Des policiers de Montréal ont reçu des sanctions disciplinaires ces derniers jours pour avoir engagé une poursuite en voiture à la suite d’une agression mortelle dans un stationnement. La mesure attise la grogne des patrouilleurs du SPVM, qui se retrouvent de plus en plus dans des situations risquées impliquant des véhicules et qui ne savent plus sur quel pied danser.

« Si les policiers ne peuvent pas engager une poursuite quand il est question d’un meurtre, quand pourront-ils le faire ? », demande une source qui a requis l’anonymat, car elle n’est pas autorisée à parler aux médias.

« Les bandits n’ont plus peur de nous, ils savent qu’on ne fait pas de poursuites parce que nos dirigeants ne veulent pas. C’est pour ça qu’ils foncent avec leur char », ajoute un autre policier d’expérience, lui aussi sous le couvert de l’anonymat.

On a beaucoup parlé ces derniers temps de voleurs de véhicules fonçant sur les policiers ; au cours des deux derniers mois, cela se serait produit une dizaine de fois, notamment le 17 avril lorsqu’un agent a ouvert le feu et blessé un suspect.

Mais les policiers se retrouvent dans des situations de poursuite potentielle dans bien d’autres circonstances.

Rage mortelle

Le 31 mai 2023, un père de famille de 50 ans, qui venait de terminer sa journée de travail dans un commerce de planchers, a été victime d’un épisode de rage au volant dans le stationnement du restaurant Gibeau Orange Julep. Frappé à la tête par-derrière, Andrei Petuhov s’est blessé grièvement en chutant sur le sol et est mort plus tard à l’hôpital, laissant dans le deuil sa femme, son fils et sa fille.

PHOTO TIRÉE DE L’AVIS DE DÉCÈS

Andrei Petuhov est mort à la suite de l’agression dont il a été victime.

Ses agresseurs ont pris la fuite à bord d’un véhicule et des policiers de l’escouade Éclipse les ont pris en chasse avant de les perdre de vue.

Un des suspects a été arrêté il y a quelques jours en France après une cavale de près d’un an. Il est en attente d’extradition pour être jugé au Québec.

Or, il existe au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) un « comité des poursuites » qui analyse chaque cas de chasse à l’homme mécanisée à Montréal et détermine si elle était justifiée ou non.

Dans ce cas-ci, le comité des poursuites vient de recommander que des sanctions soient imposées à trois policiers, dont une journée de suspension pour un sergent blâmé pour « absence de prise en charge ».

Ce dernier conteste toutefois la sanction et a demandé aux affaires internes d’enquêter sur cette affaire.

« On pense que le comité des poursuites a complètement fait fausse route et a manqué de jugement dans cette situation particulière, compte tenu du fait qu’il y avait eu minimalement une agression armée qui malheureusement est devenue un meurtre par la suite. On pense que le comité des poursuites n’a pas tenu compte des circonstances et n’a pas laissé place au jugement des policiers impliqués », affirme le président de la Fraternité des policiers et policières de Montréal, Yves Francœur.

« La Fraternité représente déjà les trois membres que l’on veut sanctionner, va les appuyer et va tout faire en son pouvoir pour tenter d’annuler cette décision », ajoute le chef syndical.

« Ce qui s’est passé le 31 mai 2023, tu ne peux pas avoir un meilleur exemple de policiers qui ont fait leur travail », renchérit une autre source qui a requis l’anonymat.

« Les boss nous disent qu’on a juste à prendre la plaque d’immatriculation en note pour les retrouver plus tard, mais il y a tellement de chars volés sur la route, c’est loin d’être sûr que ça fonctionne. Il y a eu mort d’homme ici ! », s’exclame un autre membre du SPVM.

Questionnée par La Presse, la direction du corps policier a insisté sur les risques élevés des poursuites dans un milieu urbain comme Montréal. La décision de partir aux trousses de suspects à haute vitesse ne peut pas être prise à la légère, affirme le SPVM.

« Toute intervention policière comportant un risque doit être effectuée dans le but de prioriser la sécurité du public, celle des policières et policiers impliqués, puis celle du suspect. La poursuite d’un véhicule en milieu urbain représente une méthode de travail à risque élevé et constitue une intervention exceptionnelle, de dernier recours », affirme son service des communications.

« Une policière ou un policier qui ne respecte pas la procédure, en matière de poursuite de véhicule ou autre, s’expose à des sanctions de nature administrative ou disciplinaire », ajoute le SPVM.

Un message qui ne passe pas

Selon nos informations, les sanctions imposées aux trois policiers exacerbent la grogne de leurs collègues qui ne savent plus comment agir lorsqu’ils se retrouvent dans une situation potentielle de poursuite.

Depuis mercredi, des rencontres virtuelles ont lieu avec les superviseurs des patrouilleurs du SPVM pour tenter d’établir des balises d’intervention.

Des cadres auraient davantage parlé d’interdictions et de conséquences plutôt que d’apporter des solutions, ce qui « ne serait pas passé » auprès des sergents, nous a-t-on dit.

Jeudi matin, la direction et la Fraternité ont annoncé que depuis lundi, les effectifs de certaines équipes d’enquête ont doublé et que celles-ci s’attaquent en priorité aux réseaux de voleurs de véhicules et à leurs têtes dirigeantes.

Tant du côté patronal que du côté syndical, on considère que la question « n’est pas simple », d’autant que les policiers peuvent être tenus responsables criminellement si une poursuite à haute vitesse tourne mal.

Certains comprennent que les poursuites ne sont pas nécessaires dans les cas de crimes contre la propriété, mais croient qu’elles devraient être permises dans les cas de crimes contre la personne.

« En attendant, les directives du service ne sont pas claires et les gars se font ramasser en faisant leur job », conclut une source.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.

Devant le refus d’un contrevenant d’immobiliser son véhicule, une poursuite peut être engagée lorsque les trois éléments suivants sont réunis :

• On a des motifs de croire qu’une infraction a été commise ou est sur le point d’être commise ;

• L’intégrité physique ou la vie d’une personne est menacée ;

• Il n’y a aucune autre solution de rechange pour procéder à l’arrestation du contrevenant.

Source : Service de police de la Ville de Montréal