(Montréal) La politicienne, universitaire et féministe Monique Bégin s’est éteinte vendredi à l’âge de 87 ans.

Un communiqué publié à sa mémoire samedi précise que Mme Bégin s’est éteinte à Ottawa, entourée des siens, et après avoir reçu des soins palliatifs.

Ministre pugnace de Pierre Trudeau de 1977 à 1984, elle laisse comme principal héritage politique la Loi canadienne de la Santé de 1984, âprement négociée avec les ministres de la Santé provinciaux et les corporations de médecins. Cette loi a mis fin aux frais supplémentaires et tickets modérateurs instaurés durant les années 80 par les provinces et a fait du régime d’assurance-maladie publique un élément central de l’identité canadienne.

On lui reconnaît un rôle clef dans l’émancipation des femmes, d’abord par son rôle prépondérant dans la Commission royale d’enquête sur le statut de la femme (1967-1970), puis durant sa longue carrière universitaire. De 1986 à 2010, elle se consacre à deux grands axes d’enseignement -- femmes et santé et femmes et politiques sociales –, tout en multipliant les contributions sur la place des femmes dans l’exercice du pouvoir politique. Elle fut doyenne de la Faculté des sciences de la santé à l’Université d’Ottawa de 1990 à 1997 et continua d’enseigner jusqu’en 2010 aux étudiants de la maîtrise en gestion en santé.

Née le 1er mars 1936 à Rome d’une mère flamande et d’un père québécois ingénieur du son et spécialiste de la radio, elle passe ses premières années à Paris. La vie aisée de la famille éclate lorsque la défaite des Alliés en France en 1940 la jette avec sa famille sur les routes de l’exil. La famille fuit l’invasion allemande vers le Sud de la France, sous les bombes. Son père parvient à obtenir les papiers permettant de quitter la France non occupée vers le Portugal, puis vers New York, avant d’arriver à Montréal fin 1941.

L’expérience de la vie de réfugiés a marqué sa famille. Monique Bégin et ses sœurs ont écrit un livre sur cette époque, Notre exode, 1939-1941, publié en 2011, 70 ans après l’arrivée de la famille à Montréal, qui s’installe à Notre-Dame-de-Grâce, dans des conditions matérielles difficiles.

N’ayant pas les moyens d’aller au collège classique, Monique Bégin fait ses études secondaires à l’école publique de Saint-Henri. Elle quitte la maison familiale à 21 ans pour travailler comme enseignante et payer ses études en sociologie à l’Université de Montréal. Les professeurs Hubert Guindon et Fernand Cadieux auront une forte influence sur sa pensée. Elle fait deux ans à la Sorbonne.

Elle participe en 1966 avec Thérèse Casgrain à la fondation de la Fédération des femmes du Québec, dont elle est la première vice-présidente.

Recrutée par Marc Lalonde – alors chef de cabinet du premier ministre Lester B. Pearson – pour faire partie de la Commission royale d’enquête sur le statut de la femme, elle refuse un poste de commissaire et obtient le poste de secrétaire générale. C’est à ce titre qu’elle fera fonctionner cette commission qui sillonne le Canada durant trois ans et qui livre en 1970 un rapport contenant 167 recommandations « précises, concrètes, ciblées et courageuses », écrira plus tard son amie de jeunesse Micheline Dumont, historienne à l’Université de Sherbrooke.

Les deux tiers des recommandations seront appliquées par le gouvernement Trudeau, donnant aux femmes des droits aujourd’hui considérés comme élémentaires ; mais pas celles que Mme Bégin considérait comme cruciales, soit décriminaliser l’avortement et établir un réseau national de garderies.

« La Commission a été l’une des expériences les plus exaltantes et gratifiantes de ma vie » et « un tremplin pour moi » pour la suite dira-t-elle plus tard.

Elle est élue sous la bannière libérale en 1972 (dans l’ancien comté montréalais de St-Michel) en même temps que Jeanne Sauvé et Albanie Morin, qui sont les trois premières députées fédérales du Québec. Elle découvre sur la colline parlementaire un monde anglophone et masculin. En se dirigeant pour la première fois vers la Chambre des communes, un gardien l’intercepte avec une autre élue à l’entrée. Ne croyant pas que des femmes puissent être députées, il veut les envoyer à la tribune des visiteurs, écrit-elle dans ses mémoires, dans lesquelles elle note aussi qu’il n’y a pas de toilette des femmes à la Chambre des communes.

Son premier discours au Parlement, devant 103 députés et seulement quatre autres députées, inclut un plaidoyer pour le droit à l’avortement.

Chez les correspondants parlementaires, elle acquiert rapidement une réputation : « Un peu comme son premier ministre, elle ne souffrait pas les imbéciles, et ceux qui lui posaient des questions avaient intérêt à savoir de quoi ils parlaient », écrit l’ex-journaliste de Radio-Canada, Daniel Raunet, dans la préface de Monique Bégin, Entretiens, un livre qu’il a publié en 2015.

Pierre Trudeau la nomme ministre du Revenu en 1976. Elle obtient le ministère de la Santé et du Bien-être social en 1977.

Si la Loi canadienne de la Santé de 1984 est considérée comme son plus grand fait d’armes, elle tirera une fierté particulière d’avoir fait adopter le crédit d’impôt pour enfants, à l’été 1978, dans un contexte budgétaire extrêmement défavorable, en pleine récession, alors que le gouvernement Trudeau venait d’annoncer des coupes de 2,5 milliards de dollars.

Cette mesure a aidé « les plus pauvres parmi les pauvres », soit les enfants défavorisés et leurs mères, surtout dans les familles monoparentales.

Elle note aussi l’amélioration des soins de santé entreprise par son ministère dans les réserves indiennes. Elle évoque une visite dans une réserve insulaire du nord de l’Ontario, très pauvre, où « quelque 200 enfants avaient l’impétigo, au XXe siècle dans un pays d’abondance comme le Canada ! Je l’avais eu durant la Seconde Guerre, durant notre exode sur les routes de France, et je connaissais bien ces plaies si longues à guérir... »

PHOTO ARCHIVES D’HÔPITAL SAINT-LUC

Inauguration du Centre de recherches cliniques du CHUM, en 1978.

Comme ministre, elle a été dans l’arène lors de la campagne pour le Non lors de la campagne référendaire de 1980.

Même si presque toute sa famille était indépendantiste, elle dit n’avoir « jamais eu de tentation séparatiste », ajoutant que pour elle, le Québec seul, c’était « trop petit ».

Monique Bégin a participé au mouvement des Yvette lors du référendum de 1980 sur la souveraineté du Québec. Selon elle, l’importance de ce mouvement de femmes fédéralistes dans la victoire du Non n’est pas assez reconnue.

Elle est la responsable d’un coup de pub controversé durant la campagne référendaire, une « astuce » dont elle se félicite dans ses écrits. C’est à son ordre que le ministère fédéral de la Santé a ressorti du placard une ancienne campagne publicitaire contre les abus de l’alcool, où on voyait sur les grands panneaux routiers urbains un une main retournant une coupe de vin à l’envers, avec la mention Non merci ! ça se dit bien.

Heureuse du résultat référendaire de 1980, elle a applaudi la promulgation de la Charte des droits, mais s’est aussi dite déçue que la réforme constitutionnelle de Pierre Trudeau n’ait eu qu’un aspect légaliste : « Il manquait quelque chose. »

Quand elle apprend, au conseil des ministres, que les 9 provinces avaient signé le projet de loi constitutionnelle (le 4 novembre 1981), mais pas le Québec, elle n’est pas capable d’applaudir et reste muette : « J’en étais littéralement malade (…) à cause du sentiment de rejet qu’auraient beaucoup de Québécois », dit-elle dans Monique Bégin – Entretiens.

« La seule façon dont j’ai pu exprimer ma frustration personnelle fut de m’abstenir, sans dire un mot, d’assister à la cérémonie de la signature de la Constitution par la reine Élisabeth II le 17 avril 1982. Je suis la seule ministre qui était absente. »

Regrettant qu’il n’y ait jamais eu de « réconciliation constitutionnelle » Québec-Canada, elle a conclu en ajoutant que : « La grande occasion aurait été le lac Meech, l’accord du lac Meech ».