(Montréal) Le gouvernement fédéral a l’intention de corriger une faille réglementaire qui permet aux compagnies aériennes de refuser à leurs clients une indemnisation pour certains vols annulés, a annoncé mardi le ministre des Transports, Omar Alghabra.

Ce changement s’inscrira dans le cadre d’une refonte des droits des passagers qui sera déposée au Parlement ce printemps, a-t-il expliqué lors d’une conférence de presse.

Lorsqu’on lui a demandé s’il mettrait fin à l’exemption qui permet aux transporteurs de rejeter les demandes d’indemnisation en invoquant des problèmes de sécurité, M. Alghabra a répondu par l’affirmative.

« La réponse courte est oui. Nous travaillons au renforcement et à la clarification des règles pour nous assurer que nous faisons une distinction », a-t-il affirmé.

« Évidemment, nous ne voulons pas que les avions volent quand ce n’est pas sûr de le faire. Mais certaines choses sont sous le contrôle des compagnies aériennes, et nous devons avoir des règles plus claires qui responsabilisent les compagnies aériennes quand c’est leur responsabilité. »

M. Alghabra s’exprimait lors d’une conférence de presse à l’aéroport Pearson de Toronto, mardi matin, au cours de laquelle il a promis un financement supplémentaire de 76 millions pour réduire l’arriéré de plaintes à l’Office des transports du Canada (OTC).

L’argent permettra au régulateur des transports d’embaucher 200 employés supplémentaires qui pourront réduire la liste de 42 000 plaintes déjà déposées auprès de l’OTC, a-t-il expliqué.

« L’arriéré est énorme. »

L’annonce intervient après que le gouvernement a accordé 11 millions supplémentaires à l’agence dans le budget de l’année dernière – peu de temps avant que le chaos des voyages n’éclate au cours de l’été, alors que la demande de vols augmentait, provoquant une nouvelle vague de plaintes.

Gabor Lukacs, président du groupe de défense Droits des voyageurs, a exprimé son scepticisme quant à la possibilité que les nouveaux fonds puissent permettre de progresser dans l’arriéré.

« Le gouvernement jette de l’argent par les fenêtres, a-t-il estimé. Cela n’améliorera pas les ratés de l’application en soi. »

Le ministre Alghabra a fait allusion à d’autres changements à venir dans une charte remaniée des droits des passagers, y compris des réformes potentielles du rôle du régulateur en tant qu’organisme d’enquête et d’application.

« Nous envisageons de renforcer les règles, comme je l’ai dit, et peut-être d’augmenter les pouvoirs dont dispose l’OTC. Mais je laisse à l’OTC le soin d’exercer son jugement et de savoir quand et comment imposer ces amendes », a indiqué M. Alghabra aux journalistes.

Meilleur cadre en Europe

L’agence a un double mandat en tant que tribunal quasi judiciaire indépendant et organisme de réglementation, mais certains observateurs estiment qu’elle ne va pas assez loin pour punir les violations en vertu de ce second rôle.

Ils notent également que la faille sur l’indemnisation dans le Règlement sur la protection des passagers aériens du Canada n’existe pas dans les règles européennes.

Les autorités européennes exigent une indemnisation en plus des remboursements pour les annulations de vols ou les retards importants, sauf dans des « circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées » telles que des conditions météorologiques extrêmes, la guerre et certaines grèves.

Au Canada, un vol annulé dans les 14 jours précédant le départ ou retardé de trois heures ou plus en raison d’un évènement sous le contrôle de la compagnie aérienne entraîne également un remboursement de 400 $ à 1000 $ pour les grands transporteurs, mais pas dans le cas de problèmes liés à la sécurité.

John Lawford, directeur général du Centre pour la défense de l’intérêt public, a fait valoir que le Canada devait adopter le cadre européen.

« Le modèle européen dit essentiellement que si vous retardez quelqu’un, vous annulez son vol ou lui refusez l’embarquement, à moins que vous ne puissiez prouver qu’un volcan est entré en éruption ou qu’il y a eu un tremblement de terre et que la piste s’est brisée en deux, vous payez une indemnisation », a-t-il expliqué.

Décourager l’inaction des transporteurs

Le ministre Alghabra a affirmé qu’un autre élément de la refonte des droits des passagers verrait Ottawa créer une « incitation » pour les compagnies aériennes à traiter directement les plaintes des clients plutôt que de simplement les rejeter dans l’espoir que le voyageur abandonne.

« Il y aura une dissuasion pour les compagnies aériennes […] de s’en remettre à l’OTC », a-t-il déclaré, ajoutant que des détails apparaîtraient avec la législation ce printemps.

Dans l’état actuel des choses, les compagnies aériennes ont plus à gagner à résister aux demandes d’indemnisation, car même si elles sont finalement jugées fautives par le régulateur, l’OTC n’a prononcé qu’une poignée de légères sanctions pour les violations, a souligné M. Lawford.

« Ils devraient être condamnés à une amende pour chaque réclamation qu’ils ont refusée (à tort), soit jusqu’à 25 000 $ par réclamation, et je ne vois pas (l’OTC) faire cela », a-t-il déploré, précisant qu’il y avait eu des mesures d’exécution depuis l’automne.

« Cela doit être fait systématiquement, sinon il est plus rentable de payer les quelques cas irritants qui réussiront à plaider leur cause avec succès auprès de l’OTC, 18 mois plus tard, que de payer une indemnisation pour tout le monde sur ce vol. »

Les compagnies aériennes commencent à peine à sortir d’une longue crise financière due aux restrictions de voyage pendant la pandémie de COVID-19. Air Canada a réalisé un bénéfice au cours du trimestre terminé le 31 décembre pour la première fois depuis 2019, alors que la demande de voyages intérieurs et étrangers a continué d’augmenter.

Les transporteurs étaient mal préparés à la flambée voyages de l’été dernier, ainsi qu’à celle du temps des Fêtes cet hiver, avec une pénurie de main-d’œuvre dans des postes allant des pilotes aux bagagistes, en passant par les agents de sécurité, ce qui a exacerbé les perturbations dans les aéroports – et suscité encore plus de plaintes de la part des passagers.