Denis Coderre a souhaité s’exprimer sur la situation des sans-abri à Montréal, plus particulièrement sur le phénomène des campements. Et il l’a fait dans le cadre d’une mise en scène planifiée jusque dans les moindres détails.

On est en campagne électorale ou on ne l’est pas.

On nous a donné rendez-vous dans le bois Steinberg, à l’angle de la rue Hochelaga et du boulevard de l’Assomption. Sur place, on a vu quelques roulottes, dont celle de Guylain Levasseur, figure très connue du monde de l’itinérance.

Ça tombait bien, l’homme est plutôt critique à l’endroit de l’administration Plante. Je l’ai rencontré l’an dernier au campement de Notre-Dame, et il m’a dit ceci : « La Ville de Montréal ne règle pas le problème de l’itinérance. Elle fait semblant de le faire. Elle le cache. »

Guylain Levasseur n’a pas fait de cadeau à Denis Coderre non plus. Le sympathique bonhomme laisse venir les choses. Il laisse venir les solutions. Pour le moment, il ne souhaite pas quitter le campement. Il est bien dans sa roulotte.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Denis Coderre, candidat à la mairie de Montréal, a visité mardi le campement de sans-abri dans le bois Steinberg, dans Hochelaga-Maisonneuve, accompagné du conseiller municipal d’Ensemble Montréal Benoit Langevin (à gauche).

Quand un journaliste a demandé à Guylain Levasseur s’il appréciait la visite d’un candidat aux prochaines élections municipales, Denis Coderre s’est empressé de répondre : « Ce n’est pas le candidat qui est ici, c’est le citoyen. »

Euh… Un citoyen ne visite pas un campement de sans-abri sous le regard d’une vingtaine de journalistes convoqués quelques heures plus tôt.

Puis, on nous a demandé de laisser Denis Coderre et ses accompagnateurs en compagnie de Guylain Levasseur. La conversation a duré une quinzaine de minutes.

Le nouveau chef d’Ensemble Montréal a ensuite pris la parole devant les caméras. Ses idées, sans être révolutionnaires ou très différentes de celles de l’actuelle administration, ne sont toutefois pas déconnectées de la réalité.

Grosso modo, Denis Coderre imagine des maisons de chambres permanentes qui seraient créées dans certaines zones de la ville, là où les besoins se font le plus sentir.

Pourquoi des maisons de chambres ? Parce que pour de nombreux itinérants, les refuges comportent trop de contraintes et de restrictions. Dans bien des cas, les usagers ne peuvent consommer de drogue ou d’alcool, ou être accompagnés de leur chien. Denis Coderre souhaite offrir une autonomie à ces gens qui n’ont pas de toit.

L’ancien maire de Montréal a écorché l’administration Plante, qui préconise une approche « bienveillante » face aux nouveaux campements, en disant qu’il fallait cesser de constamment demander de l’argent au gouvernement et qu’il fallait être créatif et agir.

Sauf que pour convertir des hôtels en maisons de chambres, il faut de l’argent… du gouvernement.

Depuis le début de la pandémie, on entend beaucoup que le nombre de sans-abri à Montréal serait passé de 3000 à 6000. Ce nombre, véhiculé par Valérie Plante, a été vivement contesté par son rival. « Ce n’est pas vrai », a affirmé Denis Coderre avec véhémence. « Il y en a 1500 de plus. »

Pour appuyer cette affirmation, il a brandi le nom de Sam Watt, président-directeur général de la Mission Bon Accueil, et des « professionnels qui sont sur le terrain ». En disant cela, Denis Coderre insinue que l’actuelle administration a recours à ce nombre pour justifier sa difficulté à gérer le problème de l’itinérance à Montréal.

En menant cette opération très tôt au printemps, Denis Coderre vient asseoir une image de démocrate et d’homme sensible aux injustices sociales. Mais surtout, il impose sa réputation de dirigeant qui règle les choses rapidement et efficacement.

En réunissant la presse devant le campement émergent de la rue Hochelaga, il souhaite prendre de court Valérie Plante, à qui on a reproché un manque de célérité et une certaine mollesse dans la gestion du campement de la rue Notre-Dame l’an dernier.

Précisons que la Ville de Montréal, après une longue valse-hésitation, est finalement intervenue alors que les grands froids de l’hiver s’installaient et qu’une tente en feu avait failli créer une catastrophe.

(Re)lisez la chronique « Bougie d’allumage »

Denis Coderre veut donc agir avant que le campement d’Hochelaga-Maisonneuve et tous les autres qui apparaîtront au cours des prochaines semaines ne prennent une ampleur difficilement gérable.

Présent dans de nombreuses grandes villes canadiennes (Vancouver, Edmonton, Ottawa, Victoria, Winnipeg, Toronto, etc.), le phénomène des campements de sans-abri est d’une complexité sans nom.

J’ai relu l’excellent texte que Matthew Pearce, ancien président et chef de la direction de la Mission Old Brewery, avait publié dans La Presse l’automne dernier. L’homme, qui possède une vaste connaissance de l’itinérance, disait que l’on pouvait diviser en trois catégories les sans-abri qui vivaient dans ces campements.

> (Re)lisez le texte de Matthew Pearce

Il y a ceux qui utilisaient les services mis en place par les autorités, qui se sont retrouvés devant rien ; ceux qui connaissaient une situation d’itinérance à cause de la COVID-19 ; et, finalement, ceux qui, voyant le beau temps revenir, quittaient les refuges traditionnels pour vivre en campement.

« Dans la communauté du camp se développe un sentiment d’appartenance, voire de fierté, a écrit Matthew Pearce. Ces personnes sans racines ont créé un endroit qui leur est propre. Ce type de campement est susceptible de se développer, car la fonctionnalité du lieu attire d’autres personnes. »

De plus en plus de spécialistes de l’itinérance pensent qu’au lieu de combattre ces campements, on devrait les intégrer dans des programmes sociaux.

Le hic, c’est que les sans-abri qui vivent dans des campements apprécient l’aide et le soutien du public et des organismes communautaires, mais n’ont pas toujours envie de l’encadrement qui les accompagne.

Dans ces villages de fortune, il y a beaucoup de problème de santé mentale et de consommation d’alcool et de drogue. Il y a également des enjeux de sécurité. Les femmes ne sont guère protégées, la nuit, dans une petite tente en nylon.

Puis, il y a la réaction des résidants qui deviennent, malgré eux, les voisins de ces campements. L’été dernier, j’ai donné la parole à des personnes qui vivaient non loin du campement Notre-Dame. Elles étaient à la fois déchirées et exaspérées.

(Re)lisez la chronique « La patate chaude »

La clé est évidemment un meilleur accès au logement social. Mais cela est un projet à long terme. Alors qu’un nouvel été pandémique s’annonce, nous sommes davantage dans une situation d’urgence.

Alors, que fait-on avec des gens qui n’ont pas d’autres lieux où aller ? L’administration Plante, pour laquelle ce sujet est extrêmement délicat et important, doit trouver des solutions rapidement.

Est-ce que cela passe par l’utilisation de chapiteaux, d’arénas, de centres communautaires et de sous-sols d’église ? Un plan estival est urgent.

À défaut d’avoir offert un tableau plus complet et des solutions à court terme, Denis Coderre a secoué l’administration Plante. Certains n’y verront que de la politique. D’autres diront que tout ce qui peut être fait pour améliorer le sort de ceux qui vivent dans la rue est souhaitable.