Mettez le commun des mortels face à un mécanicien, un électricien ou, pourquoi pas, un informaticien. Voyez les points d'interrogation apparaître dans ses yeux. Le doute envahir son visage. Comment se fait-il qu'on se sente tout à coup si impuissant face à ces experts? de différents univers? Comment, surtout, se défaire de ce désagréable sentiment?

L'autre impuissance...

Début décembre. Il est grand temps d'aller chez le garagiste faire installer vos pneus d'hiver. Or voilà que vous tremblez à l'idée d'y retourner, parce que l'an dernier à pareille date, on vous a appris qu'il y avait une fuite dans le «gasket» de tête, quelques «bearings» du carter du moteur brisés, et les «rings» du cylindre numéro 2 à remplacer. Bref, ce qui devait être un rendez-vous de routine s'est transformé en véritable cauchemar, pour votre amour-propre et votre portefeuille.

Au fait, c'est quoi, exactement, un «gasket»?

Non, vous n'êtes pas seul. C'est d'ailleurs précisément pour des gens comme vous qu'Anne Bordeau, alias Mecagirl, passionnée de mécanique, a créé un blogue: La mécanique pour les filles - bienvenue aux hommes, il va sans dire, ils sont d'ailleurs nombreux à la suivre sur YouTube.

«Cette impuissance naît d'une méconnaissance et c'est valable dans tous les domaines», répond la Française, par courriel. Celle qui fait des tutoriels sur l'art de changer un filtre à air, de tester le liquide de freins ou de mesurer l'épaisseur d'un disque se sent quant à elle plutôt impuissante face au diagnostic d'un médecin ou d'un informaticien. À chacun ses (in)compétences, quoi.

Le langage de la peur

Il faut dire que plusieurs professionnels utilisent un langage de la peur, ajoute l'experte en matière de stress Sonia Lupien, laquelle se dit particulièrement fragile face aux planificateurs financiers.

«La peur est un puissant moteur pour nous faire acheter des choses.»

Si vous pensez en effet que votre vie dépend d'une assurance familiale, d'un nouvel antivirus ou d'une couronne pour votre dernière molaire, vous aurez tendance à acheter ce qu'on vous vend. D'autant plus que vous n'aurez pas 10 jours pour y réfléchir, mais que généralement, vous devrez acquiescer dans l'instant.

Et c'est précisément là que réside le clou du problème. Car cette peur active l'amygdale, poursuit Sonia Lupien, laquelle active à son tour la réponse de stress. Or si vous répondez avec votre amygdale, dans l'urgence, donc, c'est que vous ne laissez pas le temps au lobe frontal (la zone du jugement) d'agir, celui-là même qui inhibe cette réponse de stress.

L'achat d'une robe noire ou d'une nouvelle paire de bottes n'activera pas votre amygdale, illustre-t-elle. On ne se sent effectivement pas incompétent dans un magasin de souliers (sauf s'il est archispécialisé, peut-être). Mais face à la menace d'une crevaison, ou d'une douleur imminente de la dent? Plus probablement.

Un discours technique

Et cette peur est en prime alimentée par un discours de plus en plus volontairement «complexe, pour expliquer des choses finalement assez simples», renchérit Arnaud Granata, éditeur d'Infopresse. Il cite à titre d'exemple l'univers des cosmétiques, où le discours s'est (inutilement?) complexifié dans les dernières années.

«On avance un discours médical, avec un marketing de la peur et de la culpabilité.»

Un exemple? Lotion de jour, de nuit, anti-âge, pour réduire ridules et rides, qui oserait s'en priver et être ainsi responsable de son vieillissement prématuré, semble nous crier la publicité. Or ne l'oubliez pas, rappelle l'observateur des médias: «Il est essentiel de savoir que derrière chaque entreprise, il y a un discours commercial, une volonté de faire du profit.»

Solution par l'information

Cela étant dit, tous les observateurs interrogés le confirment: pour lutter contre cette impuissance, il n'y a pas de secret, il faut s'informer (et «calmer votre amygdale», vulgarise Sonia Lupien).

Le psychiatre Michael Bennett, à qui l'on doit l'antiguide de développement personnel F*ck l'estime de soi (un best-seller, F*ck Feelings dans sa version originale) sur l'art de surmonter son complexe d'infériorité, n'y va pas par quatre chemins. «Si vous vous sentez nul, prenez-le comme un signal d'alarme et dites-vous que vous devriez en savoir plus», dit-il en entrevue.

«Servez-vous de votre anxiété pour vous lancer dans la recherche. Faites preuve de curiosité. Ne vous laissez pas décourager.»

Bref, soyez «constructif», dit-il. La clé, selon lui, est de miser sur deux sources. On vous dit que vous devez investir dans un fonds de placement X? Allez consulter un deuxième conseiller pour avoir son avis.

Et surtout, n'oubliez jamais que même les plus grands experts ont leurs faiblesses. Lors de notre entretien téléphonique, le diplômé de Harvard, qui pratique depuis 30 ans la psychiatrie, en arrachait avec le système de chauffage de sa voiture...

Parole d'experts

Trois conseils d'experts pour nous aider à nous sentir moins incompétents.

S'informer et avoir confiance

En apprenant qu'ils devront se faire poser un implant ou subir un traitement de canal, voire une simple anesthésie ou une obturation, certains patients perdent effectivement les pédales, se sentant impuissants face à ces informations qu'ils ne saisissent pas nécessairement, confirme le dentiste Gabriel Malka. Son truc? «En leur expliquant les étapes et en mettant tout en perspective, ils acceptent mieux.» Le secret, dit-il, c'est la compassion et l'écoute, sans submerger l'interlocuteur d'information. «Trop d'information peut parfois créer une réaction adverse, fait-il valoir. Tout se joue dans la confiance et la relation entre patient et dentiste.»

Trouver une référence

L'électricien François Fradette a tendance à donner beaucoup d'explications à ses clients. «Des fois oui, je sens que les gens ne comprennent pas, confirme-t-il, alors j'essaye d'être le plus clair possible.» Souvent, quand il est particulièrement technique, on lui dit les fameux «c'est toi qui sais» et autres «c'est toi le spécialiste». «Moi, j'ai confiance en mon travail, alors si les clients me disent ça, je me sens utile!» Quant aux sceptiques, il leur suggère de consulter par référence («ça donne confiance») et leur rappelle qu'il existe une corporation des électriciens. Bref, pour en avoir le coeur net: «Il y a toujours moyen de vérifier s'il y a eu des plaintes.»

Accueillir une dose d'incertitude

Ce n'est pas vrai de tous les domaines de la médecine, mais du côté de la psychiatrie, il faut savoir qu'il existe peu de certitudes scientifiques, signale le psychiatre Michael Bennett. «On en sait même souvent beaucoup moins que ce que les gens pensent, dit-il. On ne veut pas dire n'importe quoi, mais très souvent, il nous manque beaucoup de morceaux aux casse-têtes.» Oui, ça peut faire peur, admet-il en riant. Un exemple? «On n'a toujours pas découvert ce qui se passe vraiment pendant une dépression, pourquoi certains réagissent bien à la médication, d'autres non, etc.» Son truc? «Vous devriez faire confiance à un expert qui est transparent sur ce qu'il sait et ne sait pas, et qui est à l'aise de discuter de ses incertitudes», conseille-t-il.

Qu'est-ce qui vous fait sentir incompétent?

«Moi, je me sens complètement impuissante et incompétente chez le mécanicien. Et vous?» Dix réponses, récoltées au hasard.

Les patrons

«Je dirais probablement que mes patrons me font sentir incompétent. Je viens de graduer. Et il y a un pas entre l'école et le travail. Je me sens toujours incompétent face à des professionnels qui, eux, travaillent dans le même domaine depuis longtemps.» - Alex Chachkov, programmeur, 27 ans

Le bio

«Le monsieur qui asperge ma pelouse avec des produits soi-disant bios. Comment voulez-vous que je sache s'ils sont vraiment bios? On n'a aucune garantie. Je me sens tellement vulnérable face à tout ce qui est bio, en fait.» - Pierre Turcotte, évaluateur, 67 ans

Les institutions financières

«On est un peu néophytes et on ne comprend rien. Les placements, les rentes, les choses comme ça, ça nous met mal à l'aise, on pose des questions et on reste avec des points d'interrogation.» - Francine Houle, agente, 58 ans

Les comptables

«On se fie à eux, on leur donne nos rapports d'impôt, on leur fait confiance, mais on ne sait pas trop ce qu'ils font avec ça.» - Érika Émond, infirmière, 24 ans

Les menuisiers

«Moi, je ne suis pas trop handy, je ne suis pas très bon, alors je vais être porté à suivre leurs recommandations de façon intégrale plutôt que de chercher à faire les choses par moi-même.» - Michel Surprenant, directeur de relations de travail, 53 ans

Les nouvelles technologies

«Oui, en effet, les nouvelles technologies sont superbes, mais quand cela plante, on est parfois impuissant. Maintenant, Skype a changé récemment sa plateforme et il ne fonctionne plus... Merde! En ce qui me concerne, je respire par le nez, je médite, j'accepte... shit happens et, comme Bouddha disait: "Life is suffering..."» - Michel Campbell, psychologue, 63 ans

La maternité

«Ça m'arrive souvent comme mère de me sentir inadéquate, de ne pas savoir quoi faire, d'être désemparée. C'est très personnel, ça dépend du niveau de confiance et d'assurance qu'on a développé au fil du temps. Moi, je suis d'un naturel à me remettre beaucoup en question.» - Sylviane Roy, avocate, 59 ans

Les ordinateurs

«Moi, ce sont les ordinateurs. C'est pas mon fort. Ce matin, justement, une fille me regardait taper. Et plus elle me regardait, moins je pouvais avancer. Sa manière de me regarder, ça me fatiguait.» - Pierrette Thibault, commis, 80 ans

La santé

«Au CLSC. Tout ce qui est au CLSC est désagréable. On attend toujours longtemps. Très longtemps. Je ne parle pas ici du personnel du CLSC, mais bien du système.» - Flavie Sirois-Vaillancourt, étudiante, 25 ans

Rien du tout

«En fait, moi, je n'ai rien en tête. Je pense que s'il me manque une information, je vais la chercher. Avec l'internet, on a maintenant toutes les informations au bout des doigts.» - Lucie Thibault, employée de bureau, 54 ans

Photomontage La Presse