Des parents dont le processus d’adoption en Chine a été bloqué par la pandémie ne peuvent pas se porter volontaires pour adopter au Québec en raison d’une directive ministérielle. Pourtant, les familles d’accueil se font rares et rien qu’à Montréal, 18 enfants sont en attente d’un jumelage.

Geneviève Lafrance a entrepris des démarches pour adopter un enfant en Chine il y a cinq ans. Son dossier pour la Chine était complet, elle était acceptée et on lui avait dit que ce n’était qu’une question de quelques mois avant que l’enfant arrive chez elle. La pandémie a tout changé. Depuis la COVID-19, la Chine n’a pas repris les adoptions.

Cela étant, Mme Lafrance serait prête à renoncer à ce projet à l’étranger si elle était convaincue qu’une adoption fonctionnerait au Québec. « Mais c’est loin d’être certain, je ne sais pas si mon dossier serait retenu ici et si un enfant du Québec me serait confié. »

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Geneviève Lafrance

Pour le gouvernement Legault, c’est l’un ou c’est l’autre : même si les évaluations des personnes adoptantes sont faites dans un cas comme dans l’autre par des experts d’ici, la simultanéité est impossible. « Un projet d’adoption internationale ne peut s’entreprendre en même temps qu’un projet d’adoption québécoise, qu’il s’agisse de la banque mixte ou d’une adoption régulière », explique Francis Martel, de la direction des communications au ministère de la Santé et des Services sociaux.

La « banque mixte » inclut des enfants qui sont en famille d’accueil et qui ont peu ou pas de chances de retourner dans leur famille biologique.

Incertitude

En entrevue, Mme Lafrance explique que son premier choix était d’adopter au Québec. Mais en 2018, jugeant que « le projet qui avait le plus de chances de se réaliser » était en Chine, elle a entrepris des démarches de ce côté.

Bien que l’espoir d’accueillir un enfant de Chine lui apparaisse de plus en plus mince, l’idée de devoir totalement renoncer à ce projet pour être autorisée à présenter son dossier au Québec est déchirante pour elle.

Fermer une porte alors que les années passent et que le temps se fait pressant est une décision qu’elle juge risquée.

« Je ne jette aucunement la pierre à la DPJ », dit-elle, ajoutant qu’elle espère que le gouvernement révise sa politique à la lumière du contexte avec la Chine.

Au ministère de la Santé et des Services sociaux, M. Martel indique que de « permettre l’ouverture de deux dossiers simultanément » au Québec et à l’international « pourrait entraîner une situation où les candidats à l’adoption se verraient proposer deux enfants, l’un au Québec et l’autre à l’étranger, en même temps. Cette situation comporte des enjeux éthiques importants pour le projet de vie des enfants concernés ».

Mais du même coup, il ajoute que le Ministère « réalise actuellement des travaux » qui « comportent entre autres des analyses sur les possibilités qui pourraient être mises en place pour les candidats à l’adoption internationale impliqués dans un projet compromis par la situation de l’autre pays ».

« Un peu d’empathie » réclamée

Anne-Marie Morel, présidente de la Fédération des parents adoptants du Québec, juge quant à elle que Québec devrait faire preuve « d’un peu d’empathie ».

Les évaluations des parents dans cette situation ont déjà été faites, ils sont prêts à fermer leur dossier à l’international. Il n’y a pas de risque de recevoir deux enfants en même temps.

Anne-Marie Morel, présidente de la Fédération des parents adoptants du Québec

Combien sont-ils dans cette position, à voir leur dossier bloqué en Chine ? Aucune statistique n’est disponible à ce sujet.

En 2019, avant la pandémie, 20 enfants chinois ont été adoptés au Québec.

On n’a pas idée, poursuit Mme Morel, de l’impact sur la santé mentale que peut avoir ce temps suspendu pour les familles. « Les postulants à l’adoption, ce sont des êtres humains. Et dans bien des cas, il s’agit de leur dernière chance de fonder une famille. »

Des enfants en attente d’être adoptés au Québec

Des enfants du Québec sont en attente d’être adoptés. Combien ? M. Martel, du ministère de la Santé et des Services sociaux, nous indique que cette donnée n’est pas disponible à l’échelle de la province, « car le statut de ces enfants est celui d’un placement en famille d’accueil. Ils sont donc inclus dans le nombre d’enfants ayant fait l’objet d’un placement en famille d’accueil ».

Ceux pour qui le placement est temporaire sont donc mélangés dans le système informatique avec ceux pour qui une adoption est envisagée.

Montréal, à tout le moins, garde le compte. La DPJ de Montréal (qui est chapeautée par le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal) nous a fait savoir que 18 enfants de la banque mixte attendent d’être jumelés à des parents adoptants : 13 enfants attendent depuis moins de 6 mois, 3 enfants depuis 6 à 12 mois et 2 enfants depuis plus d’un an.

Pas de risques de « chevauchements »

Geneviève Pagé, professeure de travail social spécialisée dans les questions d’adoption et de protection de la jeunesse à l’Université du Québec en Outaouais, doute qu’il puisse y avoir « des chevauchements » et qu’un dossier en Chine aboutisse en même temps qu’un dossier présenté au Québec, comme le craint le Ministère.

Avec la banque mixte, « quand un jumelage est fait, l’enfant se retrouve assez rapidement dans la famille ».

Et à l’international, dit-elle, « une fois que les gens reçoivent la photo de l’enfant qu’ils pourront adopter, il devient instantanément leur enfant ».

Elle ne pense donc pas que la directive ministérielle soit fondée.