Dans notre société moderne, le poil dérange, quand il ne dégoûte pas carrément. On le coupe, on le teint, on le rase. Bref, nous lui livrons une véritable guerre pour le faire disparaître à tout prix. Est-ce pour effacer toute trace de notre animalité?

Sociologie d'un grand mal aimé

La «culture anti-poils» ne date pas d'hier. «Le poil nous rappelle le côté animal et primitif avec lequel on ne veut pas vivre. L'être moderne, c'est un être qui sent bon et qui est propre. C'est un corps rationnel et performant. Ce n'est pas un corps poilu, puant et fatigué», explique Diane Pacom, professeure de sociologie à l'Université d'Ottawa. 

Dans notre société, le corps doit être dominé. Il n'y a pas de laisser-aller possible. «C'est le règne du corps apprivoisé qui n'a plus rien à faire avec ses origines naturelles. C'est la perfection, sans poils, sans rides, tout doit être lisse. C'est un projet de société: pour créer un être humain qui n'a plus rien à faire avec la nature, on réprime les poils. Le corps moderne est cybernétique et puissant, il se rapproche presque de la machine», dit-elle. 

On livre une guerre systématique au corps naturel dans son origine. «L'épilation, les parfums, savons, coiffures, teintures, tout cela constitue une méchante guerre contre le corps, pour effacer complètement la nature, estime la professeure de sociologie. On tue le poil à la racine et on ne veut pas le voir réapparaître.»

Pour Christian Bromberger, professeur d'ethnographie à l'Université de Provence, cette culture anti-poils actuelle vient de l'obsession de l'hygiène de notre société. «C'est une véritable dictature, aujourd'hui, cette hygiène à tout prix. Les poils transmettent des odeurs nauséabondes et il y a cette volonté de désodorisation générale et de désanimaliser le corps autant chez les femmes que chez les hommes.»

Les poils et les religions

«Dans le christianisme, il y a cette idée de respecter la nature telle que Dieu l'a créée et ainsi préserver tous les poils du corps pour ne pas renoncer à cette nature. D'autant plus que les poils du sexe cachent les parties honteuses», explique Christian Bromberger, professeur d'ethnographie à l'Université de Provence.

«L'Islam introduit une distinction très nette entre le pur et l'impur et considère les poils comme sales, car ils retiennent la sueur, les impuretés, les sécrétions diverses ou les excréments, il faut donc raser les poils de toutes les parties du corps», soutient l'auteur de Trichologiques - Une anthropologie des cheveux et des poils (Bayard).

Le retour du poil pubien?

L'actrice américaine Cameron Diaz vient de publier The Body Book. Elle y parle notamment de santé, de beauté et de bien-être. Dans un des chapitres qui fait grand bruit, elle se prononce contre l'épilation définitive des poils pubiens qui, pour elle, est une idée folle. «Les modes changent, les pubis sans poils sont un phénomène récent et les femmes regretteront leur geste », écrit l'actrice américaine. Elle ajoute que «les poils pubiens servent aussi de petits rideaux qui rendent votre sexe un peu mystérieux et incitent votre amoureux à venir voir de plus près ce que vous avez à offrir». 

La tendance à l'épilation intégrale serait-elle en voie d'être renversée? «Je ne pense pas», dit Sylvie Lavallée, sexologue clinicienne et psychothérapeute. «Il y a toujours une tendance lourde de la culture anti-poils et même de l'épilation intégrale des poils du sexe.» «Absolument», déclare pour sa part Jacques Charbonneau, dermatologue certifié. «Ce qui est très populaire aussi, c'est le bikini brésilien. On enlève tout sauf au centre où on laisse une bande étroite.» 

Pour Sylvianne Bouchard, présidente de l'Association des électrolystes et esthéticiennes du Québec, les demandes vont croissant depuis près de 10 ans, autant en électrolyse qu'au laser. «C'est très courant chez les femmes de 20 à 35 ans, elles disent qu'elles se sentent plus propres de cette façon, en faisant disparaître tout le poil. Même après 35 ans, la ligne du maillot rapetisse d'année en année», confie-t-elle. Elle ajoute que les hommes aussi n'y échappent pas et que les demandes sont de plus en plus nombreuses depuis quatre ou cinq ans.

Comment expliquer cet engouement? «Pour des raisons esthétiques et pratiques, certaines femmes préfèrent l'épilation totale, car le poil est porteur de sueur. Tout est une question d'apparence et d'érotisme. Souvent, on trouve le sexe plus appétissant sans poils. Il faut se poser la question: est-ce que je me trouve belle et séduisante de cette façon? Est-ce que j'assume mon poil ou est-ce pour faire plaisir à mon partenaire?», s'interroge la sexologue Sylvie Lavallée.

«Une femme sans poils ressemble à une petite fille. Pour moi, c'est une femme soumise qui ne fait pas peur», affirme Marie-France Auzépy, professeure d'histoire à l'Université Paris 8. Elle rappelle que dans la religion musulmane, l'épilation des parties intimes est obligatoire pour des raisons de pureté. Ce qui expliquerait peut-être, en partie, le succès grandissant de l'épilation intégrale en France. «Le fait d'avoir le sexe totalement épilé de manière pornographique, c'est évidemment la volonté d'avoir l'air plus juvénile et de tout dévoiler», poursuit Sylvie Lavallée.

Pour Jacques Charbonneau, les poils du nez ou des sourcils ont leur raison d'être, celle de protéger, comme c'était le cas des poils pubiens. «Mais avec les moyens d'hygiène que nous avons aujourd'hui, les poils pubiens sont devenus inutiles. C'est une décision purement personnelle de les enlever ou pas. C'est une simple question esthétique», dit-il.

Ne suffit-il pas d'entretenir cette partie du corps pour que ça reste esthétiquement beau et hygiénique? «En effet, sans que ce soit le buisson ardent et pour pouvoir recevoir des caresses buccales, on peut faire en sorte de ne pas tout raser.», dit Sylvie Lavallée qui évoque aussi l'importance de l'entourage. «Il y a une question de moeurs, de goût et d'influences des amies aussi. On peut en discuter lors d'un souper de filles et s'apercevoir que les copines se rasent ou pas. Il y en a pour tous les goûts.»

Les femmes ont une relation très particulière avec leur vagin. «C'est plein de pudeur et de malaise à la fois. Il y en a qui s'assument pleinement, d'autres qui dorment en petites culottes, il y a celles qui ne le regardent jamais ou encore celles qui font des opérations pour avoir une apparence ultralisse», explique Sylvie Lavallée.

Est-ce réaliste de se faire épiler intégralement au laser? Et dans quel but le faire? Parce que, sachons-le, c'est coûteux et douloureux. Le prix varie selon la pilosité et la technique utilisée. L'électrolyse fonctionne à l'heure (entre 50 et 65 $ l'heure) et le laser, par région. «En moyenne sur une période d'un an, pour une épilation au laser [qui ne convient pas à tous les types de peau], il faut compter au minimum entre 850 $ et 1500 $, pour huit traitements, et encore, ce ne sera pas tout à fait terminé. On finira à l'électrolyse. Pour l'électrolyse, le coût se situe entre 1500 $ et 2000 $ et même au-delà», prévient Sylvianne Bouchard, esthéticienne depuis près de 30 ans. Plus il y a de poils, plus ce sera long, évidemment. «Quand on est déterminée à éliminer les poils, on endure un peu plus», explique-t-elle.

Mise en garde

L'épilation définitive au laser ne comporte pas de danger comme tel, mais il faut bien se renseigner sur l'endroit où on sera traité, que ce soit chez une esthéticienne ou un dermatologue. «On va se soucier du prix, mais pas de sa santé», s'inquiète le Dr Jacques Charbonneau, dermatologue certifié. «Le danger vient du fait que ces appareils au laser sont parfois utilisés par n'importe qui et sans supervision médicale. Il y a un risque de transmettre des maladies. La plus fréquente est l'herpès génital», prévient-il. 

Dans une clinique non médicalement supervisée, la question de la sécurité de l'asepsie est essentielle. « C'est une méthode préventive pour éviter toute contamination par des bactéries et microbes. Les dermatologues ont un code d'éthique à respecter. Il faut nettoyer et désinfecter tous les appareils systématiquement. Les aiguilles doivent être stérilisées non pas simplement à l'alcool, mais à la chlorhexidine entre deux patientes. C'est le protocole à respecter pour éviter les infections, surtout dans la région du pubis, une zone très fragile», explique le dermatologue.