Samedi, François Legault a publié sur Facebook un message dénonçant le délire qui s’est emparé des réseaux sociaux depuis quelque temps.

Je le cite : « À chaque fois que je fais une publication maintenant, j’ai droit à une avalanche de commentaires agressifs, parfois même violents, et à des insultes, des obscénités et même des menaces… »

Le PM a dit s’ennuyer de l’époque où il pouvait lire les commentaires des Québécois qui témoignaient de leur réalité sur sa page Facebook. Il est vrai que lorsqu’ils sont au mieux, les réseaux sociaux sont un baromètre révélateur de la société.

Je cite M. Legault, encore : « Ce qui m’affecte le plus, c’est l’intimidation dont vous êtes victimes quand vous me laissez un commentaire d’encouragement ou qui est tout simplement positif ou constructif. Vous vous faites tomber dessus par une meute de personnes agressives. C’est de l’intimidation et ça enlève le goût de laisser un commentaire. Et ça enlève aussi le goût de les lire… »

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« Les réseaux sociaux forment un baromètre révélateur de la société, mais ils forment également un prisme déformé de cette société », estime notre chroniqueur.

Je suis d’accord avec chaque mot écrit par le PM dans ce statut qui a généré 57 000 commentaires et 21 000 partages.

Ça fait plus de 10 ans que je suis sur Twitter, 14 ans que je suis sur Facebook : jamais l’agressivité en ligne n’a été aussi omniprésente.

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Récemment, on a appris que plusieurs élus municipaux ont choisi de ne pas se représenter en novembre, citant en partie la violence des réseaux sociaux pour expliquer leur décision. En privé et en public, les élus sont aspergés au quotidien de commentaires violents et dérogatoires en ligne, ce qui finit par peser sur leur moral.

Dans la même veine, on a appris cette semaine que des scientifiques qui interviennent (bénévolement !) dans les médias pour décortiquer la science liée aux enjeux pandémiques se font eux aussi pourrir la vie numérique par les enragés du web…

> (Re)lisez « Pour un cône orange, on écume de rage »
> (Re)lisez « Des experts nombreux à être pris à partie »

Ces enragés ont toujours existé sur l’internet. Toujours. Ce qui est nouveau, c’est le volume, la tonalité. La pandémie a transformé des gens par ailleurs équilibrés en contradicteurs quérulents et vulgaires, qui voient des complots et des traîtres partout, 24 heures sur 24…

Ils s’ajoutent à la foule d’éternels pitonneux agressifs qui ont toujours aimé déféquer dans le puits virtuel, juste pour le fun.

Ça crée une sacrée masse critique de fêlés qui pollue l’expérience des utilisateurs, mettons.

Y a-t-il une solution ?

Réponse plate, je le crains : non.

Cessons, de grâce, d’espérer que Facebook et compagnie vont « discipliner » les usagers violents. Le modèle d’affaires est basé sur deux axes : le temps passé par les usagers sur la plateforme et le recours minimal à des employés en chair et en os pour faire fonctionner la patente. La tolérance aux insultes, obscénités et menaces n’est pas un bogue : c’est une caractéristique fondamentale des Facebook et compagnie.

Tenez, cette semaine, M. Maxime Roberge, PDG d’IB Sécurité à Québec, m’a interpellé sur Twitter pour me dire que j’étais « chanceux d’être en vie »…

Juste ça !

J’ai fait ce que je ne fais jamais : je l’ai signalé à Twitter pour propos dangereux, en me disant que quelqu’un, chez Twitter, verrait la lumière et bannirait M. Roberge…

Résultat des courses : Twitter m’a informé que les mots de M. Roberge ne constituaient pas une violation des termes de service de la plateforme.

Sur Twitter, comme un gangster, on peut faire des menaces indirectes qui signifient exactement ce qui n’est pas dit directement… lol.

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La pandémie me fait douter du genre humain. J’en parlerai avec ma psy, je ne veux pas vous embêter avec ça, mais je me demande quel pourcentage de mes semblables est complètement barjo, au fond. C’est bien plus que ce que je tenais pour acquis – 10 % – avant mars 2020…

Mais la grande question, pour moi, à constater la haine grande et petite ces jours-ci sur les zinternets, à la ressentir, est bien simple : est-ce que la violence virtuelle peut devenir réelle, peut-elle pousser les radicalisés du clavier à agir dans le réel ?

Car la radicalisation n’est pas uniquement le fait des islamistes, de nos jours.

Je ne suis pas optimiste, car je sais ceci : le web a permis à certains délires de faire un retour (comme la théorie de la Terre plate) et aux adeptes de nouvelles conspirations de toutes sortes de se fédérer et de se radicaliser, oui. On l’a vu.

Et c’est pittoresque jusqu’à ce qu’ils bloquent un tunnel, lancent un camion sur des passants, envahissent le Congrès ou sacrent le feu à des tours de téléphonie cellulaire…

Bref, comme je l’ai déjà écrit : j’ai peur que ça finisse mal.

> (Re)lisez « Ça va mal finir »

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Entre-temps, je m’accroche à un espoir : les réseaux sociaux forment un baromètre révélateur de la société, mais ils forment également un prisme déformé de cette société…

Car M. Legault a beau déplorer avec justesse la laideur de la foule numérique, il n’en demeure pas moins qu’un sondage du 11 février dernier donnait la Coalition avenir Québec comme dominante dans le réel, malgré toutes les privations imposées par le gouvernement : 48 % des Québécois voteraient pour le parti du PM, demain matin.

Il y a une différence, disais-je, entre la foule et le peuple.

Je m’accroche à ça pour ne pas désespérer encore plus de mes semblables.