La nouvelle carte des « zones d’intervention spéciale » (ZIS) où un moratoire interdit la construction dans les secteurs inondables comporte encore des « erreurs », selon des élus municipaux. Cinq villes de la Montérégie sont encore touchées par la mesure, même si elles n’ont jamais été frappées par les crues de 2017 et de 2019.

Le ministère des Affaires municipales a présenté, hier, la nouvelle mouture des ZIS. Ces zones sont ciblées par une interdiction temporaire de rebâtir des maisons endommagées par les inondations. Toute nouvelle construction est également proscrite.

Cette mesure vise à donner le temps au gouvernement Legault de revoir de fond en comble les règles qui encadrent la construction dans les zones vulnérables. Elle a cependant été critiquée par des citoyens qui craignent une chute de la valeur de leur maison.

Québec a reconnu que la première délimitation des ZIS, publiée en juin, reposait sur une cartographie inexacte. La nouvelle version publiée hier est moins étendue. Elle compte 149 000 propriétés, dont 98 000 résidences, soit une baisse de 20 % par rapport à la première carte.

Au total, 31 municipalités ont été soustraites à l’application du moratoire. Elles se trouvent en grande partie dans le Bas-Saint-Laurent et au Saguenay–Lac-Saint-Jean.

Certaines municipalités du Grand Montréal ont également été exclues, notamment Blainville, Sainte-Thérèse et Dollard-des-Ormeaux. En revanche, la grande majorité des villes de la Montérégie, de l’Outaouais et des Laurentides, celles qui ont été le plus durement touchées par les crues, restent soumises au moratoire.

Déception

Ce résultat déçoit le préfet de la MRC de Vaudreuil-Soulanges, Patrick Bousez. Car une partie des municipalités de Saint-Zotique, Les Coteaux, Coteau-du-Lac, Les Cèdres et Pointe-des-Cascades sont toujours ciblées par le moratoire alors qu’elles n’ont pas été touchées par les inondations des dernières années.

À ses yeux, il est clair que les nouvelles délimitations des ZIS comportent toujours des « erreurs ». Il reproche au gouvernement de ne pas avoir consulté davantage les autorités municipales.

« Ce qu’on déplore surtout, c’est le stress que nos citoyens vivent, dénonce M. Bousez Il y a des pertes fiscales pour les municipalités, mais au-delà de cela, il y a des êtres humains qui vivent des drames, qui vivent dans l’angoisse. »

Le maire de Saint-Zotique, Yvon Chiasson, confirme que 17 propriétés de sa ville restent visées par le moratoire. Du nombre, un résidant est maintenant incapable de vendre sa maison, et un autre ne peut obtenir de permis pour rebâtir la sienne. Ni l’une ni l’autre de ces propriétés n’avaient été touchés par les crues.

D’autres citoyens craignent de ne plus pouvoir s’assurer ou de voir la valeur de leur propriété chuter, indique le maire Chiasson.

« C’est un préjudice, à mon avis, a-t-il déploré. Le lac Saint-François ne peut pas monter parce qu’il est contrôlé par deux barrages. »

La députée du Parti libéral, Marie-Claude Nichols, représente Vaudreuil. Elle dénonce « l’incompétence » du gouvernement Legault qui, selon elle, n’a pas apporté les correctifs nécessaires à la délimitation des ZIS.

« Je trouve ça plate pour les citoyens, a-t-elle déploré. C’est le gouvernement qui a créé cette situation et il ne corrige pas grand-chose. Une résidence, une maison, c’est l’investissement d’une vie. […] Je trouve ça triste qu’on ne tienne pas compte du côté humain. »

Révision possible

Au cabinet de la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, on a indiqué que les délimitations des ZIS font toujours l’objet d’une analyse. Les citoyens qui souhaitent s’y soustraire ont jusqu’au 19 août pour demander une révision. Il est donc possible que les citoyens de la MRC Vaudreuil-Soulanges puissent profiter d’un répit.

« Si des ajustements doivent être faits, ils le seront très rapidement », a indiqué la porte-parole de la ministre, Bénédicte Trottier-Lavoie. Elle a aussi assuré que des échanges ont toujours lieu au niveau administratif pour finaliser la délimitation des ZIS.

Le moratoire a provoqué une vive résistance ces dernières semaines. Pas moins de 5600 personnes ont participé aux assemblées publiques organisées par Québec début juillet. Et 3200 citoyens ont communiqué avec le Ministère par courriel.

Assurances

La ministre Laforest a dit avoir pris acte des préoccupations exprimées au cours des dernières semaines. Elle s’est faite rassurante, hier, pour les citoyens touchés par le moratoire.

« On a parlé avec le Bureau d’assurance du Canada, a-t-elle dit. Toutes les conversations me laissent croire que les primes n’augmenteront pas. »

Cette information a cependant été en partie contredite par le Bureau d’assurance du Canada (BAC). Celui-ci confirme que ceux dont la maison se trouve dans une ZIS pourraient avoir plus de difficulté à contracter une police d’assurance inondation.

Les compagnies d’assurances vont en effet tenir compte des délimitations des ZIS avant de déterminer si elles offrent ce produit, et à quel coût, a indiqué la porte-parole du BAC, Anne Morin.

« S’il y a un historique et que la personne se trouve dans une zone à risque, l’assurance inondation va possiblement être plus difficile à souscrire ou va être plus coûteuse », a-t-elle indiqué.

En revanche, a-t-elle ajouté, l’inclusion dans une ZIS n’empêchera pas un propriétaire de souscrire à une police qui couvre le vent, le feu, le vol ou le vandalisme.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Pierre Bélanger vit depuis 15 ans dans sa maison au bord de la rivière du Chêne, à Saint-Eustache. Il croyait qu’il serait retiré des zones avec la publication de la nouvelle carte.

« Qu’ils ne viennent pas me dire que c’est inondable »

Des citoyens dont le terrain n’a jamais été inondé sont déçus de se retrouver une fois de plus dans les « zones d’intervention spéciale » annoncées hier par le gouvernement du Québec

Pour Louis Pinsonneault et sa femme, Robin Pope, de Notre-Dame-de-l’Île-Perrot, la nouvelle cartographie ne change rien : le couple de nouveaux retraités se trouve toujours en zone inondable, alors que, selon lui, « il n’y a jamais eu une seule goutte d’eau » d’inondation sur son terrain.

Lors d’une entrevue avec La Presse la semaine dernière, le couple avait déclaré risquer de voir s’effondrer le projet de sa vie, soit la construction d’une nouvelle maison sur un terrain récemment acquis.

Dès l’annonce de la nouvelle carte, M. Pinsonneault et Mme Pope se sont rendus à la municipalité pour demander comment procéder pour la suite des choses. « À la Ville, tout le monde pensait qu’on allait être corrects, même la mairesse. »

« On n’a plus de recours, dit M. Pinsonneault. C’est maintenant aux municipalités à s’organiser pour faire des demandes d’exception. »

Les citoyens ont jusqu’au 19 août pour contester des erreurs dans la zone auprès de leur municipalité.

« Ça n’a pas de sens »

Pierre Bélanger vit depuis 15 ans dans sa maison au bord de la rivière du Chêne, à Saint-Eustache. Il n’a jamais vu l’eau monter jusqu’à son terrain. « Qu’ils ne viennent pas me dire que c’est inondable », affirme l’homme de 59 ans.

À quelques centaines de mètres de chez lui, les citoyens ont été retirés de la zone inondable – lui s’y trouve toujours. « Ça n’a pas de sens. Avant que la rivière monte jusqu’ici, Deux-Montagnes serait inondé », explique-t-il.

Pierre Bélanger, qui travaille dans le domaine de la construction, a investi 100 000 $ pour rénover sa maison. « Rien qu’à y penser, ça m’enrage. »

Il croyait qu’il serait retiré des zones avec la publication de la nouvelle carte. « Je vais aller voir la Ville demain, ça, c’est certain », confirme-t-il.

Des maisons retirées de la zone

Un peu plus au nord sur la rivière, Anne-Marie Saint-Amour vient d’apprendre que sa maison a été retirée de la zone inondable. « On se réjouit pour nous, mais on pense aussi aux gens qui vivent encore dans l’une de ces zones », explique-t-elle.

Mme Saint-Amour trouve dommage que des gens qui n’ont jamais été inondés se retrouvent encore dans la nouvelle carte du gouvernement. « On est solidaires avec les gens qui le vivent. »

Elle réside dans sa maison à Saint-Eustache depuis 10 ans. Au début de juillet, elle a appris que son terrain était en zone inondable.

« On trouvait que ça se faisait de façon très précipitée, dit-elle. Ce que je déplore, c’est que ça se soit fait rapidement, avec peu d’informations. »

Anne-Marie Saint-Amour aurait souhaité que la création des zones se fasse de façon plus « respectueuse envers les citoyens ». « Le gouvernement est plutôt généreux, mais il faut faire les changements dans le respect des gens. »

Des élus municipaux soulagés

Le maire de L’Île-Perrot, Pierre Séguin, s’est réjoui de la nouvelle cartographie, qui a finalement exclu de nombreuses habitations qui faisaient partie des zones inondables de façon erronée.

« On est quand même contents de voir qu’il y a eu des changements majeurs sur la carte, a-t-il dit. Il y a une grande, une immense différence entre les deux cartes. »

Les résidants de L’Île-Perrot ont eu froid dans le dos lorsque la première version de la cartographie a été publiée. S’il ne pouvait pas dire que la nouvelle version épargnait tout le monde, le maire Séguin a félicité le gouvernement pour les corrections. « La nouvelle cartographie représente beaucoup mieux la réalité de notre territoire. »

Les élus de Saint-Eustache sont bien heureux de voir que les zones inondables ont été réduites dans leur ville. Le maire de la municipalité avait dénoncé au début du mois une carte qui « ne reflète pas la réalité observée sur le terrain ».

« Beaucoup de citoyens se retrouvaient bloqués complètement », a exposé Patrice Paquette, conseiller municipal à la Ville de Saint-Eustache et président du comité d’aménagement du territoire. « Ça devenait difficile pour eux de vendre leur maison. Ils ne pouvaient plus se rebâtir ». L’élu se dit « satisfait » des zones présentées par le gouvernement.

La municipalité compte tout de même passer la nouvelle carte au peigne fin au cours des prochains jours afin de s’assurer qu’il n’y a pas d’erreurs.

À Deux-Montagnes, l’ancienne carte triplait la surface des zones inondables, selon le maire, Denis Martin. « De nombreuses personnes n’avaient jamais eu d’eau », a-t-il indiqué.

Il croit que la nouvelle cartographie est beaucoup plus près de la réalité. « Le gouvernement a reconnu ses erreurs et a agi rapidement, dit M. Martin. On est satisfaits. »

Rectificatif

Une version antérieure de ce texte indiquait que Marie-Claude Nichols est députée de Vaudreuil-Soulanges. Elle est en fait députée de Vaudreuil. Nos excuses.