Des scientifiques du gouvernement fédéral ont déterminé « les endroits qui requièrent une attention immédiate » au Canada, parce qu’ils sont « à haut risque » d’incendies de forêt catastrophiques. Cette première – qui a requis des années de travail – aidera à décider où intervenir en priorité, et par quels moyens, afin de réduire les pertes au maximum et de mieux protéger la population.

L’augmentation « spectaculaire » des incendies engloutit déjà des milliards de dollars chaque année, dit l’étude. Les pompiers s’épuisent. Ne suffisent plus à la tâche. Et quantité de volontaires refusent de retourner au front cette année. « La situation n’est pas viable à long terme », affirme en entrevue Sandy Erni, experte en risques naturels pour le Service canadien des forêts.

La première version de ses cartes – publiées en février dans l’International Journal of Disaster Risk Reduction – montre la probabilité que des incendies se produisent, et avec quelle intensité, dans différentes zones du pays.

Pour prédire l’ampleur des dégâts qui pourraient y survenir, les chercheurs ont même évalué le nombre et la vulnérabilité des bâtiments situés à l’intérieur du territoire forestier ou assez près pour que le feu s’y propage – comme cela arrive parfois dans des municipalités rurales.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

L’immense incendie de forêt 172 de l'été dernier sur la Côte-Nord s'est approché à quelques kilomètres de Sept-Îles.

C’est au Québec qu’on trouve le plus de bâtiments exposés, soit 1,03 million, dont 15 000 sont jugés à haut risque.

Dans le sud du Québec et de l’Ontario ainsi que dans les Maritimes, les incendies ne sont pas si fréquents. Mais ceux qui s’y propagent se démarquent typiquement par leur férocité, et souvent, de nombreuses habitations se trouvent à proximité, souligne Sandy Erni.

« Pour que le feu prenne, cela requiert en général des conditions environnementales extrêmes, par exemple une humidité relative extrêmement basse, qui lui permettront de prendre beaucoup d’ampleur. Il y aura donc de fortes probabilités qu’il soit à haute intensité. »

Les zones rouges ou orange foncé de la carte risquent d’être frappées par les incendies les plus puissants (de classe V ou VI). À ce stade, ils deviennent souvent trop dangereux pour être combattus au sol, et l’eau déversée par avion s’évapore avant d’atteindre le feu, ce qui peut le rendre non maîtrisable.

CARTE FOURNIE PAR MAPPING WILDFIRE HAZARD, VULNERABILITY AND RISK TO CANADIAN COMMUNITIES, INTERNATIONAL JOURNAL OF DISASTER RISK REDUCTION, 1ER FÉVRIER 2024

L’intensité d’un incendie, c’est-à-dire sa production d’énergie, se mesure en kilowatts par mètre (kW/m). Avec leurs flammes immenses, les incendies de cime peuvent libérer plus de 100 000 kW d’énergie par mètre, le long de leur front, contre moins de 100 kW/m pour les petits feux de surface.

Plus de Québécois qu’avant dans les zones à risque

D’après l’étude, 1,8 million de Québécois vivent à l’intérieur ou à proximité de régions forestières. Plus du tiers d’entre eux occupent des zones directement à risque de brûler. Les autres, qui habitent en général les villes situées non loin, pourraient subir des impacts indirects, même si leurs résidences ne brûlent pas. Ceux-ci seront socio-économiques, psychologiques ou toucheront la santé, en raison de la fumée ou du stress.

Répartition des 1,8 million de Québécois qui vivent à l’intérieur ou à proximité de régions forestières

À l’intérieur de zones à risque : 655 000 personnes

a) zones à faible risque : 561 000 personnes

b) zones à risque modéré : 74 000 personnes

c) zones à risque élevé : 20 000 personnes

À l’intérieur de zones indirectement exposées aux incendies: 1,14 million de personnes

« Malgré tout, observe Sandy Erni, les gens sont moins habitués et moins préparés au feu. Il provoque vraiment un effet de surprise. Tu es tranquillement chez toi. Quelqu’un frappe à ta porte et te dit qu’il faut partir. Tu n’arrives plus à respirer. Tu vois de la fumée partout… »

PHOTO FOURNIE PAR SANDY ERNI

Sandy Erni, experte en risques naturels et chercheuse pour le Service canadien des forêts

« Un niveau de risque bas ou modéré ne signifie pas qu’aucun incendie de forêt dommageable ne peut survenir, rappelle la chercheuse. Il faut prendre des précautions dans les zones habitées situées à proximité de forêts, surtout dans des périodes chaudes et sèches. »

« Le paysage forestier est extrêmement beau, mais quand c’est possible, mieux vaut avoir moins de personnes très exposées. [Une fois validées et mises à jour], nos cartes pourraient permettre de planifier les nouvelles constructions, en montrant quelles zones éviter ou favoriser. »

Au Québec et en Ontario, entre 2011 et 2016, la population a plutôt augmenté dans les secteurs jugés les plus à risque. À l’opposé de ce qui se produit en Colombie-Britannique, en Saskatchewan et au Manitoba.

Comparativement au reste de la population, les Autochtones des réserves canadiennes sont sept fois plus susceptibles d’être coincés dans les endroits les plus périlleux. Près d’un résidant sur cinq a cette malchance.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

En juin 2023, le site d’ExpoCité à Québec se prépare à accueillir des résidents de la communauté de Waswanipi dans le Nord-du-Québec en raison des incendies de forêt à proximité.

« Des centaines de communautés vivent isolées, dans le Nord, où d’innombrables évacuations ont dû être ordonnées, rapporte Sandy Erni. Ça les appauvrit, les désorganise, et la situation s’aggravera sans doute considérablement au cours des prochaines décennies.

« Mais plusieurs sont déjà vraiment impliquées dans l’atténuation des risques, comme dégager les combustibles et faire la liste des personnes à évacuer en priorité ou avec assistance médicale. »

Mises à jour requises

La scientifique a déjà entrepris de mettre ses analyses à jour avec Sécurité publique Canada, puisque certaines des données disponibles au début de ses travaux ont aujourd’hui sept ans. « Les cartes devront être refaites périodiquement pour être fiables », dit-elle.

Les incendies de 2023 ont en effet transformé le paysage dans plusieurs zones, en y rasant la végétation combustible, ce qui pourrait les protéger quelque temps.

Dans l’ensemble, l’activité des incendies tend plutôt « à augmenter, voire à s’accélérer », dit toutefois l’étude. Parce que « les saisons des incendies sont devenues plus longues et plus sévères » et que ces catastrophes sont de plus en plus fréquentes, en raison des « conditions météorologiques extrêmes ».

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Des centaines de camps de chasse ont été brulés par l’immense incendie de forêt 344 qui a ravagé près de 500 000 hectares de forêts dans la région de l’Abitibi l'été dernier.

Année après année, les flammes forcent des milliers de Canadiens à fuir, en plus de raser des bâtiments et des infrastructures, d’éliminer des ressources naturelles, et de fragiliser l’économie et la santé. En détruisant 2400 structures, en 2016, la catastrophe de Fort McMurray, en Alberta, a causé au minimum 9 milliards en dommages, d’après des chercheurs d’Edmonton.

Répartition des quelque 12 millions de Canadiens qui vivent à l’intérieur ou à proximité de régions forestières

À l’intérieur de zones à risque : 3,4 millions de personnes

a) zones à faible risque : 2,53 millions de personnes

b) zones à risque modéré : 550 000 personnes

c) zones à risque élevé : 315 000 personnes

À l’intérieur de zones indirectement exposées aux incendies: 8,6 millions de personnes

L’Institut de prévention des sinistres catastrophiques a pour sa part calculé que chaque dollar investi pour atténuer les risques d’incendie de forêt pourrait éviter 14 dollars de pertes futures.

  • Le site américain Wildfire Risk to Communities permet aux citoyens de savoir quels sont les risques d’incendie de forêt dans leur État ou comté. Ici, Hot Springs, en Californie.

    CAPTURE D’ÉCRAN DU SITE AMÉRICAIN WILDFIRE RISK TO COMMUNITIES

    Le site américain Wildfire Risk to Communities permet aux citoyens de savoir quels sont les risques d’incendie de forêt dans leur État ou comté. Ici, Hot Springs, en Californie.

  • Le site américain Wildfire Risk to Communities permet aux citoyens de savoir quels sont les risques d’incendie de forêt dans leur État ou comté. Ici, le Vermont.

    CAPTURE D’ÉCRAN DU SITE AMÉRICAIN WILDFIRE RISK TO COMMUNITIES

    Le site américain Wildfire Risk to Communities permet aux citoyens de savoir quels sont les risques d’incendie de forêt dans leur État ou comté. Ici, le Vermont.

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Vers 2025, les Canadiens pourront consulter eux-mêmes des cartes interactives et des graphiques pour découvrir l’ampleur des risques d’incendie de forêt à l’échelle de leur comté, de leur région ou du territoire de leur nation, et pour savoir comment les réduire. Un nouveau portail national, le Wildfire Risk Explorer, doit alors être mis en ligne. Les Américains ont déjà accès à une foule d’informations semblables et à des vidéos depuis 2018. En attendant leur tour, les Canadiens peuvent consulter le site Intelli-feu.

Proportion des terres brûlables jugées à risque élevé *

Ensemble du Canada : 26 %

Saskatchewan : 52 %

Manitoba : 44 %

Alberta : 35 %

Ontario : 26 %

Québec : 27 %

Territoires du Nord-Ouest : 26 %

Terre-Neuve : 24 %

Yukon :14 %

Colombie-Britannique : 11 %

Nouveau-Brunswick : 0 %

Nouvelle-Écosse : 0 %

* Probabilité que des incendies, de certaines intensités, affecte chaque province, sans considérer leurs impacts potentiels sur la population ou l’environnement naturel ou bâti. Les pourcentages ont été arrondis.

Lisez l’étude du Service canadien des forêts Consultez le site de prévention Intelli-feu Consultez le site (en anglais) de Wildfire Risk to Communities