Elles s'installent devant la caméra, elles appuient sur le bouton rouge et elles se livrent sans pudeur. À travers les larmes, elles détaillent les difficultés scolaires de leur enfant, leurs conditions de travail, les mauvais jours de leur maternité... Quel impact ont ces nombreux messages publiés à vif, surtout par des femmes, sur les réseaux sociaux?

La vidéo a été vue plus de 5 millions de fois. En larmes dans sa voiture, Coralie Cambelin explique que son fils, Oscar, ne peut désormais aller à l'école qu'une seule journée par semaine. L'établissement du Pas-de-Calais, en France, a réduit les services offerts au garçon après qu'il a eu une grave crise d'épilepsie.

La jeune mère a enregistré un vibrant plaidoyer il y a un mois: «Je dis quoi à mon enfant de 6 ans quand il me réclame d'aller à l'école pour voir ses copains?», demande-t-elle, en sanglots.

«Oscar a besoin d'aller à l'école, de voir ses copains, d'avoir une vie. Je croyais que la scolarité était obligatoire à partir de 6 ans, je croyais que mon fils avait des droits. Mais a priori, quand on est handicapé, les droits, on s'en fout!», ajoute Mme Cambelin. La jeune femme promet de se battre, mais elle admet du même coup ne pas savoir par où commencer.

Publier une vidéo sur Facebook lui semblait un bon point de départ. La réponse des internautes a été immédiate et les projecteurs de l'Hexagone se sont braqués sur les conditions des enfants avec des besoins particuliers.

De son propre aveu, la mère de famille a été renversée par l'impact de son message. «Je ne m'attendais pas à un tel buzz, a-t-elle écrit à La Presse. Mon époux et moi avons décidé de prendre du recul [par rapport à] la situation.»

Le partage d'émotions sur les réseaux sociaux ne date pas d'hier, mais ces messages spontanés, livrés à chaud, se multiplient. «L'expression de ses émotions de la sorte est somme toute assez nouvelle, fait remarquer Léa Clermont-Dion, auteure et chercheuse féministe. Aujourd'hui, n'importe qui peut partager ses vulnérabilités sur le web. Autrefois, il fallait prendre le temps d'en parler à ses proches, écrire un livre, aller voir un psy, etc. Aujourd'hui, on peut faire tout ceci, mais aussi, on peut en parler publiquement. Cela permet clairement de déstigmatiser certaines discussions qui étaient autrefois un peu plus taboues.»

La force du public

Briser les tabous, oui, mais aussi faire appel à la force du public, croit Martine Delvaux, professeure de littérature à l'UQAM et auteure féministe. «Dans certaines situations, on se dit que si tout le monde est au courant, si on a l'appui du public, les institutions vont peut-être plier ou être conscientisées», fait-elle remarquer.

S'ils sont spontanés, ces messages très émotifs ne sont donc pas diffusés sans but précis. Bien au contraire. «C'est du direct, de l'authenticité et de la sincérité, mais en même temps, du moment que l'on met une vidéo en ligne sur Facebook ou sur YouTube, on est forcément en représentation», ajoute-t-elle.

Qu'il entraîne ou non un changement politique, ce type de témoignage suscite généralement l'expression d'une certaine solidarité.

«Il y a généralement certaines situations qui génèrent l'empathie plus que d'autres, notamment quand elles sont très personnelles», indique Léa Clermont-Dion, auteure et chercheuse féministe.

«Rappelons-nous le cri du coeur de la jeune infirmière, à bout de souffle. Ce partage d'un sentiment d'épuisement avait été bien reçu, parce qu'il démontrait une situation taboue qui résonnait chez beaucoup de personnes», estime Mme Clermont-Dion

Triste, émue, mais pas misérable

L'impact de ce partage, Julie Philippon, blogueuse et auteure, le connaît très bien. À travers le site Mamanbooh et les réseaux sociaux, elle rejoint des milliers de parents. Plusieurs veillent, comme elle, sur des enfants à besoins particuliers.

Il y a deux semaines, à l'occasion d'une diffusion en direct sur Facebook, l'enseignante de formation a versé quelques larmes après avoir assisté au spectacle de musique de l'école de son fils. La classe de soutien dans laquelle il évolue ne participe pas à toutes les activités organisées par l'établissement. Mais cette fois, le garçon était sur scène. Comme les autres.

«Ça fait du bien... parce que j'étais fière comme maman et j'étais contente...», a raconté Mme Philippon, en larmes.

«Je ne pensais pas pleurer, mais je pense que je suis fatiguée et j'ai vraiment eu une grosse émotion, ajoute-t-elle. Avant, j'écrivais beaucoup ce genre de choses là et je me suis censurée pour protéger mes enfants. Mais ce que j'ai vécu, il y a plein de parents qui le vivent...»

À côté de son témoignage, les commentaires de soutien défilaient. Et dans la boîte privée de la blogueuse, des mères dont les enfants éprouvent des difficultés se sont confiées à elle. Elles ont été touchées, et elles ont été inspirées.

«Je ne veux vraiment pas faire pitié ni jouer à la victime. Je veux qu'il ressorte quelque chose de positif de ça. J'aimerais vraiment mieux pleurer moins, aussi.»

Des larmes au féminin?

Les femmes n'ont pas l'apanage des larmes, mais ces vidéos émotives demeurent un phénomène largement féminin. «Les expériences des femmes ont souvent été traitées comme privées, comme si elles devaient être contenues dans l'espace domestique de la maison. Les médias sociaux permettent aux femmes de montrer ce qu'est réellement leur vie, note Stefanie Duguay, aide-professeure au département de communication de l'Université Concordia et spécialiste des réseaux sociaux. Certaines caractéristiques et normes des médias sociaux contribuent à l'impact de leurs histoires: les vidéos sont filmées de près, dans un espace familier (comme la maison ou une voiture), et elles présentent une vulnérabilité. [...] Cela saisit le public et attire l'attention.»

L'expression de ces sentiments est loin d'être un signe de faiblesse, ajoute Martine Delvaux. En publiant des vidéos, ces femmes s'expriment. S'activent. «En les regardant, je me suis dit que c'est bien beau, les larmes, mais elle est où, la colère? Une colère qui est une forme de mobilisation. Il ne faut pas que ça reste juste dans les réseaux sociaux, entre mères. On le sait qu'on souffre. Il faut maintenant que ça déplace des montagnes.»