Les femmes qui osent dire, qui ne craignent pas la controverse, sont-elles trop discrètes? Trop peu nombreuses? Olivia Lévy est partie à la recherche de celles qui n'ont pas peur des mots et de leurs opinions.

Les femmes qui donnent leur point de vue et qui osent dire de manière très assumée ce qu'elles pensent sont-elles assez nombreuses dans nos médias? Denise Bombardier, Nathalie Petrowski, Lise Ravary, Marie-Claude Lortie, Sophie Durocher, Isabelle Maréchal, Geneviève St-Germain, Nathalie Collard, Judith Lussier... Oui, elles tiennent des chroniques ou des blogues dans de grands quotidiens. On peut les entendre à la radio et à la télévision, mais elles demeurent en minorité.

«Dans l'arène publique, une femme doit avoir une carapace aussi dure que la peau d'un rhinocéros», a rappelé Hillary Clinton en citant les paroles d'Eleanor Roosevelt lors de sa conférence à Montréal, en mars dernier.

«Il y a très peu de femmes qui assument et qui acceptent de ne pas avoir de cour. Je ne cherche pas de courtisans, mais des interlocuteurs», confie Denise Bombardier, chroniqueuse au Journal de Montréal. «Faire réfléchir est mon objectif. J'aime déstabiliser les gens idéologiquement et intellectuellement. Le choc des idées, c'est ça qui est intéressant. Je n'accepte pas d'être insultée, mais j'assume le fait de provoquer des réactions», dit-elle. Elle ajoute que, pour y arriver, il faut avoir un sens critique et une grande liberté journalistique.

Les femmes ont-elles peur de déplaire? «D'une certaine façon, les femmes sont dans la séduction. En Europe, c'est bien pire. Mais il reste qu'elles ont plus de difficulté à accepter la critique. Des femmes abrasives, il n'y en a pas beaucoup», dit Denise Bombardier. Lise Ravary partage son point de vue. «Ce n'est pas évident d'être une personne d'opinions, point. Les femmes de ma génération [50 ans et plus], on a été élevées pour plaire et pour être gentilles. Une femme qui parlait fort était mal vue et on a gardé des séquelles de cette époque. [...] Les hommes sont plus blindés et un homme qui s'affirme, c'est viril. Est-ce féminin, une femme ayant des opinions qui tranchent ? Ce n'est pas très sexy. Une femme, ça miaule, ça ne gueule pas», dit celle qui écrit dans le Journal de Montréal et qui débat chaque semaine à l'émission C'est pas trop tôt, à ICI Radio-Canada Première.

De son côté, Nathalie Petrowski espère que les femmes ont dépassé ce stade de vouloir plaire à tout prix. Elle estime qu'il faut être capable d'accepter les commentaires. «Je reçois des compliments, mais aussi des critiques très virulentes. Ça fait 35 ans que je suis journaliste et que j'ai une grande gueule», clame-t-elle.

Avec l'internet, les réactions sont aujourd'hui instantanées. «Un simple clic suffit. Les réactions peuvent être très violentes et je me fais un devoir de répondre à ces critiques. Je leur dis: S.V.P., restez poli, j'ai exprimé une opinion et je ne vois pas pourquoi je mérite de telles insultes», indique celle que l'on peut lire dans La Presse depuis une vingtaine d'années maintenant.

Commentatrices recherchées

Benoît Dutrizac, coanimateur des Francs-tireurs et de l'émission Dutrizac (98,5FM), a du mal à trouver des femmes qui ont des opinions tranchées pour participer à son émission. Il en cherche, et chez les plus jeunes, elles sont presque inexistantes. «Les femmes n'osent pas se prononcer, elles sont mal à l'aise, c'est hallucinant. Et c'est vrai qu'elles sont perçues différemment des hommes. Les hommes sont plus fanfarons et pensent détenir la vérité alors que les femmes gardent une certaine gêne et doutent davantage.»

«La rhétorique est un jeu, les échanges sont parfois vifs, mais il faut être capable de dire : ce n'est pas moi qu'on attaque, mais l'idée que je représente», explique Rachel Chagnon, directrice de l'Institut de recherches et d'études féministes de l'UQAM. «Je le vois bien, mes étudiantes s'associent intimement à leurs idées et elles considèrent que mettre leurs opinions en pièces, c'est s'attaquer directement à elles.» Madame Chagnon croit cependant qu'il y a eu du changement depuis la grève étudiante en 2012. Les femmes prennent davantage la parole et de manière plus assumée. «Prendre la parole et recevoir des coups, ça remet en question leur féminité, mais il y a du progrès», estime-t-elle.

Au fil des ans, Judith Lussier, 31 ans, a dû se former une carapace. Chroniqueuse au journal Metro depuis quelques années, elle n'aime pas susciter de réactions négatives. «Je préfère quand mes textes font consensus. Je n'aime pas qu'on me dise que je suis une polémiste, je ne cherche pas les conflits et je n'aime pas la controverse.»

Sans vouloir susciter la polémique, donner une opinion bien tranchée, c'est avant tout s'exposer à des réactions. Isabelle Maréchal, journaliste et animatrice au 98,5 FM, l'a très vite compris. «Des opinions, ça confronte les gens, et ce n'est pas toujours agréable de se faire tomber dessus et de remettre en question notre société. On n'aime pas le changement, c'est compliqué et douloureux. Et ne préfère-t-on pas parfois éviter l'affrontement?»

Entendre et voir plus de femmes

Isabelle Maréchal soulève la question de la représentativité des femmes au sein des grands médias. «On n'est pas encore habitué d'entendre une certaine parole féminine, on la prend tout de suite comme une parole féministe. On ne fait pas la différence. Une femme qui donne son opinion au même titre qu'un homme, on va lui coller une étiquette féministe, et c'est délicat à porter.»

Lise Ravary aimerait entendre plus de femmes prendre le micro pour faire part de leur point de vue. «J'ai dirigé pendant des années des magazines féminins et j'ai toujours dit: il n'y a pas de sujets féminins, mais il y a des points de vue de femmes qui sont intéressants et qui peuvent être différents. Il faut se mouiller et accepter de se mettre en danger, car, sinon, on ne sera jamais entendue.»

Même si les femmes restent minoritaires dans les médias, elles sont plus présentes qu'auparavant. «Les médias traditionnels se tournent plus souvent vers des hommes. On attribue plus facilement la parole sérieuse à un homme qu'à une femme, c'est ancré dans nos mentalités», explique Rachel Chagnon, de l'UQAM.

«On se dit progressistes au Québec, on aime ça se péter les bretelles, mais quand on observe bien, comment se fait-il que les femmes soient absentes des structures de pouvoir en 2014?», s'interroge Lise Ravary.

« Je souhaite vivement qu'il y ait des Francs-tireuses! Évidemment! s'exclame Judith Lussier. Regardez les émissions d'hommes, Deux hommes en or, Les gars des vues, Génial, l'émission de cinéma À l'affiche ou encore Le code Chastenay. Les femmes sont en cuisine [Alexandra Diaz et Geneviève O'Gleman] ou à la consommation [Marie-Soleil Michon], à l'exception de Marie-France Bazzo et de Christiane Charette.»