Des renseignements provenant de l'enquête antimafia Colisée ont joué un rôle important dans les enquêtes de Revenu Canada sur les entreprises de Francesco Bruno, notamment la société B.T. Céramique, qui ont abouti à une série de perquisitions dans des compagnies de construction le mois dernier, selon les documents judiciaires.

B.T. Céramique, située au 7374, boulevard Henri-Bourassa Est, à Anjou, a ses bureaux dans un immeuble commercial appartenant au chef de la mafia montréalaise, Vito Rizzuto, et au consigliere Paolo Renda, a appris La Presse.

«Le 19 avril 2007, suite à des informations obtenues dans le cadre du Projet Colisée, l'Agence de revenu du Canada a débuté une deuxième vérification sur B.T. Céramique», écrit la GRC dans une déclaration sous serment accompagnant un mandat de perquisition exécuté dans le cadre de son enquête sur les agents de Revenu Canada soupçonnés d'avoir conseillé Francesco Bruno.

Le 6 mai 2008, B.T. Céramique, qui appartient à Bruno et à deux membres de sa famille, a fait l'objet d'une visite surprise des inspecteurs. À la même époque, les bureaux de quatre institutions financières et d'un comptable ont aussi fait l'objet de perquisitions par le fisc. Il y a deux semaines, B.T. Céramique a été accusée en Cour du Québec d'avoir arnaqué le gouvernement canadien.

L'immeuble qui abrite B.T. Céramique est la propriété de Renda Construction, dirigée par Paolo Renda, son beau-frère Vito Rizzuto et trois autres membres de leur famille. Les deux «parrains» montréalais sont actuellement emprisonnés, l'un depuis 2004 pour un triple meurtre au profit de la «famille» Bonanno de New York et l'autre depuis 2006, pour ses années de banditisme au sein du clan sicilien. Construit en 1987, le bâtiment comprend six autres commerces. Il est évalué à 1,5 million par la Ville de Montréal.

Dans des documents judiciaires, le fisc avance que «B.T. Céramique s'est fait remettre de fausses factures afin de réduire ses revenus et payer des salaires au noir». Francesco Bruno, sa femme et son beau-frère sont aussi soupçonnés d'avoir encaissé des centaines de milliers de dollars au moyen de la compagnie à numéro 3 703 436 Canada inc., au coeur du présumé système de fraude fiscale.

Autre fait acquis, selon les documents du fisc : Bruno et ses acolytes ont profité des conseils et des «vérifications de complaisance» d'au moins deux inspecteurs de Revenu Canada, Adriano Furgiele et Antonio Girardi. Bruno possédait avec eux aux Bahamas et en Suisse des comptes secrets « dans lesquels ont transité plus de 1,7 million de dollars en moins de deux ans, dont 900 000 $ en provenance de 3 703 436 Canada inc.».

Le compte suisse, indiquent les enquêteurs de Revenu Canada, a été ouvert après l'arrestation du financier québécois Martin Tremblay, avec lequel les trois hommes faisaient affaire aux Bahamas. Tremblay est incarcéré aux États-Unis pour blanchiment d'argent.

Entamée en 2006, l'enquête de Revenu Canada a démontré que «B.T. Céramique et la compagnie à numéro ne faisaient qu'une» et que le bénéficiaire des actions était établi à Monaco. Dans des documents intitulés Plan of action trouvés l'an dernier chez le comptable de Bruno, rue Jean-Talon, à Saint-Léonard, les enquêteurs affirment que la firme monégasque est «un prête-nom, voire qu'elle n'existe même pas».

C'est en enquêtant sur la compagnie B.T. Céramique que les experts du fisc ont porté leur attention sur trois compagnies administrées par Tony Accurso, un des plus importants entrepreneurs en construction et en travaux publics du Québec. Ces compagnies, Simard-Beaudry Construction, Construction Louisbourg et Hyprescon, ont fait l'objet de perquisitions le 7 avril.

Selon Revenu Canada, les compagnies administrées par M. Accurso ont versé 4,5 millions de dollars aux deux entreprises fictives de Francesco Bruno, soit 3 703 436 Canada inc. et Entretien Torelli, au cours des années 2005, 2006 et 2007. En retour, ces deux coquilles vides fournissaient de fausses factures aux entreprises de M. Accurso.

«Simard-Beaudry Construction, Construction Louisbourg, Hyprescon - et une quatrième, Ventilex - ont utilisé ces factures de complaisance pour réduire frauduleusement leurs revenus», indique le fisc dans un communiqué.

Lancé en 2001, le projet Colisée - il s'appelait à l'origine Cicéron - avait pour cible Vito Rizzuto et le blanchiment d'argent. L'enquête, qui a mobilisé des dizaines de policiers, s'est terminée en novembre 2006 par l'arrestation d'une centaine de personnes, dont le vieux caïd Nicolo Rizzuto et son état-major. Les six dirigeants mafieux ont depuis plaidé coupables et reçu leur peine. Parmi eux, Paolo Renda, décrit comme le consigliere du clan, a été condamné à quatre ans de prison. Il devrait recouvrer sa liberté au début de l'an prochain.