Qui n'a jamais vu passer dans son fil de nouvelles Facebook des statuts relatant une rupture, des photos mettant en scène l'ancienne moitié d'un couple avec sa nouvelle flamme? À l'heure des réseaux sociaux, les chagrins d'amour se vivent aussi dans le monde virtuel, avec des émotions, toutefois, bien réelles.

Skype, Facebook, Twitter, Instagram, Wordpress... Aujourd'hui, les dégâts causés par une rupture se mesurent aussi dans la vie virtuelle, où les couples se font, se défont et se reforment. Parfois sans tact. Parfois avec colère.

Sur Facebook, des statuts enragés sont accueillis par un silence gênant. Des photos d'un tout nouveau couple seront accueillies par des «J'aime» enthousiastes sur Instagram, au détriment parfois de la personne quittée. On épiera sur Twitter les allées et venues d'un rival amoureux.

Conflits

«J'ai l'impression que les réseaux sociaux peuvent participer à la dégradation des relations entre deux ex», observe la psychologue montréalaise Louise Aznavour, qui pratique la thérapie de couple.

Est-ce bien nécessaire de s'afficher en photo aux côtés de sa toute nouvelle flamme alors que les ruines de la précédente relation sont encore fumantes? Louise Aznavour se montre pour le moins circonspecte et croit fermement à l'effet boomerang qui peut résulter d'une utilisation impulsive et parfois égoïste des médias sociaux. Ainsi, tel un boomerang, la «pique» destinée à satisfaire une jalousie ou une rancoeur blesse l'autre personne, mais risque inévitablement de nous revenir en plein visage. «On ne construit pas son bonheur en créant du malheur», philosophe Mme Aznavour.

Impudique

Depuis la popularisation de Facebook, de nombreux utilisateurs ont pu constater (ou vivre) les dommages causés par une technologie qui permet d'exprimer rapidement, et publiquement, des sentiments de colère. Écrire un statut Facebook insultant son ex peut apporter quelques secondes de satisfaction au creux de la nuit. Mais est-ce bien raisonnable, surtout quand on a des enfants?

Pour François St Père, psychologue, médiateur familial et spécialiste de la thérapie de couple, c'est non. «C'est ça qui est triste. Les gens n'ont pas de filtre: ils sont dans l'émotion, l'autre n'est pas face à eux, et ils se mettent à écrire des choses. Il y a des conséquences à cela, mais les gens ne sont pas en mesure de se contrôler.»

Tribunal

Signe de l'omniprésence et omnipotence des médias sociaux, plus de 15 décisions mentionnant Facebook ont été rendues par la justice québécoise au cours des deux dernières années seulement en droit de la famille.

Il s'agit d'un père qui illustre ses commentaires sur son ex et son droit de visite d'une photo tirée du film Psycho sur sa page Facebook. D'un parent qui discute des problèmes de son ex-conjointe sur les réseaux sociaux, publie 700 photos de son bébé sur Facebook et se sert même d'une photo de son enfant pour son profil sur un site de rencontres...

Autant de comportements sévèrement réprouvés par le tribunal, qui ordonne clairement au parent de ne pas harceler, ou «faire étalage de quelque façon que ce soit de leur conflit» dans les réseaux sociaux, et qui peuvent considérablement nuire au fautif lors des négociations pour la garde des enfants.

Deuil

Est-ce à dire que les réseaux sociaux sont condamnés à jouer un rôle négatif dans le deuil amoureux? François St Père, auteur de L'infidélité, un traumatisme surmontable, voit certains aspects positifs aux vies qui s'étalent sur les réseaux sociaux. «Oui, ça fait mal quand on réalise que notre ex a une vie bien remplie. Ça va à l'encontre d'un espoir de réunion, dit-il. Mais ça écourte le deuil. C'est une observation concrète. Quand on voit que les relations sont terminées, cela peut permettre de passer à autre chose.»

Un chagrin d'amour 2.0

Quand le père de son fils de 1 an l'a quittée du jour au lendemain, Camille* s'est tournée vers un outil indispensable en 2015: de l'internet.

Dépassée par le choc d'une séparation qu'elle n'avait pas vue venir, la jeune trentenaire a trouvé une grande partie des réponses à ses questions dans les courriels et le compte Skype de celui qui partageait sa vie depuis six ans.

Qui dit quotidien partagé dit en effet mots de passe pas très secrets.

En plein désespoir amoureux, Camille a accédé en quelques clics à tout un historique de correspondance par courriel et de conversations Facebook ou Skype que son conjoint a entretenues, pendant plus de six mois, avec une autre femme, rencontrée lors d'un déplacement professionnel.

Remonter aux origines d'une relation née quelques mois à peine après la naissance de son enfant a été difficile à digérer. Mais ce mal était nécessaire, croit Camille, car ces échanges ont révélé une réalité dont son conjoint refusait de parler.

Épier les faits et gestes de l'autre - ou de sa nouvelle amie - peut toutefois devenir un réflexe incontrôlable: Camille a demandé à son ex de changer tous ses mots de passe, pour ne plus avoir la tentation de voir ce qui se trouve dans sa boîte de réception.

Toutefois, malgré la colère, elle n'a jamais cédé à l'impulsion de parler de sa rupture à ses amis virtuels ou de s'épancher sur les bévues de son ex. «Tu peux salir très facilement la réputation de quelqu'un sur Facebook ou même de façon très publique sur Twitter. J'ai un enfant et je pense à lui. Il aime son père, et je ne vais pas détruire ça parce que je suis blessée», dit-elle.

Camille tient toutefois un journal littéraire de son deuil amoureux, sur un site Wordpress. «Ça fait partie de la modernité. Je n'ai pas eu la parole dans cette rupture. C'est une façon de rétablir ma parole et de rationaliser les choses. Il y a aussi un travail d'écriture.»

Voit-elle ces mots, pour le moment anonymes, comme une vengeance envers son ex? «Je ne veux pas utiliser le mot vengeance. Mais ce n'est pas une histoire qui sera enfouie.»

* Camille préfère taire son nom