Le 1er juillet est un calvaire pour beaucoup de personnes vulnérables, surtout en pleine crise du logement. C’est le cas d’une mère de famille, à Montréal-Nord, qui se retrouve aujourd’hui sans logement malgré un bail signé, puisque l’appartement n’est plus disponible. La propriétaire jure avoir « agi de bonne foi ». Une situation qui illustre la gravité de la situation, selon le milieu communautaire.

« Je n’ai pas de logement. Et je ne sais pas ce que je vais faire. Pour vivre, nous avons besoin d’un logement », lance Stéphaica Cherfys, l’émotion dans la voix. Avec ses deux enfants et son conjoint, Jean-Benoît Cineus, elle est arrivée au Québec en mars dernier, comme demandeuse d’asile. Depuis, l’Haïtienne d’origine vit dans un logement de la rue Pascal, dans Montréal-Nord.

Au 1er juillet, elle avait prévu d’emménager dans un autre appartement situé tout près, dans la même rue et appartenant à la même propriétaire. Un bail, que La Presse a pu examiner, avait même été signé en vue d’un emménagement au début du mois.

La mauvaise nouvelle est toutefois arrivée jeudi, à 24 heures de la date butoir : « Votre contrat est annulé en date du 30 juin 2022. » « Je n’ai aucune solution dans l’immédiat, ni personne pour m’aider. Ce n’est tout simplement pas correct de faire ça avec les gens », dit la mère de famille, rencontrée dans son quartier.

Jointe au téléphone, la propriétaire du logement, Natalia Buza, assure avoir tout fait pour loger Stéphaica et sa famille.

J’ai annulé parce que je n’avais aucune autre possibilité à ce stade. Comprenez-moi bien : je veux qu’ils trouvent un logement. Je ne suis pas heureuse de la situation, bien au contraire.

Natalia Buza, propriétaire

C’est que l’actuelle occupante du logement, une mère de famille monoparentale avec trois enfants, lui avait donné il y a quelques mois un « avis de départ ». Mais pour des raisons personnelles et financières, elle est finalement revenue sur sa décision.

« Je ne peux pas la renvoyer dans cette situation. J’essaie de collaborer, mais honnêtement, je n’ai pas de baguette magique. J’ai tout fait pour loger tout le monde », affirme Mme Buza. La propriétaire rappelle d’ailleurs qu’elle détient plusieurs immeubles dans le secteur, où résident « plusieurs demandeurs d’asile », pour qui elle dit avoir beaucoup d’empathie.

Jusqu’à la dernière minute

Pour la porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), Véronique Laflamme, cette situation illustre que dans des quartiers moins centraux comme Montréal-Nord, la disponibilité de logements abordables est devenue quasi inexistante.

« On voit que dans les secteurs situés un peu plus loin du centre, c’est vraiment là qu’il n’y a pratiquement plus de logements. Les prix augmentent constamment, et les gens qui ne veulent pas quitter leur quartier ne trouvent plus d’endroits [où vivre] », explique Mme Laflamme.

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Véronique Laflamme, porte-parole du FRAPRU

La réalité, c’est que, quand on regarde les logements disponibles, ça n’a rien à voir avec la capacité de payer des gens.

Véronique Laflamme, porte-parole du FRAPRU

En date du 1er juillet, plus d’une centaine de ménages sans bail étaient accompagnés par un service d’aide à Montréal, un nombre qui « risque d’augmenter » dans les prochains jours, selon le FRAPRU. L’organisme estimait aussi cette semaine qu’environ 750 ménages locataires n’avaient toujours pas trouvé de logement, une forte hausse par rapport à l’an dernier. « Ces gens sont complètement désespérés, et pas seulement à Montréal. Soit ils endurent des situations qui n’ont pas d’allure, soit ils se retrouvent sans rien », souligne l’organisatrice communautaire.

Qui plus est, les populations au statut migratoire précaire sont « dans une situation encore plus vulnérable », rappelle Véronique Laflamme. « Il y a bien des gens qui cherchent jusqu’à la dernière minute, mais qui ne trouvent pas. Il faut s’en occuper », dit-elle, en invitant tous les ménages dans le besoin à s’adresser à leur comité logement local, pour obtenir de l’aide immédiate.

Des déménagements à la tonne

Comme tous les 1er juillet, Montréal est déménagement. Et pour beaucoup, il s’agit aussi d’une journée de réjouissances. À l’angle des rues Berri et Sherbrooke, Jessie Lévesque s’apprêtait à « quitter la ville » pour de bon, après avoir vécu six ans dans la métropole, lorsque La Presse l’a croisé.

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Jessie Lévesque quitte Montréal pour Beauharnois.

« On s’en va sur la Rive-Sud, où on a grandi, à Beauharnois. On était un peu tannés de la ville. On voulait avoir plus grand. Et plus de tranquillité, plus de calme », explique-t-il.

Plus à l’est, avenue d’Orléans, dans Hochelaga-Maisonneuve, Marie-Pier Dorais et Marc-Antoine Vallée disaient quant à eux au revoir à leur appartement pour emménager dans un condo, leur première propriété. « Le prix des loyers a tellement augmenté, on a l’impression qu’il y a même moins de déménagements à cause de ça », note Marc-Antoine, en remplissant son camion.

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Marie-Pier Dorais et Marc-Antoine Vallée emménagent dans leur première propriété.

Denis et sa nièce, Annie, font le même constat. La jeune femme s’installait dans un appartement avec deux colocataires lorsque La Presse l’a rencontrée. Pour un 5 ½ sur l’avenue De Lorimier, elle et ses amies s’apprêtent à payer 1800 $ par mois. « Ça n’a plus de sens », lâche Denis, dénonçant le coût de la vie devenu « inabordable » avec l’inflation.

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Annie s’est installée dans un appartement de la rue De Lorimier, où elle vivra avec deux colocataires.

Sur l’avenue Bennett, Marilou, elle, a surtout choisi de déménager pour des raisons de logistique.

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Marilou a réservé les services des déménageurs quatre mois avant le déménagement.

« Avec le travail à la maison, on manquait de place pour les bureaux. On a été vraiment chanceux, car c’est un ami qui nous a fait signe quand ses colocataires sont partis. Mais pour les déménageurs, on n’a pas pris de chance : on a réservé quatre mois d’avance », conclut-elle.

Des équipes de la Ville de Montréal sur le terrain

Des employés de la Ville de Montréal ont patrouillé dans la ville vendredi pour informer les déménageurs des services à leur disposition et s’assurer qu’aucun ménage ne se retrouve à la rue, a constaté La Presse. Jeudi, 107 ménages n’avaient toujours pas trouvé de nouveau logement à Montréal, selon les informations de la Ville. « Dans les 107 ménages accompagnés, certains ont pu négocier un prolongement de bail à court terme, d’autres pourront être hébergés par des proches, a précisé Fabienne Papin, relationniste. Le Service de référence continuera à accompagner les ménages dans leur recherche au cours des prochains jours et des prochaines semaines, pour certains. » Par ailleurs, 10 ménages étaient hébergés jeudi par les services d’urgence de la Ville de Montréal.

Lila Dussault, La Presse