braun ont accepté de conclure une entente à l’amiable avec la Ville de Mercier. L’entente prévoyait le versement par M. Ménard d’une somme de 32 000 $ à des organismes de charité de la région, sans aucune admission de la part des parties. L’entente a été homologuée par le tribunal en janvier dernier.

Ce feuilleton a coûté 56 000 $ à la municipalité, qui a obtenu la semaine dernière 25 000 $ en aide financière du Fonds municipal d’action juridique de l’UMQ.

« C’est cher, mais maintenant, tout est rentré dans l’ordre et les citoyens font preuve de respect », souligne Lise Michaud.

Le prix de la démocratie

La municipalité d’Oka est aussi engagée dans une poursuite judiciaire contre une ex-candidate à la mairie, Julie Tremblay-Cloutier, notamment pour qu’elle cesse ses « publications portant atteinte à la réputation des élus », indique le communiqué de l’UMQ annonçant le versement d’une aide financière jusqu’à concurrence de 25 000 $ pour cette cause.

Ça dure depuis les élections de 2017. Cette personne a même fait une plainte contre moi à la Commission municipale du Québec en 2018, et j’ai été blanchi. C’est de l’acharnement.

Pascal Quevillon, maire d’Oka

Oka réclame 50 000 $ en dommages et intérêts à Julie Tremblay-Cloutier qui, de son côté, soutient que la poursuite ne vise qu’à la faire taire, puisqu’elle n’est pas d’accord avec les idées du maire.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le maire d’Oka, Pascal Quevillon

« On m’accuse d’intimidation et de harcèlement en raison de cinq publications sur Facebook en cinq ans. Une telle poursuite, c’est comme utiliser un bazooka pour tuer un moustique », se défend Mme Tremblay-Cloutier, qui déplore que le maire utilise les fonds publics pour mener une vendetta.

Dans ses publications sur Facebook, l’ex-candidate parle de Pascal Quevillon en dénonçant « la méchanceté gratuite de cet individu malsain ». Elle l’accuse d’être « disjoncté », de vouloir faire « régner un régime de terreur » et d’être « la nuisance d’Oka ».

La cause n’a pas encore été entendue par la Cour supérieure.

Pascal Quevillon ne sait pas à combien s’élève la facture des avocats de la municipalité jusqu’à maintenant dans cette affaire. « Mais même si ça dépasse 25 000 $, il n’y a pas de prix pour avoir une saine démocratie », dit-il.

Arrêter les frais

Ailleurs, cependant, les coûts élevés de tels combats ont fait reculer des élus, comme à Léry, municipalité voisine de Mercier.

Il y a un an, les résidants de Léry ont reçu par la poste un tract anonyme contenant des caricatures et des propos haineux et diffamatoires contre les membres du conseil municipal. « Les élus se sont sentis intimidés et menacés », rapporte le maire, Kevin Boyle, ajoutant qu’il a aussi reçu des messages anonymes menaçants à son domicile.

La municipalité a elle aussi obtenu une ordonnance de type Norwich en Cour supérieure, pour forcer Postes Canada à révéler l’identité de la personne ayant fait envoyer ces tracts.

Réponse : c’est l’imprimeur du document qui s’est chargé de l’envoi, et l’imprimeur a refusé de divulguer le nom de son client.

Le conseil municipal a décidé de ne pas retourner en cour pour connaître le nom du client, en raison des frais trop élevés.

« On a décidé de cesser les démarches parce qu’on était rendus à 50 000 $. On était très déçus de ne pas pouvoir continuer, mais ce sont des évènements très énergivores, dit Kevin Boyle. Il faut avoir du courage pour continuer à faire ce que l’on fait dans de telles circonstances. »

Une conseillère municipale a remis sa démission récemment, et le maire attribue son départ en partie aux gestes d’intimidation.

Léry recevra aussi 25 000 $ de l’UMQ pour aider au paiement des frais judiciaires.

L’UMQ et le ministère des Affaires municipales ont mené des campagnes pour tenter d’inciter les citoyens à faire preuve de plus de respect envers leurs élus locaux.

« Mais ce n’est pas assez, soutient Martin Damphousse. C’est en utilisant la répression que les gens vont se calmer. »

Rectificatif
Le texte a été modifié pour refléter le fait que l’entente hors cour conclue avec la Ville de Mercier prévoyait que seul Hughes Ménard devait verser 32 000 $ à des organismes de charité, et non Céline Braun. Nos excuses.