(Montréal) L’impact de la mort de Joyce Echaquan s’est fait ressentir bien au-delà de l’hôpital de Joliette : des Autochtones de diverses communautés craignent d’aller se faire soigner dans les centres hospitaliers depuis qu’ils ont appris ce qui lui est arrivé.

C’est ce qu’a rapporté le chirurgien innu Stanley Vollant, qui a témoigné lundi matin à l’enquête publique de la coroner sur la mort de la mère de famille atikamekw.

Ce qu’a vécu Joyce Echaquan risque encore d’arriver, a-t-il déclaré : « Il y en aura d’autres, j’en suis certain. »

Car le racisme systémique est profondément ancré dans le système de santé, a-t-il ajouté.

L’enquête est désormais entrée dans une nouvelle phase : après les témoignages du personnel soignant et des membres de la famille de Mme Echaquan, c’est maintenant au tour de divers intervenants de venir formuler des recommandations.

Joyce Echaquan, âgée de 37 ans, est morte le 28 septembre dernier à l’hôpital de Joliette. Peu avant son décès, la mère de famille de la communauté atikamekw de Manawan s’est filmée de son lit d’hôpital alors que l’on entend une infirmière et une préposée aux bénéficiaires l’insulter et la dénigrer.

La vidéo filmée par Mme Echaquan a largement circulé dans les médias sociaux et a déclenché une onde de choc et d’indignation. De nombreuses voix se sont levées pour dénoncer le racisme existant envers les Autochtones.

Il y avait aussi beaucoup de questions sur la cause de la mort de la mère de sept enfants, survenue lors d’une matinée plutôt chaotique à l’hôpital.

Lundi, Dr Vollant a raconté son parcours personnel, miné par le racisme tout au long de ses études qui l’ont mené à devenir chirurgien digestif.

Il y a des préjugés fortement ancrés dans le système de santé, a-t-il relaté : du racisme intégré, parfois « inconscient » et « invisible ».

Des solutions

Dr Vollant a formulé plusieurs recommandations, qui mettent l’accent sur la « sécurisation culturelle » des Autochtones qui vont se faire soigner dans les centres hospitaliers. Pour cela, il suggère que le personnel soignant soit bien formé et au fait de leurs réalités.

C’est nécessaire, encore plus depuis la diffusion de la vidéo de Joyce Echaquan, car des membres des autres communautés autochtones « ont peur d’aller à l’hôpital », a-t-il expliqué.

Ce constat, il l’avait toutefois fait depuis longtemps. Notamment lorsque les membres de sa propre communauté, celle des Innus de Pessamit, sur la Côte-Nord, lui avaient dit être rassurés de savoir qu’il pratiquait à l’hôpital de Baie-Comeau. « Il y a un historique de méfiance des Premières Nations envers le système de santé. »

Selon lui, il faut que les différents ordres professionnels encouragent l’éducation de leurs membres pour savoir comment soigner tout en rassurant les Autochtones qui sont craintifs. Il faut rétablir la confiance, insiste-t-il, car « pour les Autochtones, le lien est brisé ».

Tellement qu’ils attendent trop avant de se faire soigner. Une étude récente publiée par le Journal de l’Association médicale canadienne (CMJA) rapporte que les membres des Premières Nations ont 30 % plus de complications après une chirurgie que la population en général et que leur mortalité est plus élevée. Ces tristes statistiques sont en partie liées au fait qu’ils consultent tardivement « parce qu’ils ont peur ».

« Ils ont peur des préjugés, de se faire dire qu’ils sont venus pour rien. Il y a une méfiance envers les services de santé », a renchéri le Dr André Corriveau, qui a travaillé pendant des années au Nunavik et dans les Territoires du Nord-Ouest.

La création de postes d’agents de liaison et de sécurisation culturelle, comme celui qui existait à l’hôpital de Joliette, est nécessaire, mais ils ont besoin de formation. Il faut de plus que la direction des centres hospitaliers soit responsable et imputable du bon fonctionnement du rôle des personnes qui occupent ces postes, a fait valoir Dr Vollant.

À l’hôpital de Joliette, l’agente en poste le jour de la mort de Joyce Echaquan s’était vu interdire l’accès à l’urgence et n’avait eu aucun soutien de l’administration afin de pouvoir pleinement exercer son rôle.

Dr Vollant parle aussi de mettre en place un processus de plainte « adapté à la culture autochtone ». Le système est complexe pour eux — Il fait peur, même — car il est associé au système de justice, qui fait aussi preuve de racisme à leur égard. Un accompagnateur pour les guider est nécessaire, juge-t-il, et un guichet unique pourrait être une option.

À la coroner, il a dit craindre que le gouvernement québécois ne soit pas à l’écoute de ses recommandations et que son rapport ne soit « tabletté ».

Une crainte qui semble partagée par le chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador, Ghislain Picard, qui a aussi témoigné devant la coroner.

« On nous a habitués à voyager d’un espoir à un autre », a-t-il déclaré. Ici, l’espoir est celui « d’un changement, d’une réelle révolution dans les façons de faire ».

Et la reconnaissance du racisme systémique ?

Pour le Dr Vollant, développer la sécurisation culturelle des Autochtones est plus important que d’avoir une reconnaissance claire par le gouvernement du concept de racisme systémique, a-t-il répondu lorsque questionné à ce sujet.

Si quelqu’un refuse de reconnaître la présence de l’éléphant dans la pièce, mais l’appelle plutôt « pachyderme à grandes oreilles » et se démène pour le sortir du trou, c’est l’essentiel, a-t-il expliqué.

Pragmatique, l’homme a expliqué que si la sémantique est importante, les solutions le sont encore plus.

« Il faut aller de l’avant. »