La pauvreté gagne du terrain dans le monde, une première en plus d’un quart de siècle, dénonce Oxfam dans un rapport publié ce lundi. Pour réduire les inégalités, il faut taxer davantage les riches, réclame l’organisme à la veille du Forum économique mondial de Davos, en Suisse.

La pauvreté, c’est connu : pourquoi nous présenter ça comme une nouveauté ?

Parce que c’en est une : pour la première fois en 30 ans, l’extrême pauvreté s’est aggravée, a révélé la Banque mondiale en octobre dernier. De 1990 à 2019, la proportion de la population forcée de survivre avec moins de 2,15 $ par jour avait beaucoup diminué, de 38 % à 8,4 %. Sauf qu’en 2020, ça a remonté à 9,3 %, soit 719 millions de personnes. Elles étaient un peu moins nombreuses à la fin de 2022 (685 millions), mais quand même plus qu’en 2019 (648 millions).

D’accord, mais avec la pandémie et l’inflation, tout le monde a écopé, non ?

Pas les plus riches ! « Même si la fortune des milliardaires a légèrement diminué depuis le pic de 2021, elle reste supérieure de plusieurs milliers de milliards de dollars à celle d’avant la pandémie », note Oxfam en citant le palmarès des milliardaires de Forbes. En 2022, près de 13 000 milliards US étaient ainsi concentrés entre les mains de moins de 2700 individus. « Chaque milliardaire est un échec politique », estime Oxfam.

La solution serait donc politique ?

C’est ce que plaide Oxfam. Selon l’organisme, il faut imposer davantage les riches et les entreprises, et chercher à réduire de moitié la concentration des richesses des milliardaires d’ici 2030. « Cela pourrait permettre d’éviter l’austérité et de combattre l’inflation et la hausse des prix, et empêcher la cruauté inutile de la pauvreté et de la faim à grande échelle », suggère son rapport.

Et imposer les riches, ça fonctionne ?

Ça dépend. « Quand le gouvernement Trudeau s’est fait élire en 2015, il a augmenté l’imposition des mieux nantis de quatre points de pourcentage. Mais on s’est aperçu que les recettes n’étaient pas au rendez-vous la première année parce que les mieux nantis font des planifications fiscales », rappelle le titulaire de la chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques (CFFP) de l’Université de Sherbrooke, Luc Godbout.

Par contre, on a longtemps cru que le taux combiné appliqué à la tranche de revenus la plus élevée ne pouvait pas dépasser le seuil psychologique de 50 % au Québec. Avec l’augmentation du fédéral, il a grimpé à 53,3 % « et il ne s’est pas passé de catastrophe », note M. Godbout.

Cela dit, même si le taux appliqué aux nantis est de 53,3 %, les données de Statistique Canada montrent que « le taux effectivement payé est de 30 % », souligne la fiscaliste Brigitte Alepin. Elle trouve donc encourageant qu’Ottawa veuille revoir l’impôt minimum des particuliers pour s’assurer qu’ils paient leur juste part. « Est-ce que tout le système fiscal va être rétabli du jour au lendemain ? Probablement pas, mais je ne pense pas qu’ils fassent ça dans le but de ne pas améliorer la situation. »

Donc on pourrait facilement augmenter les impôts ?

Ce n’est pas si évident. Au Québec, le poids des impôts sur le revenu des particuliers et des sociétés, tout comme celui des impôts sur les salaires et des taxes sur le capital des sociétés, est déjà le plus élevé de toutes les provinces canadiennes, montre le tout nouveau Bilan de la fiscalité au Québec, publié par la CFFP vendredi. « Peut-être qu’on utilise déjà nos cartouches », glisse M. Godbout.

Quant à l’impôt sur la fortune, il est de moins en moins populaire dans les économies avancées de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), note le Bilan du CFFP.

Des 11 pays qui prélevaient un impôt sur l’actif net des particuliers en 1982, il n’en reste que quatre. Et dans la majorité des cas, les recettes représentent moins de 0,5 % de leur PIB. « Peut-être qu’au fil du temps, ils se sont dit que pour tous les efforts et tous les irritants que ça représente, ils laissaient tomber », avance M. Godbout.

Y a-t-il quand même des signes encourageants ?

Et comment ! À la fin de 2021, plus de 135 pays et États ont appuyé l’idée d’un impôt minimum mondial (IMM), afin que les grandes multinationales soient assujetties à un taux d’imposition minimal, en principe de 15 %. « Trente ans après la mondialisation, on a accepté de faire les dernières étapes nécessaires, soit traiter de la concurrence fiscale internationale. Ça met un plancher à cette concurrence », se réjouit la fiscaliste Brigitte Alepin.

Annoncé à l’origine pour 2023, cet impôt minimum risque de se faire attendre jusqu’à 2024 ou 2025. « Ça fait 100 ans que l’impôt existe et 30 ans qu’on s’est mondialisés, mais ça ne prendra pas 100 ans ni 30 ans. C’est sur le radar des prochains mois et années », assure Mme Alepin. « Je suis optimiste parce que dans le contexte et avec la perspective d’une récession, les pressions pour implanter une juste part d’impôt vont être telles que les politiciens vont l’exiger. »

Consultez le rapport d’Oxfam
En savoir plus
  • 1700 milliards de dollars
    Ce que rapporteraient annuellement les taxes sur la fortune proposées par Oxfam (5 % pour les milliardaires, 3 % sur les fortunes de plus de 50 millions, 2 % pour les autres millionnaires). Cette somme permettrait de sortir 2 milliards de personnes de la pauvreté.
    Source : La loi du plus riche : pourquoi et comment taxer les plus riches pour lutter contre les inégalités, Oxfam, janvier 2023.
    1,7 milliard
    Nombre de travailleurs dont les salaires n’ont pas suivi l’inflation en 2022, et qui ont subi « une baisse réelle de leur capacité à acheter de la nourriture ou à régler leurs factures d’électricité », estime Oxfam.
    Source : La loi du plus riche : pourquoi et comment taxer les plus riches pour lutter contre les inégalités, Oxfam, janvier 2023.