Le Collège Stanislas est encore dans l’embarras. Après l’arrestation médiatisée d’un enseignant en mars dernier pour des crimes sexuels visant plusieurs élèves, La Presse a appris qu’un autre enseignant de l’école privée d’Outremont est visé par de nouvelles allégations de nature sexuelle. Pourtant, selon nos informations, le Collège a banalisé la situation après une première plainte.

Deux sources indépendantes nous ont confirmé que l’enseignant visé par l’enquête policière est soupçonné d’avoir commis des gestes de nature sexuelle à l’endroit de deux élèves de niveau secondaire et d’une collègue de travail en 2022 et en 2023. Les gestes reprochés, qui se sont étalés sur plusieurs mois, relèvent des attouchements et de baisers non sollicités. De plus, l’enseignant se serait montré insistant pour obtenir des rencontres hors classe.

Nous avons accepté d’accorder l’anonymat à ces deux sources, car elles ne sont pas autorisées à parler aux médias et pourraient en subir les conséquences sur le plan professionnel.

Joint par La Presse, l’enseignant a confirmé faire l’objet d’une enquête pour inconduite sexuelle. « On me demande de rester à la maison en attendant le résultat d’une enquête concernant des allégations d’inconduite sexuelle », a-t-il indiqué.

La Presse a choisi de ne pas nommer l’homme, car il ne fait pas encore l’objet d’accusations criminelles.

Il affirme être dans le noir le plus complet quant à la nature exacte des allégations. « Je suis surpris et choqué. Ça fait 32 ans que je suis au Collège et je n’ai jamais affronté une telle situation. » Il dit ne pas avoir été contacté par la police. « C’est une enquête interne, menée par le Collège. »

Sur le fond, il nie avoir commis quelque geste à caractère sexuel que ce soit. « Jamais ! », s’est-il exclamé. « C’est complètement farfelu ! »

L’enseignant ne fait plus partie de la liste du personnel sur le site web du Collège, un établissement français qui accueille des élèves de 4 à 18 ans au cœur d’Outremont.

« C’est culturel »

Deux sources différentes, qui sont en contact direct avec le dossier, ont indiqué à La Presse que la direction du Collège a tenté de balayer sous le tapis ces allégations l’an dernier. Lors des premières plaintes, en 2022, la direction a même banalisé certains gestes commis par le prof, allant même jusqu’à dire que cela était « culturel ». Une autre plainte criminelle visant ce même enseignant a ensuite été déposée en 2023.

Depuis, « il y a du sable dans l’engrenage dans la collaboration de l’école », affirme une source, qui se dit « scandalisée » de l’attitude de la direction dans ce dossier.

Dans une réponse sibylline par courriel, le Collège ne confirme aucune information sur cette affaire, mais affirme que « tout membre du personnel visé par de telles allégations est placé sous mesure conservatoire pour permettre aux autorités compétentes d’effectuer le travail d’enquête qui s’impose ». Le Collège a refusé de nous accorder une entrevue.

Ce cas allégué s’ajoute à deux autres qui ont fait les manchettes dans les dernières années au Collège Stanislas. En 2019, un enseignant d’éducation physique, Denis Tiffou, a été condamné à 10 mois de prison pour possession de pornographie juvénile. Il détenait chez lui 28 000 images et 2800 vidéos de pornographie juvénile.

Puis, en mars dernier, l’enseignant d’économie Alexandre Gagné a été accusé d’avoir exploité sexuellement une élève et fait cinq autres victimes entre 2019 et 2022. Il fait face à de nombreux chefs d’accusation.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE FACEBOOK D’ALEXANDRE GAGNÉ

Alexandre Gagné

« Un secret de Polichinelle »

Un « secret de Polichinelle ». C’est l’expression utilisée par une enseignante dans un courriel explosif envoyé à ses élèves et qui a passablement circulé dans l’école. Dans ce courriel obtenu par La Presse, l’enseignante nomme son collègue qui fait l’objet d’une enquête et écrit que ses agissements « doivent être dénoncés sans aucune hésitation à la direction et/ou au poste de quartier 26 à Outremont ».

« C’est une onde de choc d’une violence inouïe qui s’est abattue sur l’établissement, mettant à l’épreuve l’équilibre psychique de chacun je pense, un équilibre déjà bien éprouvé par une succession improbable de drames depuis la rentrée. Mais la prédation, c’est ignoble », écrit-elle. « Gare aux loups qui la quittent et trouvent refuge… dans les écoles ! », conclut-elle.

Jointe au téléphone, cette enseignante a d’abord reconnu être l’auteure du courriel, avant de se rétracter quelques heures plus tard après discussions avec son avocat. « J’estime avoir fait ce que j’avais à faire, j’étais en position de le faire. ‟Oui, allez voir la direction”. On nous a demandé de recueillir les propos des enfants, je les ai recueillis », avait-elle d’abord expliqué à La Presse.

L’enseignant visé par les allégations confirme cependant l’envoi d’un tel courriel. « Je sais qu’une collègue a sollicité des témoignages d’élèves et que mon nom a été cité. Aux côtés des deux autres qui ont été inculpés. Elle m’a associé à ces gens-là. »

Le Collège indique par courriel avoir apporté une « attention accrue aux élèves » et avoir proposé des « cellules d’écoute » à la suite des « évènements », sans préciser la nature de ceux-ci. « Nous avons également rappelé aux élèves les canaux de communication à leur disposition pour effectuer tout signalement, le cas échéant », a commenté Sophie Alice T. Marchand, directrice des communications au Collège Stanislas.

« Compte tenu du caractère sensible des éléments précités, et par respect des processus judiciaires ou internes, vous comprendrez que ni le Collège ni les représentants de ses instances ne peuvent commenter davantage ou divulguer d’informations confidentielles sur tout membre du personnel ayant pu être visé par ces mesures », poursuit la porte-parole du Collège.

Le Collège soutient avoir lancé une enquête indépendante pour « renforcer » le plan de prévention de la violence et de l’intimidation. Cette enquête est pilotée par le conseil d’administration du Collège avec l’aide d’une firme externe.

Le syndicat qui représente les enseignants du Collège n’a pas répondu au courriel de La Presse. Jointe au téléphone, la présidente du syndicat des employés du Collège a refusé de commenter le dossier, ayant reçu un « ordre » de la direction à ce sujet. L’Association des parents du Collège n’a pas donné suite à nos messages.

Les cas d’inconduites sexuelles dans les écoles s’accumulent dans les derniers mois, au point où le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a lancé en mars dernier une « enquête générale » pour faire la lumière sur les « multiples dénonciations et allégations d’inconduites de nature sexuelle ou de comportements inadéquats » dans le réseau scolaire.

Dimanche, face à cette multiplication de cas d’agressions, les partis de l’opposition ont réclamé l’adoption d’une loi-cadre pour lutter contre les violences sexuelles à l’école, qui obligerait tous les établissements à se doter d’une politique de gestion des plaintes en la matière.