Où sont les conseils d’administration ? C’est Renée Lamontagne, professeure à l’École nationale d’administration publique (ENAP) et ex-sous-ministre adjointe à la Santé, qui pose la question. Elle a travaillé entre autres sous deux ministres bien connus de la Santé, Philippe Couillard et François Legault. Elle enseigne maintenant la gestion en santé.

Je l’ai appelée pour discuter du Manoir Liverpool. Une nouvelle enquête du Ministère révèle la négligence épouvantable subie par les aînés. On parle de trois semaines passées sans bain. De nourriture rationnée. De médicaments oubliés. De chambres qui ressemblent à des toilettes. De « croûte blanche dans la bouche », de champignons et de plaies. De mépris pour la dignité humaine.

Cette ressource intermédiaire se fait confier des patients par le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de Chaudière-Appalaches. Or, le PDG de ce CISSS est Daniel Paré. Le grand responsable, aujourd’hui, de la campagne de vaccination. L’homme de confiance du gouvernement pour l’opération la plus délicate de la pandémie.

Et il garde son poste.

Comment peut-il garder la confiance de Québec ? Et que valent les promesses d'« imputabilité » de François Legault ?

M. Paré se défend. S’il n’a rien fait, c’est parce qu’il ne savait pas. Il n’aurait pas toléré, jure-t-il. La preuve, il est intervenu dans 13 autres établissements avec des cas de négligence.

Que penser de sa version ?

« C’est possible », réagit prudemment Renée Lamontagne. Les CISSS sont des monstres bureaucratiques, et leurs dirigeants sont loin du terrain.

Mais il y a un acteur qu’on oublie, poursuit-elle : le conseil d’administration. C’est écrit dans la loi. Ce sont les conseils d’administration qui sont les premiers responsables de la qualité des services et de la sécurité des usagers.

Ils doivent mettre en place un comité de gestion des risques. Et aussi embaucher un commissaire aux plaintes qui leur rend des comptes.

Mme Lamontagne donne l’exemple du scandale à l’hôpital Saint-Charles-Borromée en 2003. Elle s’en souvient bien – elle était alors sous-ministre adjointe. L’hôpital avait été mis sous tutelle. « Et c’est l’ensemble du conseil d’administration qui avait été renvoyé. »

* * *

En principe, l’« imputabilité » exige trois choses, résume Mme Lamontagne : un mandat clair, une reddition de comptes et de la transparence. Tout le débat consiste à savoir comment l’appliquer.

Par exemple, un sous-ministre ou un directeur est-il responsable dès qu’une faute grave est commise ? Même s’il n’était pas au courant ? Et quelle est la responsabilité ministérielle face aux erreurs administratives ?

En 1999, la ministre péquiste du Revenu, Rita Dionne-Marsolais, en donnait une version extrême. Elle démissionnait parce que le fisc avait transmis des informations confidentielles à une firme de sondages. Et ce, même si cela s’était fait à son insu.

Les C.A. ne font pas face à la même pression politique. Ils travaillent dans l’ombre. Et de plus en plus loin de l’action.

Avec la réforme Barrette, plusieurs établissements ont été regroupés dans les CIUSSS et les CISSS. Cela a réduit le nombre de conseils d’administration. Ils ne choisissent plus le directeur général et président du conseil. Le dernier mot revient désormais au ministre.

Les administrateurs ont ainsi plus de choses à surveiller, et moins de pouvoirs pour le faire. Mais cela ne change pas leur responsabilité, rappelle Mme Lamontagne.

Cela dit, le PDG doit aussi être personnellement tenu responsable. C’est justement ce que promettait le gouvernement caquiste.

En août dernier, M. Legault levait le ton : l’heure de l’« imputabilité » avait sonné. Les patrons des CISSS et des CHSLD devront rendre des comptes, annonçait-il.

Alors pourquoi cette tolérance envers M. Paré ?

* * *

M. Legault est plus cohérent qu’il n’y paraît.

Pour rétablir l’« imputabilité », il veut réembaucher des cadres dans les établissements régionaux. Dans l’espoir qu’ils voient les problèmes sur le terrain, en assument la responsabilité et sonnent l’alarme.

En attendant, une question demeure : que savait M. Paré ? Le ministre de la Santé, Christian Dubé, a choisi de le croire. Cela signifie qu’il y a eu une faille pour que l’information ne se rende pas à lui. C’est ce que le ministre veut vérifier en demandant à sa sous-ministre Dominique Savoie de lancer une enquête.

Cela me semble raisonnable et rigoureux. Et aussi terriblement ironique…

Car dans l’opposition, M. Legault exigeait la démission de Mme Savoie elle-même, pour une histoire dans laquelle il avait décidé de ne pas la croire. Soudainement, il découvre son efficacité.

Dans ce dossier comme dans plusieurs autres, les caquistes ne s’encombraient pas des nuances. Ils voulaient que les têtes roulent. Leur shérif Éric Caire avait même déposé un projet de loi pour mettre fin à la sécurité d’emploi des hauts dirigeants du secteur public.

Si cette loi était en vigueur, elle pourrait être utilisée pour un autre Daniel qui travaille dans l’opération de vaccination. Daniel Castonguay.

S’il y a un cas qui devrait laisser songeur, c’est celui-là.

M. Castonguay était PDG du CISSS de Lanaudière lors de la mort tragique de Joyce Echaquan. Il a prétendu ignorer les abus subis par des Atikamekws à l’hôpital de Joliette, malgré les témoignages publics à la commission Viens, malgré le compte rendu que lui avait personnellement fait une employée.

M. Castonguay a perdu son poste, mais il a peu après été rapatrié pour la campagne de vaccination. C’est un drôle de message pour la responsabilisation.

Pour M. Paré, toutefois, la réaction du gouvernement Legault se défend. On a cependant hâte de voir le rapport. Et aussi, pourquoi pas, d’avoir des nouvelles de tout le conseil d’administration, comme de ceux qui surveillaient les autres endroits où des négligences ont été commises.