Terreur et impuissance : une famille syrienne ayant survécu au séisme et qui est en attente de pouvoir venir au Canada témoigne

Le tremblement de terre qui a dévasté la Turquie et la Syrie la semaine dernière ajoute une nouvelle couche d’anxiété dans le quotidien d’une famille de réfugiés syriens en attente de venir au Canada. Et plonge ceux qui veulent la parrainer ici dans l’impuissance.

4 h 17, le 6 février dernier. Ibrahim Halaf s’éveille en sursaut. Son immeuble de logements situé à Sanliurfa, dans le sud de la Turquie, tremble. L’homme secoue sa femme en hurlant, attrape les trois enfants en pleurs. Ils se précipitent hors de l’immeuble, pieds nus.

« Le bâtiment tanguait de gauche à droite, témoigne-t-il. Je n’étais pas sûr que nous allions survivre, j’avais peur que la maison nous tombe dessus. Dehors, il faisait très froid et il pleuvait. Les gens criaient, tous. C’était la fin du monde. »

La famille d’Ibrahim Halaf a survécu, contrairement à des milliers d’autres. Le bilan du séisme s’est alourdi à près de 40 000 morts, mardi. L’onde de choc a été qualifiée de « pire catastrophe naturelle en un siècle en Europe » par l’Organisation mondiale de la santé.

Nous nous sommes entretenus avec M. Halaf par internet, utilisant une application de traduction pour communiquer de l’arabe au français.

Le séisme est un nouveau coup dur pour cette famille de trois enfants – dont un bébé – qui a déjà fui la guerre en Syrie. En fait, Ibrahim Halaf, 36 ans, a rencontré sa femme Mune en Turquie, où il est réfugié depuis 2017. Ils ont trois enfants de moins de 5 ans, dont le petit dernier est né en août 2022.

PHOTO FOURNIE PAR IBRAHIM HALAF

Ibrahim Halaf et ses trois enfants dans leur logement à Sanliurfa. Un grand nombre d’immeubles aux alentours ont été détruits ou sont désormais interdits d’accès, soutient-il.

Leur espoir : venir vivre au Canada grâce au parrainage de quatre Québécois, qui travaillent avec eux en ce sens depuis près de trois ans. Leur dossier a même été tiré au sort le printemps dernier dans le cadre d’un programme québécois de parrainage collectif. La demande a été complétée au début de l’été.

Depuis, silence radio. Ni les futurs parrains ni les parrainés ne savent quand le dossier va déboucher.

Une semaine à tenter de survivre

Après la première secousse sismique, la famille a attendu pendant cinq heures sous la pluie, relate M. Halaf. « J’avais très peur pour mes enfants à cause du froid », se souvient-il. Elle a fini par réintégrer le logement, qui tenait encore, en espérant dormir un peu. Mais une nouvelle secousse les a de nouveau poussés dehors.

Nous sommes redescendus dans la rue en courant, comme la première fois [que la terre a tremblé]. Nous sommes allés au marché aux légumes, où j’ai allumé un feu pour réchauffer mes enfants.

Ibrahim Halaf, survivant du séisme

La famille réside à Sanliurfa, ville historique du sud-est de la Turquie, à la frontière avec la Syrie, qui abrite notamment l’un des plus vieux sanctuaires connus au monde, le Göbekli Tepe. C’est aussi l’une des régions les plus touchées par le séisme, où une douzaine d’entrepreneurs ont été arrêtés après la catastrophe, selon l’Agence France-Presse.

PHOTO REMI BANET, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Décombres à Sanliurfa à la suite du tremblement de terre

Après le tremblement de terre, M. Halaf et sa famille se sont retrouvés à l’extérieur de la ville, dans une tente où ils se sont sentis « au chaud et en sécurité ». Mais six jours plus tard, ils en ont été expulsés. Ils ont voulu se rendre à Istanbul, mais ne peuvent légalement quitter la région en raison de leur statut de réfugiés.

Ils sont finalement retournés dans leur immeuble, qui tient encore debout, mais qui les terrifie.

« Nous passons la plupart de notre temps à l’extérieur de la maison, affirme M. Halaf. Nous nous promenons ou nous nous asseyons dans les jardins, et quand nous avons froid, nous rentrons. C’est là que la souffrance commence, parce que mes enfants ont la phobie de la maison et du tremblement de terre. »

« On est là, on est prêts »

« Ibrahim nous a envoyé la vidéo de la petite qui est terrorisée dans le logement », confirme Farah Zahzah, l’une des Québécoises en processus de parrainage de M. Halaf et sa famille. Elle estime que les réfugiés syriens en Turquie sont doublement atteints par la catastrophe naturelle, en raison de leur statut précaire.

On essaie de maintenir une relation [avec la famille] et de continuer à les encourager, pour qu’ils sachent qu’on ne le laisse pas tomber.

Farah Zahzah, en processus de parrainage d’Ibrahim Halaf et sa famille

« On est une belle gang de quatre personnes qui sommes prêtes à accueillir cette famille-là, renchérit Jean-Martin Gagnon, un autre futur parrain. On s’engage à les loger, à les nourrir, à les aider. C’est démoralisant, parce qu’on est là, on est prêts. »

Jeudi dernier, le ministre fédéral de l’Immigration, Sean Fraser, a déclaré que le Canada envisageait d’accélérer les demandes d’entrée au Canada pour les victimes du tremblement de terre.

« Nous espérons que le gouvernement canadien tiendra compte de notre situation, lance M. Halaf. Tout ce que nous voulons, c’est une vie sûre et décente pour nos enfants. »

En savoir plus
  • 3,6 millions
    Nombre de réfugiés syriens enregistrés en Turquie
    source : Agence des Nations unies pour les réfugiés
    6,6 millions
    Nombre de réfugiés syriens à travers le monde
    source : Agence des Nations unies pour les réfugiés